Transmissions d’entreprises : le Pacte Dutreil coûte-il trop cher ?

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Le Pacte Dutreil devrait coûter 5,5 milliards d’euros à l’État. Ce chiffre, révélé par un rapport encore confidentiel de la Cour des comptes dévoilé par Le Monde, contraste violemment avec les estimations officielles longtemps restées figées à 500 millions d’euros. L’écart n’est pas seulement comptable : il remet en cause la crédibilité des outils d’évaluation budgétaire, dans un contexte où le gouvernement cherche 40 milliards d’euros d’économies.

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Un dispositif fiscal sous-estimé pendant des années

Le Pacte Dutreil, instauré en 2003, permet de transmettre une entreprise familiale tout en bénéficiant d’une exonération de 75 % sur les droits de donation ou de succession. Conçu pour favoriser la continuité économique, il est longtemps resté marginal dans les finances publiques. Mais cette perception ne résiste plus à l’analyse. La Cour des comptes alerte : le coût réel du dispositif s’est envolé, atteignant 5,5 milliards d’euros en 2024 contre 1,2 milliard en 2020.
Le chiffre de 500 millions d’euros figurait encore récemment dans les projets de loi de finances. Même Bercy a dû revoir ses évaluations. En décembre 2024, l’administration a reconnu que le dispositif avait déjà coûté 760 millions d’euros en 2020, soit 50 % de plus que ce qui était officiellement annoncé.

Une explosion budgétaire masquée par l’inertie des évaluations

L’explosion du coût s’explique en partie par une évolution structurelle du recours au dispositif. Depuis quelques années, la grande majorité des transmissions s’effectue de manière anticipée. Les donations « du vivant » des dirigeants représentent désormais 91 % des pactes signés. Or, ces donations déclenchent immédiatement l’exonération fiscale, contrairement aux transmissions par succession, plus progressives.

Cette dynamique n’a jamais été intégrée aux outils d’évaluation budgétaire. La Cour des comptes constate que le Pacte Dutreil « n’a jamais été véritablement évalué » et que les chiffrages successifs ne tiennent pas compte de l’augmentation du nombre de pactes ni de la hausse de la valorisation des actifs transmis. En conséquence, les prévisions officielles sont jugées « peu crédibles ».

Le Pacte Dutreil ciblé dans la chasse aux niches fiscales

Le contexte budgétaire alourdit encore le dossier. Le gouvernement prévoit de réaliser 40 milliards d’euros d’économies d’ici 2026. Une part importante, entre 4 et 8 milliards, devra provenir de la réduction ou de la suppression de niches fiscales. Dans cette perspective, le Pacte Dutreil, longtemps ignoré, devient une cible centrale.
L’évaluation révisée de son coût le place parmi les dix dispositifs fiscaux les plus onéreux du budget de l’État. Cette nouvelle hiérarchie budgétaire en fait un enjeu politique majeur, d’autant plus que le dispositif bénéficie essentiellement à des contribuables fortement dotés en patrimoine.

Des estimations divergentes sur le coût réel du dispositif

Face au chiffre de 5,5 milliards d’euros avancé par la Cour des comptes, d’autres évaluations viennent modérer l’ampleur du problème. Le Conseil d’analyse économique (CAE), dans une étude de 2021, estimait le coût réel du Pacte entre 2 et 3 milliards d’euros, en fonction de l’approche retenue. Si l’on se limite à l’impact fiscal direct, les montants sont moindres. Si l’on intègre les valorisations patrimoniales et les effets de comportement, les chiffres grimpent.
Cette variabilité souligne la difficulté structurelle à mesurer avec précision les effets des dépenses fiscales. En l’absence d’évaluation dynamique, le débat repose sur des hypothèses parfois divergentes, sans base méthodologique commune.

Des mécanismes d’optimisation au cœur de la dérive budgétaire

L’inflation du coût du dispositif s’explique aussi par des usages élargis, rendus possibles par des montages complexes. En particulier, le recours aux holdings « animatrices » permet de bénéficier de l’exonération fiscale sur des actifs qui ne sont pas directement liés à l’activité économique : immeubles de rapport, trésoreries excédentaires, actifs financiers.
Ces holdings, dès lors qu’elles détiennent 51 % d’une société opérationnelle, peuvent transmettre la totalité de leurs titres en bénéficiant du Pacte Dutreil, même si une large part de leur patrimoine est composée d’actifs passifs. La Cour des comptes critique ouvertement ces montages, qui s’éloignent de la logique initiale de soutien à l’économie productive.

Le débat parlementaire relance la question d’une réforme

Face à ces dérives, plusieurs instances plaident pour une réforme en profondeur. La Cour des comptes recommande de recentrer le dispositif sur les actifs opérationnels. Un rapport parlementaire reprend cette orientation, préconisant d’exclure du champ d’exonération les actifs immobiliers et financiers sans lien direct avec l’activité de l’entreprise.
Des propositions concrètes ont déjà émergé. L’amendement CF870, adopté en commission des Finances le 22 octobre 2025, marque un tournant. Il supprime la possibilité d’inclure des biens personnels dans l’exonération. D’autres amendements visent à allonger la durée d’engagement de conservation des titres, pour dissuader les transmissions de pure opportunité.

Le Medef dénonce une vision partielle du coût réel

L’organisation patronale s’oppose frontalement à ces propositions. Selon le Medef, l’évaluation de la Cour des comptes « ignore les recettes induites » par le dispositif. Il avance que les entreprises transmises grâce au Pacte Dutreil continuent de verser des cotisations sociales, de payer la TVA, et de produire de l’impôt sur les sociétés. En supprimant ou limitant l’avantage fiscal, ces recettes futures seraient mises en péril.
Le Medef alerte également sur le risque d’un affaiblissement du tissu productif français. Il rappelle que la France ne transmet que 20 à 22 % de ses entreprises familiales, contre plus de 70 % en Allemagne et en Italie. Pour lui, fragiliser le Pacte Dutreil, c’est ouvrir la porte à des cessions vers des acteurs étrangers, et risquer une perte de contrôle capitalistique.

Au-delà du débat fiscal, l’affaire révèle un enjeu plus profond : l’absence de stratégie claire pour organiser la transmission d’entreprise en France. Selon les chiffres parlementaires, 30 000 entreprises disparaissent chaque année faute de repreneur. Près de 40 % des dirigeants de plus de 70 ans n’ont pas encore trouvé de successeur. Dans ce contexte, le Pacte Dutreil reste, malgré ses défauts, l’un des rares outils disponibles.



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