Afficher le résumé Masquer le résumé
- Marseille, 2023 : les premiers signes d’une mutation mafieuse
- Une alliance criminelle fondatrice et une guerre décisive
- La chute de Yoda et la prise de contrôle de Marseille
- Une organisation criminelle structurée autour de la prison
- La Castellane : le cœur économique de l’empire
- Un système de blanchiment sophistiqué et internationalisé
- Diversification du crime : extorsion, proxénétisme et attaques ciblées
- Une menace systémique pour les institutions
- Réaction judiciaire : une loi et un nouveau parquet national
« On n’avait jamais vu ça. En deux ans, ils ont bâti un empire. Pas un gang, une véritable organisation mafieuse. » Le constat de ce haut responsable de la police judiciaire, engagé depuis plusieurs mois dans la lutte contre la DZ Mafia, résume l’inquiétude grandissante des autorités.
En moins de deux ans, la DZ Mafia s’est imposée comme la principale organisation criminelle de France. Née dans les quartiers nord de Marseille, cette nébuleuse, structurée autour d’une hiérarchie carcérale, contrôle aujourd’hui une part significative du marché de la drogue, pratique le racket à grande échelle, développe des réseaux de blanchiment international et multiplie les actions violentes. Le ministère de l’Intérieur l’a qualifiée de « menace principale » pour la sécurité nationale en octobre 2025. Retour sur une montée en puissance aussi rapide qu’inquiétante.
A LIRE AUSSI
Nîmes, ville traumatisée par le narcotrafic
Marseille, 2023 : les premiers signes d’une mutation mafieuse
L’histoire de la DZ Mafia débute dans la cité de la Paternelle, dans le 14ᵉ arrondissement de Marseille, au début de l’année 2023. Des graffitis apparaissent sur les murs du point de deal du Maga, accompagnés d’un symbole : un fennec aux couleurs du drapeau algérien. Le sigle « DZ », référence directe à l’Algérie (Al-Djazaïr), renvoie aux origines des fondateurs et s’impose comme une marque identitaire.
La première mention explicite de la DZ Mafia intervient le 12 mars 2023, via une story Snapchat publiée par Mattéo Farina, un adolescent qui deviendra l’un des tueurs à gages les plus actifs du groupe. Ce jour-là, un corps est retrouvé incinéré à Marseille. L’acte est revendiqué visuellement, en ligne, et sert de première démonstration de puissance.
Une alliance criminelle fondatrice et une guerre décisive
Contrairement aux apparences, la DZ Mafia ne naît pas de rien. Elle résulte d’une alliance stratégique entre deux groupes criminels préexistants : le clan des frères Laribi (dits « Maga »), dirigé par Mehdi Abdelatif Laribi, et celui de Félix Bingui, alias « le Chat », chef du clan Yoda. L’élément déclencheur de leur affrontement tient en un incident presque dérisoire : un échange de glaçons dans une boîte de nuit thaïlandaise entre les deux chefs, suivi d’une bagarre.
De février 2023 à mars 2024, Marseille devient le théâtre d’un conflit armé à grande échelle. Selon les données policières, 73 % des homicides liés aux trafics de drogue dans la ville en 2023 sont imputables à cette guerre interne. En tout, 49 assassinats sont recensés. Le mode opératoire est systématisé : exécutions ciblées, mise en scène des corps, implication de tueurs mineurs recrutés sur les réseaux sociaux.
La chute de Yoda et la prise de contrôle de Marseille
Le 8 mars 2024, Félix Bingui est arrêté à Casablanca, au Maroc. Il accepte son extradition vers la France en janvier 2025. Cette arrestation marque un tournant stratégique : le dernier rival structuré de la DZ Mafia est neutralisé. À Marseille, l’organisation s’impose sans partage.
Cette victoire ne met pas fin à la violence mais permet sa centralisation. Les figures fondatrices de la DZ, Amine O. (alias Mamine) et Mahdi Z. (Gaby), tous deux incarcérés, consolident leur pouvoir depuis leur cellule. Ils dirigent désormais une structure pyramidale contrôlant à la fois les flux de stupéfiants, les opérations violentes et les revenus.
Une organisation criminelle structurée autour de la prison
En 2025, la DZ Mafia n’est plus un réseau éclaté. C’est une organisation hiérarchisée, centralisée autour de ses chefs détenus dans les prisons de haute sécurité. Mamine, identifié comme le cerveau opérationnel, conserve une autorité intacte depuis sa cellule de Vendin-le-Vieil. En dépit de son statut de détenu particulièrement surveillé, il continue d’émettre des ordres via des téléphones introduits clandestinement.
La prison devient le centre de commande. Des complicités internes, des appareils de télécommunication dissimulés, et des messageries cryptées comme Signal permettent la coordination à distance. En 2024, plusieurs téléphones sont retrouvés dans la cellule d’un lieutenant, révélant une structure parallèle au régime carcéral officiel.
La Castellane : le cœur économique de l’empire
La Castellane, cité marseillaise déjà connue pour son rôle dans le narcotrafic, devient l’un des centres financiers de la DZ Mafia. Selon le parquet de Marseille, elle génère entre 30 et 40 millions d’euros par an. Deux fours (points de vente) génèrent à eux seuls 11 millions d’euros en 2022. Les structures de vente sont organisées comme des entreprises : équipes dédiées, stocks, trésorerie quotidienne, encadrement logistique.
La saisie de huit millions d’euros en liquide lors d’une opération en avril 2025 démontre l’importance du volume d’argent circulant dans cette économie parallèle. En l’espace de quelques années, la DZ a réussi à imposer une organisation industrielle du trafic à Marseille.
Un système de blanchiment sophistiqué et internationalisé
Pour absorber ces revenus, la DZ Mafia met en place une infrastructure de blanchiment à échelle européenne. Entre octobre 2024 et août 2025, un réseau opérant entre Marseille, Milan, le Kosovo et la Turquie blanchit plus de 30 millions d’euros. L’argent liquide est transporté par véhicules modifiés, converti en lingots d’or 24 carats dans une fonderie italienne, puis exporté.
Lors d’une opération menée en septembre 2025, les enquêteurs saisissent 238 kg d’or, 400 kg d’argent, plusieurs millions d’euros en espèces et 24 biens immobiliers. Cette logistique financière révèle une expertise comparable à celle de grandes organisations transnationales.
Dès fin 2024, la DZ Mafia adopte un modèle d’expansion fondé sur la franchise. Elle fournit les produits, les armes, et prélève un pourcentage sur le chiffre d’affaires local. Le Sirasco (service de renseignement sur la criminalité organisée) note des implantations à Rennes, Toulouse, Valence, Dijon, Sète ou encore Bruxelles.
Le cas de Clermont-Ferrand marque un basculement. Entre mars et août 2025, la ville connaît une série d’homicides, de fusillades, et de mises en scène macabres. Le corps calciné d’un mineur, les attaques coordonnées du 13 août, et la violence importée de Marseille illustrent la capacité du groupe à dupliquer ses méthodes.
Diversification du crime : extorsion, proxénétisme et attaques ciblées
La DZ Mafia ne se limite plus au trafic de stupéfiants. Elle s’attaque désormais aux commerces locaux, aux établissements de nuit, et même à des personnalités publiques. Les extorsions se multiplient, parfois orchestrées par des mineurs. À Salon-de-Provence, un pizzaïolo reçoit une demande de 20 000 euros de la part d’un adolescent se revendiquant du groupe.
Le cas du rappeur SCH, visé par une attaque à la kalachnikov en août 2024, souligne la montée en gamme de cette stratégie d’intimidation. L’enquête révèle une surveillance rapprochée de l’artiste et l’organisation de l’attaque depuis une prison, avec un niveau de préparation élevé.
Parallèlement, des cas de proxénétisme impliquant des mineures déplacées depuis Toulouse vers Marseille émergent. Ces pratiques reposent sur une logique de rentabilité maximisée : les jeunes filles sont exploitées dans des logements utilisés aussi pour le trafic de drogue.
Une menace systémique pour les institutions
Les responsables de la DZ Mafia ne se contentent plus de défier la loi. Ils s’attaquent directement à ses représentants. En 2025, des menaces de mort sont adressées à la directrice de la prison des Baumettes, entraînant son retrait temporaire. Des policiers et gendarmes font également l’objet de menaces ciblées.
Le ministère de l’Intérieur considère désormais la DZ Mafia comme une menace équivalente à celle du terrorisme. Le rapport du Sirasco d’octobre 2025 parle de « conquête territoriale », de « racket systématisé » et d’« atteintes directes à l’autorité de l’État ». Une organisation criminelle agit comme une puissance parallèle.
Réaction judiciaire : une loi et un nouveau parquet national
Face à cette menace, le gouvernement adopte en juin 2025 une réforme d’ampleur. La loi n°2025-532 crée le Parquet National Anticriminalité Organisée (Pnaco), sur le modèle du PNAT. Elle prévoit également des quartiers pénitentiaires renforcés, le gel immédiat des avoirs suspects, la fermeture des commerces-écrans, et l’extension des pouvoirs d’enquête.
Depuis 2023, plus de 700 personnes ont été interpellées, dont 500 sont actuellement incarcérées. La Direction nationale de la police judiciaire est désignée pilote du dispositif. Le démantèlement de la Castellane en avril 2025 constitue un des temps forts de cette mobilisation.
Malgré ces efforts, les procureurs restent prudents. Chaque interpellation libère des postes que la structure comble rapidement. Le phénomène de régénération est alimenté par la précarité sociale, la surpopulation carcérale et l’attrait exercé par la DZ Mafia sur les jeunes.


