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- L’accord franco-algérien de 1968 : un régime d’exception
- Séjour en France : des conditions assouplies pour les Algériens
- Regroupement familial : un cadre plus favorable
- RSA et minimum vieillesse : des droits immédiats et facilités
- Retraites françaises versées en Algérie
- Un coût global estimé à deux milliards d’euros par an
- Une immigration majoritairement familiale et concentrée
- Une crise diplomatique d’une ampleur inédite
Le 30 octobre 2025, l’Assemblée nationale a adopté de justesse une proposition de résolution déposée par le Rassemblement national, demandant la dénonciation de l’accord franco-algérien de 1968. Le texte, voté à 185 voix contre 184, constitue une première dans l’histoire parlementaire française pour le parti d’extrême droite. Ce vote intervient dans un climat de tensions diplomatiques majeures entre Paris et Alger, et ravive un débat sensible : les avantages spécifiques accordés aux ressortissants algériens vivant en France. Peu connu du grand public, l’accord de 1968 leur confère un statut dérogatoire au droit commun des étrangers non-européens.
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L’accord franco-algérien de 1968 : un régime d’exception
Signé six ans après l’indépendance de l’Algérie, l’accord du 27 décembre 1968 — modifié par trois avenants en 1985, 1994 et 2001 — encadre les conditions de circulation, de séjour et d’emploi des ressortissants algériens en France. Il instaure un régime juridique spécifique, distinct de celui appliqué aux autres étrangers extra-européens. Initialement conçu pour encadrer l’immigration de travail dans un contexte de pénurie de main-d’œuvre, il visait aussi à préserver les liens privilégiés entre la France et son ancienne colonie. Aujourd’hui, il fonde une série de droits que certains qualifient de « privilèges », au cœur des débats politiques.
Séjour en France : des conditions assouplies pour les Algériens
L’un des principaux avantages de l’accord de 1968 concerne l’accès au certificat de résidence de dix ans. Alors que le droit commun impose cinq années de présence régulière, les ressortissants algériens peuvent l’obtenir après seulement trois ans. Ce titre leur donne un accès direct à toute activité professionnelle et bénéficie d’un renouvellement automatique. Certaines catégories peuvent même y prétendre de plein droit : conjoints de Français après un an de mariage (sans exigence de vie commune), parents d’enfants français mineurs, ascendants de citoyens français, ou encore bénéficiaires d’une rente d’accident du travail.
Depuis 2001, la primo-délivrance de ce titre est gratuite pour les Algériens, alors qu’une taxe de 225 euros s’applique aux autres étrangers. Par ailleurs, une disposition unique permet à un ressortissant algérien en situation irrégulière de régulariser sa situation après dix ans de présence continue en France, même s’il est entré sans visa.
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Regroupement familial : un cadre plus favorable
L’accord de 1968 assouplit également les conditions de regroupement familial. Les ressortissants algériens peuvent en faire la demande après seulement douze mois de résidence, contre dix-huit pour les autres nationalités. Les membres de leur famille reçoivent un titre de séjour de même durée que la personne qu’ils rejoignent, ce qui permet d’obtenir directement un certificat de dix ans.
Une autre spécificité majeure réside dans le mode de calcul des ressources nécessaires. Le seuil reste fixé à un SMIC mensuel sur douze mois, quel que soit le nombre de personnes à regrouper. Surtout, les prestations sociales — RSA, ASPA notamment — sont prises en compte, contrairement au droit commun. Cette exception rend le regroupement familial accessible à des personnes sans emploi stable, voire allocataires. Selon l’Institut français pour la recherche sur les administrations publiques (IFRAP), cette disposition rend le droit au regroupement familial quasiment opposable à l’administration.
RSA et minimum vieillesse : des droits immédiats et facilités
Les accords bilatéraux de sécurité sociale signés en 1980 entre la France et l’Algérie garantissent l’égalité de traitement entre ressortissants français et algériens en matière de protection sociale. En pratique, cela signifie que les Algériens peuvent bénéficier du RSA dès l’obtention de leur titre de séjour, sans avoir à justifier de cinq ans de résidence, comme le prévoit normalement le droit commun.
L’accès à l’Allocation de solidarité aux personnes âgées (ASPA), ou minimum vieillesse, est également facilité. Les étrangers non-européens doivent généralement avoir résidé dix ans en France de manière régulière pour y prétendre. Cette exigence ne s’applique pas aux Algériens, qui doivent seulement résider neuf mois par an sur le territoire français l’année du versement.
En 2025, l’ASPA s’élève à 1 012,02 euros par mois pour une personne seule et à 1 571,16 euros pour un couple. Pour les personnes âgées d’origine algérienne, cet accès simplifié représente un soutien financier significatif.
Retraites françaises versées en Algérie
En 2023, 1,1 milliard d’euros de pensions du régime général ont été versés à 360 000 retraités vivant en Algérie, ce qui fait de ce pays le principal bénéficiaire de pensions françaises versées à l’étranger. Ces montants incluent des prestations versées à d’anciens travailleurs algériens ayant cotisé en France, mais également des compléments sociaux comme l’ASPA.
Selon un rapport parlementaire présenté le 15 octobre 2025, l’État algérien refuserait systématiquement de verser sa part des retraites dues à ses ressortissants ayant cotisé dans les deux pays, contrairement à ce que prévoit la convention bilatérale de sécurité sociale. Résultat : la France compense ce manque, en particulier via l’ASPA, transférant de fait la charge sur le contribuable français. Le député Charles Rodwell, co-auteur du rapport, dénonce un « déséquilibre structurel que la France assume seule depuis des années ».
Un coût global estimé à deux milliards d’euros par an
Le rapport Rodwell-Lefèvre évalue à environ deux milliards d’euros par an le coût global du régime dérogatoire accordé aux Algériens. Ce montant inclut :
– 300 millions d’euros de charges administratives et contentieuses,
– 1,5 à 2 milliards d’euros de dépenses sociales liées à une immigration plus familiale et moins insérée économiquement,
– Plusieurs centaines de millions d’euros de retraites et prestations versées à des résidents en Algérie.
Toutefois, les auteurs du rapport reconnaissent des limites méthodologiques : absence de données consolidées, difficulté à isoler les effets spécifiques de l’accord de 1968, impossibilité de calculer un solde net intégrant les contributions fiscales et économiques des Algériens en France. Des élus, comme Philippe Brun (PS), ont critiqué un document « politique plus que financier », soulignant l’absence de tableaux ou de données précises pour justifier les montants avancés.
Une immigration majoritairement familiale et concentrée
Au 31 décembre 2024, la France comptait 649 991 ressortissants algériens titulaires d’un titre de séjour valide. L’Algérie reste le premier pays d’origine des étrangers en situation régulière, représentant 16 % du total. En 2024, 29 100 premiers titres de séjour ont été délivrés à des Algériens, un chiffre en baisse de 9,1 % par rapport à l’année précédente. Plus de la moitié de ces titres (54,6 %) étaient liés à des motifs familiaux, contre seulement 9,4 % pour des motifs économiques.
Par ailleurs, les Algériens forment la première nationalité interpellée en situation irrégulière (33 700 personnes en 2024) et la première pour les renouvellements de titres de séjour (125 000 dossiers). Ces chiffres confortent l’analyse selon laquelle l’accord de 1968, pensé à l’origine pour l’immigration de travail, est devenu un vecteur d’immigration familiale.
Une crise diplomatique d’une ampleur inédite
Le vote du 30 octobre 2025 intervient dans un contexte de tensions exceptionnellement vives entre la France et l’Algérie. Des sources diplomatiques évoquent une crise sans équivalent depuis l’indépendance de 1962. Depuis plusieurs mois, les relations bilatérales se sont tendues autour de multiples sujets : visas, mémoire coloniale, coopération sécuritaire et commerciale. La remise en cause de l’accord de 1968, perçue à Alger comme une rupture unilatérale, aggrave un climat déjà délétère.


