Nucléaire : la chute de Naarea

Crise chez Naarea : la start-up nucléaire, pourtant soutenue par France 2030, cherche 100 M€ pour éviter la liquidation. Que s’est-il passé ?

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Naarea, fleuron autoproclamé du renouveau nucléaire français, est désormais sous redressement judiciaire. Le 3 septembre, le tribunal de commerce de Nanterre a ouvert une procédure à la demande de l’entreprise, formulée une semaine plus tôt. L’information a été confirmée par Guilhem Plane, directeur financier de la société, qui évoque une situation de « cessation de paiement » et une « impasse de cash à court terme ». Créée en 2020, la start-up emploie aujourd’hui 200 salariés.

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Naarea développait un petit réacteur modulaire (SMR) à neutrons rapides aux sels fondus, d’une puissance de 80 mégawatts thermiques. Elle faisait partie des jeunes pousses soutenues par l’État dans le cadre du plan France 2030, avec une ambition affirmée : déployer une flotte de réacteurs d’ici 2040. Ce scénario s’éloigne brutalement.

Naarea face à une impasse financière et juridique

Concrètement, l’entreprise dispose désormais d’un délai d’observation de six mois, renouvelable deux fois, pour renégocier ses dettes et tenter de trouver de nouveaux financements. En l’absence de solution rapide, Naarea pourrait être placée en liquidation judiciaire.

Un appel à repreneurs a été lancé par l’administrateur judiciaire, une procédure que la direction affirme ne pas privilégier. Naarea affirme travailler à un tour de table « massif », de l’ordre de plusieurs centaines de millions d’euros. Deux fonds d’investissement européens auraient signé des lettres d’intention durant l’été. L’entreprise espère obtenir une première tranche d’environ 100 millions d’euros d’ici au 1er novembre.

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Ces annonces contrastent avec la réalité du marché. Le secteur nucléaire attire peu les investisseurs privés, en raison de ses cycles longs, de ses exigences capitalistiques et des contraintes réglementaires. Au cours des derniers mois, seules deux start-up françaises ont réussi à lever des fonds : Blue Capsule (2 millions d’euros) et Otrera (2,5 millions).

Un secteur nucléaire innovant en perte de vitesse

Pour réduire son burn rate, Naarea a mis en place un chômage partiel total de ses équipes durant le premier semestre 2025. La direction a également réduit le recours aux prestataires externes et n’a pas remplacé les postes vacants. Selon Guilhem Plane, ces mesures ont conduit à une réduction de 10 % des effectifs, qualifiée de « turnover classique ».

Ces décisions ont permis de diviser par deux le rythme des dépenses mensuelles, au prix d’un ralentissement de l’activité. La société n’est plus en phase d’expansion. Son calendrier initial – mise en service d’un prototype en 2027, tête de série en 2030 – est désormais caduc.

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Le rôle décisif de l’État et des financements publics

Les difficultés de Naarea ne sont pas isolées. D’autres acteurs du secteur traversent une période de forte turbulence. En Italie, la start-up Newcleo, souvent présentée comme l’un des équivalents européens de Naarea, est également en difficulté. Selon un audit réalisé par KPMG, sa viabilité dépend désormais d’une levée de fonds avant la mi-2026.

Plus globalement, c’est l’ensemble du secteur des SMR qui est fragilisé. Les financements publics se raréfient. Les investisseurs privés restent frileux, tandis que les perspectives industrielles s’éloignent.

La tonalité générale s’est encore durcie à la suite d’un audit confidentiel mené par les équipes du Haut-Commissaire à l’énergie atomique, Vincent Berger. Ce rapport, classé secret-défense et remis à l’Élysée en novembre dernier, dresse un état des lieux alarmant. Sur les onze start-up évaluées dans le cadre de France 2030, seules deux à quatre seraient capables de faire émerger un réacteur opérationnel à moyen terme.

Les conclusions du rapport, qui a mobilisé des chercheurs de l’université Paris-Dauphine, mettent en évidence de nombreuses défaillances techniques. L’approvisionnement en combustible est particulièrement pointé du doigt. Certains projets nécessitent des volumes de plutonium hors d’atteinte à l’échelle industrielle actuelle.

Vers une recomposition du paysage des start-up nucléaires

Dans ce tableau sombre, deux entreprises se distinguent : Jimmy Energy et Calogena. Leurs technologies, axées sur la production de chaleur industrielle, apparaissent plus réalistes à court terme. Jimmy Energy a franchi une étape importante en avril 2024 en déposant une demande d’autorisation de création (DAC) pour un réacteur destiné à alimenter un site industriel à Bazancourt (Marne).

Calogena, filiale du groupe Gorgé, affiche de son côté une feuille de route méthodique. Elle a déposé en novembre 2024 un dossier d’options de sûreté (DOS) auprès de l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN). Elle a également sécurisé, en août 2025, un site d’implantation à Cadarache, grâce à une lettre d’intention signée avec le CEA. Son réacteur de 30 MW, conçu spécifiquement pour le chauffage urbain, affiche un positionnement technologique différenciant.

Depuis sa création, Naarea a levé 90 millions d’euros et bénéficié de 10 millions de subvention dans le cadre de France 2030. Une nouvelle levée de fonds devait intervenir dès 2023, mais n’a jamais abouti. L’entreprise comptait sur une seconde vague de soutien public pour convaincre des investisseurs privés de plus en plus prudents.

Or, cette seconde phase a été gelée. Le séminaire de sélection prévu à l’automne 2024 a été reporté au printemps 2025. De surcroît, la procédure est désormais bien plus sélective. Le rapport Berger a changé la donne, en révélant les failles technico-industrielles des projets soutenus.

En parallèle, Naarea attend toujours l’attribution d’un site pour son réacteur. Un signal fort que l’entreprise réclame depuis deux ans. « Cela devient urgent », résume Guilhem Plane.

Autre point de tension : le remboursement du crédit impôt recherche (CIR). Naarea attend depuis cinq mois le versement de 4,6 millions d’euros au titre de l’année 2024. Ce délai, bien que marginalement dans les limites réglementaires, est jugé critique par la direction.

Ces retards témoignent des difficultés croissantes des start-up technologiques à mobiliser des ressources, qu’elles soient publiques ou privées, dans un contexte de restrictions budgétaires.

La situation de Naarea pourrait accélérer un mouvement de consolidation dans le secteur. Le constat posé par l’audit Berger et la raréfaction des financements renforcent l’idée qu’un recentrage sur quelques acteurs jugés plus crédibles est désormais inévitable.

En 2024, pour la première fois, le nombre de faillites de start-up post-Série A a dépassé celui des nouvelles levées de fonds, signalant un renversement structurel.

Le gouvernement se trouve aujourd’hui face à un choix difficile. Doit-il continuer à distribuer les subventions sur un large éventail de projets, au risque de diluer les moyens ? Ou concentrer ses efforts sur un nombre restreint d’acteurs ?

La réponse à cette question conditionnera l’avenir de la filière française des SMR. Elle pèsera également sur la crédibilité de la stratégie nucléaire portée par Emmanuel Macron dans le cadre de France 2030.

Certains experts, à la lumière des conclusions de l’audit Berger, plaident désormais pour une réorientation vers la recherche fondamentale. Ce changement de cap signerait un recul des ambitions industrielles immédiates, et un repositionnement en profondeur de la politique d’innovation nucléaire française.

Naarea, que ses dirigeants continuaient encore récemment à présenter comme un futur champion de la transition énergétique, est aujourd’hui en sursis. Le nucléaire d’innovation, après une phase d’euphorie, entre dans une zone de turbulence dont nul ne peut dire s’il sortira renforcé ou démantelé.



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1 commentaires sur « Nucléaire : la chute de Naarea »

  1. Il semblerait que les auteurs de cet article n’ont pas conscience de l’essentiel du problème. La France a commencé a perdre son savoir-faire nucléaire dès la mise a la retraite des grands anciens (J.C. Leny, Rémy Carle….). Voir l’échec patent de l’EPR. Au contraire la Chine a commencé dès cette époque à former ses ingénieurs et a comparer tous les modèles de réacteurs avant de définir leur programme. Aujourd’hui la Chine est prête pour une industrialisation à très grande échelle du nucléaire. Elle proposera des modèles de réacteurs sur le marché mondial pour une fraction du coût de tous ceux que la France espère construire. Cette coûteuse bataille pour la France se terminera mal si cette verité n’est pas admise et n’aboutit pas a des accords sérieux avec la Chine

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