Nîmes, ville traumatisée par le narcotrafic

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Entre violences armées, économie parallèle et impuissance institutionnelle, la préfecture du Gard vit une crise sans précédent. L’été 2025 a marqué un tournant brutal : Nîmes, ville moyenne réputée pour ses arènes et son patrimoine romain, est devenue le théâtre d’une guerre urbaine d’une intensité inédite. En toile de fond, un narcotrafic structuré, territorial, et meurtrier. Enquête sur une ville traumatisée.

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Une guerre de territoires en plein cœur de Nîmes

Trois quartiers concentrent aujourd’hui les tensions les plus vives. À l’ouest, le secteur de la ZUP Nord (Valdegour), allié au Mas-de-Mingue, est sous l’influence de la DZ Mafia marseillaise. Au nord-est, le Chemin-Bas d’Avignon (CBA) est contrôlé par un réseau rival, les Yoda. Enfin, au sud, la ZUP Sud (Pissevin), autrefois autonome, tente de résister à la pression des deux autres camps.
Cette guerre de territoires n’est pas seulement géographique. Elle est économique, stratégique et militaire. Chaque faction vise à défendre ses points de deal et à conquérir ceux des autres, dans un jeu d’alliances mouvantes où les enjeux financiers atteignent des niveaux colossaux.

Un marché parallèle à plusieurs millions d’euros

Selon les services de police judiciaire, les trois principaux points de vente génèrent chaque jour environ 50 000 euros de chiffre d’affaires. À lui seul, le quartier de Pissevin atteint désormais 40 000 euros par jour. Le Chemin-Bas d’Avignon suit avec environ 20 000 euros. Le Mas-de-Mingue, plus petit, en produit 10 000. Ce marché souterrain est structuré comme une entreprise. À Pissevin, 90 000 euros sont investis chaque mois pour assurer la sécurité du point de vente, rémunérant une armée de guetteurs opérant en rotation permanente. Ces dépenses démontrent une capacité financière équivalente à celle d’une PME bien établie.

Une hiérarchie digne d’une organisation militaire

L’organisation interne des réseaux à Nîmes est strictement hiérarchisée. En bas de l’échelle, les coursiers sont payés 30 euros par jour. Les guetteurs, chargés de signaler les présences policières ou rivales, gagnent entre 60 et 150 euros. Les vendeurs, en contact avec la clientèle, touchent environ 150 euros quotidiens. Les nourrices, qui stockent les stupéfiants, perçoivent 1 500 euros mensuels. En haut de la pyramide, les gérants de point de deal peuvent gagner jusqu’à 5 000 euros.

Ce système permet d’assurer une continuité du trafic presque 24 heures sur 24. Le dispositif est étroitement cloisonné, chaque fonction étant spécialisée pour garantir l’efficacité, la sécurité et la résilience face aux interventions policières.

L’été 2025 : montée en puissance de la violence armée

Entre juin et juillet 2025, Nîmes a basculé dans une spirale de violence. Le 27 juin, six jeunes sont blessés par balles à Valdegour. Le 10 juillet, un homme est exécuté en plein jour devant un centre social. Entre le 17 et le 25 juillet, les fusillades se multiplient : pharmacies, médiathèques, bureaux de poste ferment successivement leurs portes. La diffusion d’une vidéo d’exécution d’un jeune homme recruté par la DZ Mafia a marqué un point de rupture. Les images de sa torture et de son corps calciné, accompagnées d’un message de menace, ont été largement relayées sur les réseaux sociaux. Le choc est immense. Des messages circulent promettant de « tuer même les enfants de 5 ans ». La peur s’installe, profonde, durable.

Fayed, 10 ans : une victime innocente devenue symbole

Le 21 août 2023, Fayed, 10 ans, est tué dans une fusillade à Pissevin alors qu’il rentre chez lui en voiture avec son oncle. L’enfant est atteint au rachis cervical. Son décès déclenche une onde de choc nationale. La procureure de la République de Nîmes parle d’une « tragédie absolue ».
L’enquête est complexe : plusieurs vagues d’interpellations ont lieu jusqu’en 2025. L’affaire n’est pas close. Elle reste au cœur du traumatisme collectif nîmois. Deux ans plus tard, son nom est encore cité comme celui d’un enfant fauché par une guerre qui ne le concernait en rien.

Pissevin, un quartier à bout de souffle

Avec 15 600 habitants répartis sur 93 hectares, le quartier Pissevin-Valdegour concentre tous les indicateurs d’exclusion : 70 % de pauvreté, 67 % de logements sociaux, 40 % des habitants sans diplôme, 30 % de jeunes ni en emploi ni en formation.
Construit dans les années 1960, Pissevin est aujourd’hui l’un des quartiers les plus pauvres de France. Le trafic y prospère sur un terreau de désespoir social et d’abandon politique. L’économie informelle est souvent la seule voie perçue comme viable par une partie de la jeunesse.

La DZ Mafia, moteur d’une expansion criminelle

Nîmes n’est pas isolée. Elle s’inscrit dans une stratégie méthodique d’expansion territoriale pilotée par la DZ Mafia, organisation criminelle marseillaise. Depuis sa victoire contre le clan Yoda à Marseille en 2023, la DZ a étendu ses réseaux à Avignon, Sète, Valence, Rennes, Toulouse et Dijon.
Cette conquête repose sur des alliances locales et l’importation de méthodes de guerre : tueurs à gages, vidéos de torture, exécutions ciblées. À Nîmes, la DZ s’appuie sur deux clans locaux pour tenter de dominer le territoire. L’efficacité de leur stratégie repose sur une force de frappe brutale et une rentabilité record : à Marseille, certains points de deal génèrent jusqu’à 110 000 euros par jour.

Le 21 juillet 2025, face à l’explosion des violences, le maire Jean-Paul Fournier instaure un couvre-feu pour les moins de 16 ans dans les quartiers les plus sensibles. La mesure est prolongée jusqu’au 22 septembre.
Bilan : seuls six mineurs sont interpellés pour non-respect. L’objectif est surtout dissuasif. Les habitants sont partagés. Certains adultes y voient une protection. Les adolescents, eux, dénoncent une punition collective. Si le calme est partiellement revenu, la fracture entre générations s’est creusée.

Sécurisation renforcée : 200 policiers mobilisés chaque jour

En parallèle du couvre-feu, un dispositif de sécurité exceptionnel est déployé. Des unités mobiles de CRS sont envoyées en renfort, la police nationale et municipale coordonnent leurs efforts. Entre février et mai 2025, plus de 598 interpellations ont lieu, 163 personnes sont déférées, et 20 commerces sont fermés administrativement.
Les effectifs de la police municipale augmentent de 18 %. Une unité spéciale est créée. L’État annonce la reconstruction du commissariat de Pissevin, incendié en 2024. Les habitants, prudents, attendent des actes concrets.

Au-delà de la réponse sécuritaire, Nîmes lance un vaste plan de transformation du territoire. Le Nouveau Programme National de Renouvellement Urbain mobilise près de 270 millions d’euros. Objectif : détruire les lieux emblématiques du trafic, réorganiser l’espace, casser la logique d’enclavement.
En avril 2025, deux tours de la Cité Matisse sont dynamitées. La galerie marchande Wagner sera remplacée par un parc. 1 117 logements sociaux seront construits, dont la moitié hors de Nîmes. La stratégie est claire : dédensifier, diversifier, désenclaver.

Services publics paralysés, tourisme en chute libre

La crise sécuritaire affecte tous les pans de l’économie locale. Nîmes, qui emploie 7 000 personnes dans le secteur touristique, voit sa réputation durablement ternie. Images de fusillades, vidéos d’exécutions, alertes sécuritaires : la fréquentation est en baisse.
Les services publics sont eux aussi impactés. Agents de La Poste, éboueurs, pompiers : plusieurs ont exercé leur droit de retrait, refusant de travailler sans escorte. Une réalité qui témoigne de la désorganisation profonde du fonctionnement urbain.

La question sensible de la corruption policière

Depuis fin 2023, la justice s’inquiète des risques de corruption au sein des forces de l’ordre. Des agents sont soupçonnés d’avoir transmis des informations aux trafiquants : identités d’informateurs, plannings d’intervention, extraits de fichiers. L’Inspection générale de la police nationale (IGPN) recense une hausse notable des saisines pour corruption.
Ce phénomène, encore marginal à Nîmes, menace pourtant directement l’efficacité des enquêtes. Il alimente la défiance des habitants et fragilise l’autorité de l’État.

Nîmes illustre un processus plus large : la marseillisation des villes moyennes. Valence, Arles, Cavaillon, Martigues… Toutes connaissent une recrudescence de violences liées au narcotrafic. En 2024, la France a saisi 53,5 tonnes de cocaïne, plus du double qu’en 2023. Les règlements de compte entre malfaiteurs ont explosé.
Dans ce contexte, les villes de taille intermédiaire apparaissent comme les nouvelles cibles des organisations criminelles en quête de territoires moins surveillés.



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