Accords France-Algérie : qu’est-ce qui va changer ?

RSA, retraites, régularisation : voici ce qui pourrait changer pour les Algériens en France si l’accord bilatéral de 1968 est abrogé.

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Le 30 octobre 2025, l’Assemblée nationale a adopté, à une voix près, une résolution demandant la dénonciation de l’accord franco-algérien de 1968. Ce vote historique, porté par le Rassemblement national et soutenu par Les Républicains et Horizons, marque une rupture dans l’approche française sur ce traité bilatéral. Pour la première fois, un texte du RN a été adopté au Palais-Bourbon. S’il ne crée aucune obligation juridique, il envoie un signal politique fort : la majorité des députés souhaite mettre fin à un régime dérogatoire considéré comme obsolète, inégalitaire et coûteux.

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Un accord migratoire post-colonial

Signé en décembre 1968, six ans après les accords d’Évian, l’accord franco-algérien établit un régime juridique distinct pour les ressortissants algériens. Il organise les conditions d’entrée, de séjour, de travail et d’accès à la protection sociale des Algériens en France. Ce texte a été modifié à plusieurs reprises (en 1985, 1994 et 2001), mais il demeure un dispositif d’exception. Aucun autre pays non européen ne bénéficie de telles dispositions.

Les Algériens peuvent obtenir un certificat de résidence de dix ans après trois années de présence régulière, contre cinq ans pour les autres étrangers. Le regroupement familial s’effectue sans période d’attente. L’accès à des prestations comme le RSA ou l’ASPA est immédiat, là où les ressortissants d’autres pays doivent remplir des conditions de durée de séjour et de résidence. En cas de présence irrégulière, les Algériens peuvent bénéficier d’une régularisation automatique au bout de dix ans, quand les autres étrangers doivent faire une demande discrétionnaire sans garantie d’acceptation.

Ce cadre dérogatoire place les ressortissants algériens en dehors du droit commun (CESEDA) applicable à tous les autres étrangers, y compris européens. Il repose sur un traitement préférentiel justifié historiquement, mais de plus en plus critiqué pour son absence de contrepartie actuelle.

Un coût budgétaire élevé et une asymétrie dénoncée

Le rapport parlementaire publié le 15 octobre par Charles Rodwell et Mathieu Lefèvre, deux députés macronistes, évalue pour la première fois l’impact budgétaire de cet accord. Selon leurs estimations, son coût global se situe entre 1,5 et 2 milliards d’euros par an pour les finances publiques françaises.

La plus grande part de cette somme concerne les prestations sociales accessibles sans délai de carence : RSA, ASPA, allocations familiales. Le rapport cite également 361 771 pensions françaises versées en 2023 à des retraités algériens résidant en Algérie, pour un total d’un milliard d’euros. L’Algérie ne finance pas sa part, en dépit de l’accord bilatéral de sécurité sociale de 1980. La France assume seule les versements.

Les rapporteurs soulignent également une rupture du principe d’égalité. À droits égaux, des ressortissants de pays tiers sont traités différemment selon leur nationalité. Un Algérien accède au RSA sans conditions de durée de séjour ; un Marocain ou un Congolais doit attendre cinq ans. Même les citoyens européens n’ont pas accès à certains droits dans les mêmes conditions.

Un déséquilibre diplomatique et juridique grandissant

L’un des constats centraux du rapport Rodwell-Lefèvre est l’absence de réciprocité. L’Algérie refuse d’appliquer plusieurs volets de l’accord, tout en s’opposant à sa remise en cause. Les autorités algériennes délivrent rarement les laissez-passer consulaires nécessaires à l’exécution des obligations de quitter le territoire français (OQTF). Le taux d’exécution des OQTF pour les Algériens est l’un des plus bas : 7 % en 2024, selon les chiffres du ministère de l’Intérieur.

Sur le volet des retraites, la convention de sécurité sociale n’est pas respectée par Alger, contraignant la France à financer seule les pensions versées en Algérie. Le président Tebboune a reconnu publiquement en 2025 que l’accord était devenu « dépassé et inutile », tout en refusant son abrogation.

Ce déséquilibre structurel renforce l’idée que l’accord ne sert plus les deux parties. La France en respecte les dispositions, l’Algérie non. Cette situation alimente les critiques d’inefficacité et de faiblesse diplomatique.

Une fracture politique sur la conduite à tenir

Le vote du 30 octobre a révélé un clivage politique net. Le Rassemblement national, qui milite depuis longtemps pour la suppression de l’accord, a salué une « victoire historique ». Marine Le Pen en a fait un marqueur idéologique, y voyant une étape vers une politique migratoire plus restrictive.

Les Républicains ont également soutenu la résolution, reprenant à leur compte la critique d’un dispositif qu’ils jugent injustifié. Horizons, le parti fondé par Édouard Philippe, a voté dans le même sens.

La majorité présidentielle s’est retrouvée divisée et désorganisée. Seuls 30 députés Renaissance sur 92 ont voté contre. Gabriel Attal, président du groupe, était absent pour participer à un forum international sur le tourisme. Pourtant, quelques mois plus tôt, il avait signé une tribune appelant à la dénonciation de l’accord, au nom du principe d’égalité devant la loi.

À gauche, la France insoumise et les Écologistes ont dénoncé une « normalisation des idées d’extrême droite ». Selon eux, l’accord incarne une reconnaissance des liens historiques profonds entre la France et l’Algérie, issus de la colonisation. Pour ces partis, y mettre fin reviendrait à effacer cette mémoire et à nier les responsabilités historiques françaises.

Dénonciation, renégociation ou statu quo : trois scénarios à l’étude

En l’état actuel, le gouvernement n’est pas juridiquement contraint par le vote parlementaire. Le ministre de l’Intérieur Laurent Nuñez a déclaré que la dénonciation de l’accord n’était pas à l’ordre du jour. Pourtant, la pression politique augmente.

Trois scénarios sont envisageables. Le premier, une dénonciation unilatérale par décret, est juridiquement possible, mais politiquement risqué. Il nécessiterait une notification diplomatique à l’Algérie avec un préavis de six mois.

Le second scénario, celui d’une renégociation, est peu crédible à court terme. Les tensions diplomatiques, alimentées par la reconnaissance française de la souveraineté marocaine sur le Sahara occidental, et la détention en Algérie de ressortissants français, rendent tout dialogue bilatéral difficile.

Le troisième scénario, celui du statu quo, est aujourd’hui le plus probable. Il permet au gouvernement de maintenir des relations diplomatiques stables avec Alger, malgré le coût budgétaire et les critiques internes.

Ce qui changerait en cas de suppression de l’accord

Si l’accord était dénoncé, les Algériens deviendraient des étrangers de droit commun, soumis au CESEDA. L’obtention d’un titre de séjour serait conditionnée à la durée de présence, aux ressources et au motif de séjour. Le regroupement familial serait encadré par un délai de 18 mois. L’accès au RSA ou à l’ASPA serait différé, comme pour les autres étrangers non-européens.

Les protections contre l’expulsion seraient levées, et les régularisations après dix ans de présence ne seraient plus automatiques. Une période de transition juridique serait nécessaire pour éviter des contentieux massifs. Les titres délivrés avant la dénonciation resteraient valables jusqu’à leur expiration.

Des relations franco-algériennes fragilisées par la crise

L’Algérie a déjà menacé de riposter en cas de dénonciation. Elle pourrait suspendre l’accord de réadmission de 1994, ce qui compliquerait encore l’exécution des expulsions. Elle pourrait également restreindre sa coopération avec l’Union européenne sur les questions migratoires ou énergétiques.

Les relations entre Paris et Alger sont déjà tendues. L’arrestation en novembre 2024 de l’écrivain Boualem Sansal pour « terrorisme » et « propagande » a provoqué de vives réactions en France. Le procès en appel du journaliste français Christophe Gleizes, également détenu, est prévu pour décembre. Dans ce contexte, toute modification unilatérale de l’accord serait perçue comme un acte hostile.



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