Quand les actionnaires dictent la loi chez Nestlé

Nestlé accélère sa transformation : une nouvelle gouvernance, des objectifs serrés et une pression inédite des marchés. Voici ce qu’il faut savoir.

Résumé Résumé

Une double démission en quinze jours, un président historique poussé vers la sortie, un nouveau tandem à la tête du géant suisse : sous la pression des actionnaires, Nestlé chamboule sa gouvernance. Le groupe suisse, longtemps perçu comme l’un des bastions les plus stables de l’industrie agroalimentaire mondiale, traverse une période de recomposition inédite.

Un double départ inattendu au sommet de Nestlé

Moins d’un mois aura suffi pour bouleverser l’organigramme de la première entreprise agroalimentaire mondiale. Le 1er septembre, Laurent Freixe, administrateur délégué depuis un an, quitte ses fonctions. Deux semaines plus tard, Paul Bulcke, président du conseil d’administration depuis 2017 et figure centrale du groupe depuis près d’un demi-siècle, annonce à son tour son départ anticipé.

Ces départs successifs viennent rompre avec une culture maison fondée sur la stabilité, la longévité et la promotion interne. Chez Nestlé, les parcours lents et linéaires avaient jusque-là valeur de norme. Le choc est d’autant plus grand que ces annonces n’étaient pas censées intervenir si vite : Bulcke avait annoncé son retrait pour avril prochain, à l’issue de l’assemblée générale. Il quittera finalement son poste dès le 1er octobre.

Une pression directe des fonds actionnaires

Derrière ces départs, une dynamique : la pression de plusieurs fonds actionnaires. Inquiets de l’instabilité de la direction générale – trois dirigeants se sont succédé en un an – et d’une gouvernance jugée inefficace, certains investisseurs ont pesé de tout leur poids pour provoquer un renouvellement accéléré.

Paul Bulcke, dernier représentant d’une génération dirigeante issue des rangs internes, aurait été incité à céder la place plus tôt que prévu. Cette décision acte un tournant : pour la première fois, la gouvernance du géant suisse se redéfinit moins selon la tradition maison que sous l’influence des attentes externes.

Nestlé vire son Directeur Général pour une « relation amoureuse avec une subordonnée »

Le départ de Bulcke, comme celui de Freixe, marque la fin d’un cycle. Tous deux incarnaient une forme de fidélité à l’ADN du groupe. Entré chez Nestlé comme stagiaire en 1979, Bulcke avait gravi l’ensemble des échelons, dirigeant plusieurs zones géographiques avant de prendre les rênes du groupe entre 2008 et 2016, puis la présidence du conseil. Freixe, lui, comptait près de quarante ans dans le groupe, avec une carrière tout aussi ascendante.

Ces profils, caractéristiques de la culture de promotion interne propre à Nestlé, cèdent aujourd’hui la place à un nouveau binôme aux parcours plus atypiques. Un changement de génération, mais aussi de méthode.

A LIRE AUSSI
Comment Antoine de Saint-Affrique a redressé Danone

Un nouveau tandem sous haute surveillance

À partir du 1er octobre, Pablo Isla prendra la présidence du groupe. Ancien patron d’Inditex (maison-mère de Zara), il siège au conseil d’administration de Nestlé depuis 2018. Son arrivée est historique : c’est la première fois qu’un président du groupe est choisi hors des rangs internes.

Il formera avec Philipp Navratil, nouveau directeur général depuis le 1er septembre, un duo inédit. Navratil, 49 ans, connaît certes bien la maison pour y avoir passé plus de vingt ans, notamment dans la division café, mais n’était pas le candidat attendu. Il succède à Freixe dans un contexte de transition délicate. Ce tandem est désormais chargé d’apaiser les tensions internes et de restaurer la confiance des marchés.

Les attentes des investisseurs à l’égard de la nouvelle direction sont claires. Plusieurs analystes insistent sur la nécessité de moderniser la gouvernance du groupe : remanier le conseil d’administration, rajeunir le comité exécutif, et surtout accélérer les décisions stratégiques.

Parmi les priorités figurent les potentielles cessions d’activités jugées non stratégiques ou insuffisamment rentables. Le groupe devrait également poursuivre ses efforts de réduction de coûts, avec un objectif d’économies de 2,5 milliards de francs suisses d’ici 2027, à réinvestir dans les marques phares.

Continuité stratégique malgré la recomposition

Malgré les changements de têtes, Nestlé ne prévoit pas de rupture stratégique majeure. Philipp Navratil a confirmé son adhésion au cap fixé par ses prédécesseurs. Les ambitions restent concentrées sur les « grands paris » du groupe : café, nutrition, nourriture pour animaux.

Cette logique de recentrage s’inscrit dans une trajectoire déjà amorcée ces dernières années. Le désengagement progressif de certaines activités, notamment les eaux en bouteilles, se poursuit, après les controverses sur la gestion des ressources naturelles autour de Perrier et Hépar.

Si la pression des actionnaires s’est intensifiée, c’est aussi en raison de la performance décevante du groupe depuis la sortie de la pandémie. La croissance s’essouffle, et le titre Nestlé a perdu 20 % de sa valeur en six mois.

L’objectif affiché est désormais de renouer avec un rythme de croissance de 4 % d’ici un à deux ans. Pour y parvenir, le nouveau tandem devra stabiliser une organisation fragilisée et accélérer les choix stratégiques, tout en rassurant les marchés sur sa capacité à exécuter.



L'Essentiel de l'Éco est un média indépendant. Soutenez-nous en nous ajoutant à vos favoris Google Actualités :

Publiez un commentaire

Publier un commentaire