Résumé Résumé
Gabriel Zucman, l’un des experts mondiaux de la fiscalité des ultra-riches, coche toutes les cases : il parle chiffres, équité, et mondialisation. Sa dernière proposition – un impôt plancher sur la fortune (IPF), plus connu sous le nom de « taxe Zucman » – cible un groupe minuscule mais emblématique : les 0,01 % de foyers fiscaux détenant plus de 100 millions d’euros. Pas les classes moyennes, ni même les très aisés. Les hyper-riches.
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L’objectif est simple : garantir qu’aucun milliardaire ne puisse, via optimisations ou niches, échapper à une contribution fiscale minimale équivalente à 2 % de son patrimoine net, actif professionnel compris. En théorie, l’idée séduit. En pratique, elle fait froncer bien des sourcils au sommet de l’État.
Depuis la remise du rapport Zucman et les débats au G20, la pression politique s’est intensifiée. Pourtant, l’exécutif français campe sur une ligne claire : ce ne sera pas pour maintenant. Emmanuel Macron l’a encore répété lors du Conseil des ministres du 12 juin : la priorité, c’est l’attractivité. Le président revendique le bilan de ses réformes – suppression de l’ISF, flat tax, stabilité réglementaire – et leur traduction concrète : 20 milliards d’euros d’investissements annoncés lors du sommet Choose France 2025. Dans cette logique, réintroduire un impôt sur le capital, même ciblé, serait une contradiction stratégique.
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Une taxe perçue comme une bombe à fragmentation économique
Sébastien Lecornu, désormais à Matignon, partage ce diagnostic. Pour lui, le vrai risque n’est pas l’injustice fiscale, mais la fragilisation de la base productive nationale. Car la taxe Zucman ne vise pas seulement les fortunes dormantes : elle inclut les parts dans des entreprises non cotées. Autrement dit, le cœur du capital entrepreneurial français. D’où le spectre agité par Marc Ferracci, ministre de l’Industrie : une taxation trop lourde pousserait certains à céder leurs parts ou à déplacer leur siège social. Pire : elle pourrait ouvrir la voie à une nationalisation rampante, par défaut, d’une partie du tissu industriel.
Le gouvernement redoute un effet boomerang : des recettes fiscales en baisse, des départs accrus, une désorganisation du capital productif. D’où cette formule que l’on entend désormais en off à Bercy : « le patrimoine, oui ; le patrimoine productif, non ».
La stratégie gouvernementale face à l’optimisation fiscale
Plutôt que de s’attaquer frontalement aux grandes fortunes, le gouvernement préfère une stratégie plus chirurgicale : lutter contre l’optimisation agressive. Dans le viseur, les holdings opaques, les montages permettant de neutraliser l’impôt via des exonérations en cascade. L’idée : faire rentrer dans le droit commun ce qui échappe encore à l’impôt, sans casser l’équilibre global du système.
Ce choix est aussi politique : il permet à l’exécutif de répondre à la demande d’équité fiscale sans prendre le risque de casser la dynamique d’investissement. Et il laisse une porte entrouverte : celle d’une réforme coordonnée, à l’échelle internationale.
L’argument du multilatéralisme pour gagner du temps
Car sur le fond, Emmanuel Macron n’est pas opposé à l’idée d’une taxation des ultra-riches. Il est opposé à ce que la France la mette en place seule. Selon lui, une réforme crédible doit être concertée, sous peine de créer une fuite massive des capitaux. « Il est illusoire de croire que les gens vont rester pour être taxés », résume-t-il. Le soutien affiché au G20 à un impôt mondial sur la fortune ne masque pas la réalité : Paris n’agira que si Washington, Berlin et Pékin bougent aussi. Une manière polie de dire : pas avant longtemps.
Depuis le départ de François Bayrou, la « minorité » présidentielle n’est plus aussi homogène. À gauche de Renaissance, plusieurs députés plaident ouvertement pour une mise en œuvre rapide de la taxe Zucman, vue comme une réponse aux fractures sociales. L’opposition en fait un étendard. Mais l’Élysée tient sa ligne : pas de tabou sur la contribution des riches, mais pas au prix d’un affaiblissement industriel.
Une posture libérale, assumée jusqu’au bout
L’opposition à la taxe Zucman n’est ni idéologique, ni dogmatique. Elle est stratégique. Macron et Lecornu ne veulent pas d’un impôt qui touche le capital productif tant que la France reste une économie ouverte, en concurrence directe avec ses voisins et les géants mondiaux. Ils préfèrent cibler les abus, sans casser la dynamique. Rester attractifs, quitte à agacer l’opinion. Assumer les déséquilibres, le temps qu’un cadre global émerge. Une politique du « en même temps », cette fois clairement penchée du côté du capital.