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- Des pertes qui s’aggravent
- Une majorité de clubs en déficit
- Des budgets en forte hausse
- La Fédération Française de Rugby en grande difficulté
- Le salary cap au cœur d’un conflit ouvert entre joueurs et dirigeants
- Des recettes incapables de suivre la hausse des coûts
- La dépendance aux mécènes atteint un niveau critique
- Réformer en profondeur : un impératif pour éviter l’effondrement
Le rugby professionnel français traverse une crise financière majeure qui interroge la pérennité même de son modèle. Malgré des revenus records, les pertes s’accumulent à un rythme alarmant. Entre déficit chronique des clubs, dépendance aux mécènes, explosion des budgets et fragilité de la Fédération, l’ensemble du système vacille. L’avenir du rugby français se joue désormais sur sa capacité à réinventer ses fondations économiques.
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Des pertes qui s’aggravent
Les chiffres publiés par la Commission de Contrôle des Championnats Professionnels (CCCP) en avril 2025 illustrent un paradoxe inquiétant. Les clubs du Top 14 ont généré un chiffre d’affaires record de 434,2 millions d’euros pour la saison 2023-2024, en hausse de 9,3 % par rapport à la saison précédente. Pourtant, leur déficit d’exploitation cumulé a atteint 64,5 millions d’euros, soit une augmentation de 9,7 %.
Ce niveau de pertes est le plus élevé depuis la saison 2020-2021, marquée par la pandémie de Covid-19. Il est plus du double de la moyenne enregistrée entre 2014 et 2019, avant la crise sanitaire (31 millions d’euros). L’écart entre la progression des charges (+25 %) et celle des recettes (+17 %) sur la période 2021-2024 souligne une dynamique déséquilibrée. La croissance des revenus ne compense plus la hausse des dépenses.
Une majorité de clubs en déficit
Sur les 14 clubs du Top 14, dix présentent un résultat d’exploitation déficitaire. Seuls quatre parviennent à afficher un résultat positif, toujours inférieur à 1,7 million d’euros. Un club à lui seul concentre près de 17 millions d’euros de pertes, soit plus du quart du déficit global.
Les écarts entre clubs révèlent un déséquilibre profond. Trois clubs accusent des pertes supérieures à 10 millions d’euros, quatre se situent entre 4 et 8,3 millions, et trois entre 119 000 et 1,9 million. Ces chiffres traduisent une instabilité systémique, où la gestion déficitaire devient la norme.
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Pour éviter un effondrement généralisé, les actionnaires ont procédé à des abandons de créances pour un total de 29,6 millions d’euros. Ces interventions ont permis de réduire la perte nette à 34,9 millions d’euros. Mais cette dépendance aux apports privés souligne la fragilité du modèle. En cas de retrait des mécènes, de nombreux clubs seraient en danger immédiat.
Des budgets en forte hausse
Les budgets pour la saison 2025-2026 confirment une accélération de l’inflation structurelle. Le total des budgets des clubs de Top 14 atteint 479,1 millions d’euros, soit une hausse marquée. Cela représente une moyenne de 34,2 millions par club, mais masque d’importantes disparités. L’écart entre le plus gros et le plus petit budget s’élève à 41,8 millions d’euros.
Le Stade Toulousain domine avec un budget de 55,8 millions d’euros (+10,9 %), suivi par le LOU (44,8 M€) et le Stade Français (42,3 M€). À l’autre extrême, Montauban affiche un budget de 14 millions, malgré une hausse spectaculaire de 27,7 %.
Les stratégies divergent : certains clubs misent sur des investissements massifs pour rester compétitifs (UBB : +14,6 %, Toulouse : +10,9 %), d’autres optent pour la rigueur budgétaire (Racing 92 : -10,6 %, Stade Français : -6,6 %), tandis que des formations comme Montauban tentent un rattrapage financier pour ne pas décrocher.
La Fédération Française de Rugby en grande difficulté
La crise ne touche pas que les clubs. Lors de la 166e assemblée générale de la Fédération Française de Rugby (FFR), le 6 décembre 2024, un déficit d’exploitation de 29 millions d’euros a été acté pour l’exercice 2023-2024. Il s’agit du septième déficit consécutif pour l’instance fédérale. Grâce à un versement exceptionnel de 16 millions d’euros par CVC Capital Partners, la perte nette a été limitée à 13 millions.
L’organisation de la Coupe du monde 2023 a lourdement pesé : le déficit du GIE hospitalités atteint 16,3 millions d’euros. La FFR réclame toujours une participation de l’État pour couvrir les 54 millions de pertes globales liées à l’événement, sans avancée concrète à ce jour.
La situation du rugby amateur est également critique. Le président Florian Grill a alerté sur une érosion rapide du tissu de formation : seuls 500 clubs sur 2 000 disposent encore d’équipes cadets et juniors. Ce recul fragilise la base du rugby français et accélère la concentration géographique du sport dans les grandes métropoles.
Le salary cap au cœur d’un conflit ouvert entre joueurs et dirigeants
Le 2 octobre 2025, Antoine Dupont a publiquement dénoncé un salary cap devenu « trop invasif ». Il critique l’obligation pour les joueurs de déclarer tous leurs partenariats, y compris ceux sans lien avec leur club, ce qui limiterait leur capacité à monétiser leur image personnelle. Son entraîneur Ugo Mola a soutenu cette prise de position, estimant que les joueurs ne bénéficient pas à la hauteur de la croissance économique du rugby.
La Ligue Nationale de Rugby (LNR) a réagi en ouvrant officiellement des négociations sur une réforme du salary cap à horizon 2027. Des ateliers de travail avec les clubs et le syndicat Provale sont prévus. L’objectif affiché est de parvenir à une nouvelle formule plus équilibrée, à appliquer dès la saison 2026-2027.
Le défi de cette réforme est de taille : permettre une meilleure rémunération des joueurs tout en préservant la compétitivité des clubs les plus modestes. Avec un écart budgétaire de 41,8 millions d’euros entre Toulouse et Montauban, toute libéralisation pourrait aggraver les déséquilibres.
Des recettes incapables de suivre la hausse des coûts
Le contrat de droits télévisés signé avec Canal+ jusqu’en 2032 (128,7 millions d’euros par an) constitue un point fort. Il représente une progression de 13,3 % par rapport au contrat précédent, plaçant le Top 14 en tête des championnats de rugby mondiaux. Toutefois, cette hausse ne couvre pas la croissance des charges sur la même période (+25 %), contribuant au déséquilibre global.
La billetterie affiche une progression notable, atteignant 78,7 millions d’euros pour la saison 2023-2024 (+18,9 %). Mais ces chiffres masquent des disparités : à Montpellier, par exemple, seuls 6 % des revenus proviennent des recettes de match, illustrant les difficultés d’ancrage dans certains territoires.
Autre limite du modèle actuel : les hospitalités. Celles-ci peuvent absorber jusqu’à 70 % des recettes brutes générées, réduisant fortement leur impact net. Le cas du Mondial 2023, avec 82,8 millions d’euros dépensés pour des droits d’hospitalité surestimés, reste emblématique.
La dépendance aux mécènes atteint un niveau critique
Les clubs français ont eu recours à des abandons de créances à hauteur de 29,6 millions d’euros pour la seule saison 2023-2024. Sans ces apports, les pertes nettes auraient été deux fois plus élevées. Cette dépendance systémique est devenue un risque majeur.
La Chambre régionale des comptes d’Occitanie résume la situation : « s’il n’y a plus d’actionnaires privés, il n’y a plus de clubs ». L’exemple de Montauban, sauvé par un abandon de dette de 1,1 million d’euros malgré un budget modeste, démontre que cette vulnérabilité touche tous les niveaux du championnat.
Le rugby français pourrait suivre le sort de plusieurs clubs anglais (Wasps, London Irish, Worcester) qui ont sombré après le retrait de leurs investisseurs. L’histoire ou la tradition ne suffisent plus à garantir la survie.
Réformer en profondeur : un impératif pour éviter l’effondrement
La réforme du salary cap constitue un premier jalon. Mais c’est bien l’ensemble du modèle économique qui doit être repensé. Trois axes apparaissent prioritaires :
- Diversifier les revenus : à travers l’internationalisation de la marque Top 14, l’essor des droits numériques et le développement du merchandising.
- Renforcer la solidarité professionnelle-amateur : afin de garantir un soutien structurel aux clubs formateurs et à la base du rugby français.
- Instaurer une gouvernance plus coordonnée : entre LNR, FFR, État et partenaires privés, pour répondre aux défis structurels du secteur.
La LNR a déjà ouvert le capital de sa filiale commerciale à CVC Capital Partners (120 millions d’euros), signe d’une volonté d’accélérer la transformation. Mais les retombées restent encore incertaines.