Combien gagne un livreur Uber Eats ?

Uber Eats promet liberté et revenus attractifs. Mais que cache réellement cette promesse ? Enquête sur un métier où flexibilité rime souvent avec précarité.

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Combien gagne un livreur Uber Eats ? Derrière la promesse d’un travail flexible et indépendant, la réalité est bien différente. Revenu instable, longues heures, pression algorithmique : les conditions de travail se sont durcies, tandis que le pouvoir d’achat des livreurs s’effondre. En France, ils sont plus de 65 000 à rouler chaque jour pour Uber Eats. Mais au bout du compte, combien leur reste-t-il vraiment en poche ?

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Comment fonctionne la rémunération chez Uber Eats ?

Depuis mai 2025, Uber Eats garantit un minimum de 3 euros par course, contre 2,85 euros auparavant. Cette revalorisation s’applique à environ 70 % des 65 000 livreurs actifs en France. La plateforme a également débloqué une enveloppe de 2 millions d’euros destinée à faciliter l’accès à des vélos électriques (location à tarif réduit), à des kits de sécurité et à des formations.

Dans les faits, la rémunération se compose d’un tarif fixe par course (5,65 € en moyenne, incluant prise en charge, récupération et remise), d’un tarif kilométrique (0,81 €/km à Paris, 0,76 €/km en région), et d’éléments variables comme les pourboires, les primes météo (jusqu’à 15 € pour trois heures de pluie), ou encore des coefficients multiplicateurs pendant les pics d’activité.

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Mais cette mécanique tarifaire masque des effets pervers. Si le revenu minimum a été relevé, le tarif au kilomètre a été réduit, ce qui, selon de nombreux livreurs, rend une majorité de courses non rentables. En mars 2025, plusieurs manifestations ont eu lieu à travers la France pour réclamer un tarif plancher de 3,20 € par course et la fin des courses rémunérées à moins d’un euro par kilomètre. Une demande portée par une colère alimentée depuis l’hiver 2024-2025, où des courses à moins de 1 €/km ont été constatées pour la première fois.

Revenu brut affiché, revenu réel perçu : un écart grandissant

Uber Eats avance un revenu horaire brut moyen de 20,50 € pour l’année 2024. Mais les données de l’Autorité de Régulation des Plateformes d’Emploi (ARPE) apportent un éclairage plus nuancé, voire contradictoire. Le temps moyen de livraison a connu une hausse significative ces dernières années, passant de 11,1 minutes en 2021 à 15,3 minutes en 2023, avant de redescendre légèrement à 13,3 minutes en 2024. En parallèle, les temps d’attente sont restés globalement stables, avoisinant les 13,3 minutes.

Une fois ces durées prises en compte, les revenus horaires effectifs se situent plutôt entre 14 et 20 € brut. Pour un livreur travaillant 35 heures par semaine, cela représente un revenu brut mensuel théorique d’environ 1 800 €. Mais le revenu net réel, lui, est bien inférieur.

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Rémunération nette : un calcul implacable

Tous les livreurs doivent exercer sous le statut de micro-entrepreneur. Ce choix, imposé par le fonctionnement des plateformes, implique une série de charges. Hors exonération, les cotisations sociales représentent 21,2 % du chiffre d’affaires, réduites à 10,6 % pour les livreurs bénéficiant de l’ACRE (la première année).

À cela s’ajoutent les frais incompressibles liés à l’activité : assurance responsabilité civile (15 à 25 €/mois), entretien du véhicule (en moyenne 96 €/mois), carburant ou électricité (0,30 €/km), et location éventuelle de vélo électrique (70 €/mois avec le tarif négocié).

Un calcul type pour un livreur effectuant 35 heures de travail hebdomadaire et trois courses par heure aboutit à un revenu net d’environ 1 242 € par mois, soit 8,87 € net de l’heure, bien en dessous du SMIC horaire net (9,22 € en 2025). Et encore, ce calcul n’intègre ni les congés, ni les périodes d’inactivité, ni les risques d’accident ou d’usure physique.

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Une chute massive du pouvoir d’achat

Entre 2021 et 2024, le pouvoir d’achat des livreurs Uber Eats a chuté de 34,2 % selon les données de l’ARPE. En comparaison, la baisse est de 26,6 % chez Stuart et de 22,7 % chez Deliveroo. Cette dégradation s’explique principalement par l’allongement des prestations (+35,3 % de temps de livraison chez Uber Eats), alors que la rémunération n’a pas suivi, dans un contexte d’inflation cumulée de plus de 12 % sur trois ans (+5,2 % en 2022, +4,9 % en 2023, +2 % en 2024).

Cette baisse du revenu horaire ajusté, combinée à l’augmentation des coûts (énergie, entretien, matériel), conduit à une perte nette de revenus que les livreurs tentent de compenser, souvent en allongeant leurs journées ou en cumulant plusieurs plateformes.

Un métier à haut risque sanitaire et social

En mars 2025, l’Agence nationale de sécurité sanitaire (ANSES) a publié le premier rapport officiel sur les conditions de travail des livreurs. Le constat est sévère. Le management algorithmique, pilier du fonctionnement d’Uber Eats, est pointé comme facteur majeur de stress. L’isolement, l’exposition prolongée aux intempéries et la charge physique entraînent un risque accru de troubles musculosquelettiques et de dépression.

Les risques d’accidents sont bien réels. En 2023, 92 décès liés au risque routier ont été enregistrés parmi les livreurs. À ces chiffres s’ajoutent 33 suicides sur le lieu de travail. Mais la réalité est probablement bien plus sombre, les auto-entrepreneurs échappant pour une large part aux statistiques officielles.

Une requalification juridique en cours de route ?

Un tournant pourrait s’amorcer avec la directive européenne 2024/2831, publiée en novembre 2024. Ce texte impose aux États membres de transposer une présomption de salariat dès lors qu’un contrôle significatif est exercé par une plateforme. Il exige également une transparence sur les algorithmes et renforce les droits des travailleurs en matière de données et de recours.

La transposition en droit français doit intervenir d’ici décembre 2026. Le ministère du Travail a lancé un groupe de travail interministériel pour préparer ce basculement potentiel, qui pourrait entraîner une requalification massive des contrats.

Négociations, mobilisations et revendications syndicales

Depuis l’accord d’avril 2023 instaurant un revenu horaire minimal de 11,75 €, plusieurs syndicats dénoncent l’inaction de la plateforme et l’ineffectivité de cet engagement. Les négociations en cours sous l’égide de l’ARPE portent désormais sur la limitation du nombre de livreurs actifs simultanément, la régulation des algorithmes, et l’amélioration des procédures de désactivation.

À la suite des mobilisations de mars 2025, de nouvelles revendications ont émergé : un tarif plancher de 3,20 € par course, la fin des rémunérations inférieures à 1 €/km, et une transparence totale sur la logique algorithmique de répartition des courses.

Livrer pour survivre : les stratégies d’optimisation des travailleurs

Face à la dégradation des revenus, de nombreux livreurs adoptent une stratégie dite de « multi-plateforme », en travaillant simultanément pour Uber Eats, Deliveroo et Stuart. Cette approche permet de réduire les temps morts, d’optimiser les trajets, et d’augmenter le volume de courses.

Certains investissent dans des scooters électriques pour élargir leur périmètre, d’autres utilisent des applications de géolocalisation pour cibler les zones les plus rentables. La connaissance fine des créneaux horaires à forte demande devient une compétence clé. Dans ce modèle, seuls les plus stratégiques et les mieux équipés parviennent à maintenir un revenu viable.

Entre complément de revenu et impasse sociale

Malgré les mesures prises par Uber Eats en 2025, la situation des livreurs reste préoccupante. La chute de 34 % du pouvoir d’achat en trois ans révèle l’ampleur de la crise. L’année 2026 pourrait être décisive, avec la transposition d’une directive européenne susceptible de remettre en cause le statut même des travailleurs de plateforme.

D’ici là, les syndicats poursuivent leur mobilisation, les alertes sanitaires se multiplient, et la pression réglementaire s’intensifie. Pour les nouveaux entrants dans la profession, il est impératif d’évaluer soigneusement l’ensemble des charges et contraintes. Dans la majorité des cas, livrer devient une activité complémentaire, plus qu’un emploi principal durable.



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