L’empire Bolloré déclare la guerre à France Inter

Les médias de l'empire Bolloré lancent une offensive médiatique contre France Inter. Une guerre de l’information s’installe entre privé militant et service public.

Résumé Résumé

Le 5 septembre 2025, une vidéo diffusée par le magazine d’extrême droite L’Incorrect vise deux figures de France Inter, Thomas Legrand et Patrick Cohen. Filmés à leur insu dans un café parisien, les deux journalistes échangent avec des responsables socialistes. Une phrase prononcée par Legrand, sortie de son contexte – « Nous, on fait ce qu’il faut pour Dati, Patrick et moi » – sert de point de départ à une offensive médiatique d’ampleur. Très vite, les chaînes et titres du groupe Bolloré s’emparent de cette séquence pour en faire la démonstration d’une prétendue collusion idéologique entre médias publics et pouvoir politique.

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Une vidéo volée au cœur d’une offensive médiatique

En quelques heures, l’affaire devient le sujet principal sur CNews, Europe 1 et Le Journal du Dimanche. Dès le 13 septembre, Pascal Praud parle de « combat culturel », estimant que ce type d’affrontement ne se limite plus aux sphères politiques ou universitaires, mais concerne désormais les médias eux-mêmes. La ligne est claire : faire de France Inter le symbole d’un journalisme biaisé, d’un service public accusé de parti pris, et donc disqualifié pour informer.

La riposte ne tarde pas. France Inter suspend Thomas Legrand de l’antenne « à titre conservatoire », tout en dénonçant la méthode. Vincent Meslet, directeur éditorial de Radio France, accuse CNews et Europe 1 d’avoir « créé de toutes pièces un récit pour mieux nous attaquer », en les qualifiant au passage de « médias militants » et d’« oligopole hostile ». Selon lui, si la phrase de Legrand est malvenue, elle ne justifie en rien l’ampleur de la campagne déclenchée. « Il a involontairement fait un cadeau à nos pires adversaires », reconnaît-il. Mais ce qui est en jeu dépasse de loin une phrase malheureuse.

La vidéo n’est pas une simple fuite. Elle est le produit d’une surveillance illégitime, assumée par ses auteurs, et devenue méthode. François Morel, chroniqueur sur France Inter, s’en indigne ouvertement lors de sa chronique du 11 septembre. Il parle d’une « atteinte grave à l’éthique journalistique » et qualifie les auteurs de la vidéo de « fils de pute ». Une expression rare à l’antenne, qui traduit l’exaspération face à une offensive médiatique menée à coups de provocations, de méthodes troubles et d’un usage dévoyé de l’information.

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Le groupe Bolloré et sa stratégie d’influence idéologique

Au cœur de cette opération se trouve l’empire Bolloré, dont la ligne idéologique ne fait plus mystère. Depuis plusieurs années, Vincent Bolloré a transformé ses médias en instruments d’un combat politique assumé. « Je me sers de mes médias pour mener un combat civilisationnel », déclare-t-il régulièrement. Ce combat vise les valeurs progressistes, les institutions publiques, et plus largement toutes les forces perçues comme contraires à une vision conservatrice et autoritaire de la société française.

Islam, wokisme, écologie, féminisme : tout est désigné comme menace. La stratégie médiatique repose sur trois leviers identifiés par Marie Bénilde dans Le péril Bolloré : le matraquage, la désinformation et l’instrumentalisation. Le matraquage consiste à répéter les mêmes messages sur l’ensemble des supports du groupe, jusqu’à saturation. La désinformation s’appuie sur la diffusion de fausses nouvelles — comme la rumeur, infondée, selon laquelle la loi immigration aurait été suspendue en juillet 2024. Quant à l’instrumentalisation, elle transforme chaque fait divers, chaque maladresse, chaque séquence privée en outil de guerre idéologique.

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France Inter, symbole d’une information sous pression

Depuis la dissolution de l’Assemblée nationale en juin 2024, cette mécanique s’est accélérée. La polarisation du débat public, combinée à l’affaiblissement des contre-pouvoirs, offre un terrain fertile à cette offensive. Le service public, et en particulier France Inter, constitue une cible stratégique. Pour les médias Bolloré, la radio publique représente l’ultime bastion d’un journalisme pluraliste. L’affaire Legrand est donc présentée comme la preuve d’un « service public partisan », dans une rhétorique largement relayée par les réseaux proches du Rassemblement national.

Marine Le Pen, saisissant l’occasion, réitère sa volonté de privatiser l’audiovisuel public. L’Arcom convoque dans la foulée les présidentes de Radio France et de France Télévisions. La polémique médiatique devient affaire d’État. Ce glissement est au cœur du problème : des méthodes relevant du harcèlement médiatique finissent par peser sur les décisions institutionnelles.

Le déséquilibre est manifeste. Face à un groupe privé centralisé, doté de moyens considérables et capable de répéter en continu un récit unifié, le service public agit avec prudence, contraint par des règles de déontologie, une mission de pluralisme, et une tradition de retenue. « Ils ont profité du fait que généralement nous ne répliquons pas », observe Vincent Meslet. « Mais cela va changer. »



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