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- Ce que l’amendement change pour les médecins
- Objectif affiché : inciter à l’installation en zone sous-dotée
- Une fiscalité historique remise en cause
- Une majorité de médecins libéraux concernés par la perte des abattements
- Une efficacité incitative contestée
- Une réforme qui s’ajoute à un climat social tendu
- Un avenir parlementaire encore incertain
Un amendement socialiste adopté en première lecture du projet de loi de finances pour 2026 conditionne deux abattements fiscaux majeurs à l’installation des médecins en zones sous-dotées. Une mesure à fort impact budgétaire, qui inquiète une profession déjà sous pression.
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Adopté par 173 voix contre 85 à l’Assemblée nationale le 27 octobre, un amendement déposé par le groupe socialiste au projet de loi de finances 2026 modifie en profondeur la fiscalité des médecins libéraux. Sans avoir été anticipé par les principaux acteurs du secteur, ce texte conditionne deux abattements fiscaux à l’exercice en zone médicalement fragile.
Le gouvernement ne soutenait pas l’amendement, mais n’a pas empêché son adoption. Il intervient dans un climat déjà tendu entre l’exécutif et les professionnels de santé, alors que le projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS) fait également l’objet de vives critiques dans la profession.
Ce que l’amendement change pour les médecins
Deux des trois abattements fiscaux actuellement accessibles aux médecins conventionnés sont désormais réservés à ceux exerçant dans les zones identifiées comme sous-dotées : les Zones d’Intervention Prioritaire (ZIP) et les Zones d’Action Complémentaire (ZAC).
Les abattements concernés sont :
- L’abattement forfaitaire dit « groupe III », compris entre 770 € et 3 050 € selon l’activité ;
- La déduction complémentaire de 3 % du bénéfice non commercial (BNC).
Seul l’abattement de 2 % sur les frais professionnels, réservé aux médecins du secteur 1, reste pour l’instant ouvert à tous. Les députés socialistes à l’origine du texte estiment que ces allègements fiscaux, représentant plus de 350 millions d’euros par an pour l’État, sont insuffisamment justifiés et comportent un fort effet d’aubaine.
Objectif affiché : inciter à l’installation en zone sous-dotée
L’amendement vise à orienter les allègements fiscaux vers les territoires en tension. Les ZIP sont plafonnées à 18 % de la population nationale. Les ZAC, définies par les agences régionales de santé, couvrent quant à elles des parts plus variables du territoire, allant jusqu’à 42 % dans certaines régions comme les Hauts-de-France.
Les députés à l’origine du texte estiment que cette réforme constitue une incitation supplémentaire à l’installation dans les déserts médicaux. Le manque de médecins y est documenté depuis des années, et les dispositifs incitatifs classiques, comme le Contrat d’Aide à l’Installation des Médecins (CAIM), peinent à attirer des candidats.
Une fiscalité historique remise en cause
Les abattements visés ne sont pas nouveaux. Ils ont été instaurés pour compenser certaines charges spécifiques de l’exercice libéral (secrétariat, cabinet, matériel médical), difficiles à comptabiliser individuellement. Jusqu’en 2023, leur usage était limité pour les médecins non-adhérents à un organisme de gestion agréé, qui subissaient une majoration de 1,25 sur leur revenu imposable.
La Cour européenne des droits de l’homme a jugé cette pratique contraire au droit de propriété dans un arrêt rendu le 7 décembre 2023 (affaire Waldner c. France). Depuis, les médecins peuvent cumuler les abattements sans cette pénalité, rendant le dispositif plus attractif. L’amendement voté remet ainsi en cause une fiscalité stabilisée par la jurisprudence européenne.
Une majorité de médecins libéraux concernés par la perte des abattements
En restreignant l’accès à ces dispositifs aux seules ZIP et ZAC, l’amendement exclut mécaniquement une majorité de praticiens. Si ces zones couvrent une part importante du territoire, elles ne recouvrent pas l’ensemble des besoins. Les 151 zones « rouges » définies en juin 2025 comme prioritaires par le gouvernement ne concernent que 2,5 millions de personnes, bien en deçà du champ des ZIP et ZAC.
Pour les médecins exerçant hors de ces zones, la perte des deux abattements représente un surcoût fiscal moyen estimé à 4 000 euros par an. Certains syndicats redoutent que cette mesure fragilise davantage le secteur 1, déjà en perte de vitesse, en poussant de nombreux médecins à déclarer leurs frais réels ou à quitter la médecine conventionnée.
Une efficacité incitative contestée
L’amendement repose sur un mécanisme de réorientation des avantages fiscaux. Mais son efficacité réelle en matière d’aménagement du territoire reste incertaine. Les politiques incitatives antérieures ont montré leurs limites. Le CAIM, qui propose jusqu’à 50 000 € sur cinq ans pour une installation en ZIP, n’a pas permis d’inverser la tendance.
Le nouveau dispositif relève davantage d’un levier fiscal punitif que d’une incitation positive. En restreignant les avantages existants sans en créer de nouveaux, il risque de renforcer le sentiment de découragement dans une profession confrontée à une charge de travail croissante et à une attractivité déclinante de l’exercice libéral.
Une réforme qui s’ajoute à un climat social tendu
Ce changement fiscal intervient dans un contexte d’accumulation de mesures perçues comme hostiles par les professionnels de santé. Le PLFSS 2026 contient plusieurs dispositions contestées :
- Le transfert aux médecins de la collecte des franchises et participations forfaitaires ;
- Une taxe sur les dépassements d’honoraires en secteur 2 ;
- L’obligation d’alimenter le Dossier Médical Partagé, sous peine de sanctions financières ;
- Des baisses tarifaires unilatérales dans certaines spécialités comme la radiologie ou la néphrologie.
Face à cette accumulation, les syndicats annoncent déjà une mobilisation. Les médecins de bloc (chirurgiens, anesthésistes, obstétriciens) prévoient une grève du 11 au 14 janvier 2026, accompagnée d’un déplacement à Bruxelles destiné à éviter d’éventuelles réquisitions.
Un avenir parlementaire encore incertain
L’amendement, bien qu’adopté, n’est pas encore définitif. Le projet de loi de finances doit encore être voté dans son ensemble par l’Assemblée nationale (autour du 24 novembre), puis transmis au Sénat. Le texte peut être modifié en navette parlementaire, voire annulé si le budget global est rejeté.
Le gouvernement Lecornu II, reconstruit le 10 octobre après une séquence de démissions successives, reste fragile et minoritaire. Dans ce contexte politique incertain, le sort de cet amendement reste suspendu aux équilibres de majorité et aux stratégies des groupes parlementaires, notamment des Républicains au Sénat.


