La SNCF, nouvelle cible d’Elon Musk

Elon Musk va-t-il piloter le Wi-Fi de la SNCF ? Un choix stratégique qui divise entre efficacité américaine et indépendance technologique française.

Si vous avez déjà tenté de vous connecter au Wi-Fi d’un TGV, vous en gardez sans doute un souvenir mitigé. L’expérience reste aléatoire, limitée par des contraintes physiques bien connues : les parois métalliques du train créent un effet de cage de Faraday, tandis que le signal mobile relayé par les antennes au sol peine à suivre la cadence. Malgré des investissements progressifs, la couverture reste inégale et souvent défaillante.

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Face à cette impasse technique, la SNCF s’apprête à franchir une étape majeure. En juillet 2025, l’entreprise publique a lancé une consultation pour équiper ses TGV de connexions satellitaires. L’appel d’offres définitif est attendu d’ici la fin de l’année, avec des démonstrations prévues courant 2026. L’enjeu dépasse largement le confort des passagers : il s’agit d’un choix d’infrastructure qui engage la souveraineté numérique de la France.

Deux acteurs majeurs se détachent. D’un côté, Starlink, la constellation d’Elon Musk exploitée par SpaceX, revendique plus de 7 500 satellites actifs et plus de 4 millions d’utilisateurs dans le monde. De l’autre, Eutelsat, issu de la fusion avec OneWeb, déploie une flotte de 600 satellites, avec l’objectif d’atteindre 648 unités pour couvrir l’ensemble du territoire européen. À l’efficacité éprouvée de l’acteur américain, répond la promesse d’une autonomie industrielle et stratégique portée par un acteur majoritairement européen.

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Le choix est d’autant plus délicat que les précédents ne manquent pas. Air France a opté pour Starlink dès 2025 et équipé son premier Boeing 777-300ER de cette technologie, proposant désormais un Wi-Fi gratuit à ses passagers via son programme Flying Blue. La SNCF, plus prudente, envisage un modèle hybride : satellites pour les zones mal couvertes, réseau terrestre 4G/5G ailleurs. Une solution pragmatique, mais qui ne tranche pas le fond du dilemme : à qui confier l’infrastructure numérique d’un service public national transportant chaque jour plus de 10 millions de voyageurs ?

La question n’est pas simplement technique. Elle est aussi politique. Starlink a déjà montré sa capacité à exercer un pouvoir souverain sur ses services. En septembre 2023, Elon Musk avait suspendu un accès satellite au-dessus de la mer Noire, empêchant une opération militaire ukrainienne. Le précédent a marqué les esprits, illustrant le risque d’une dépendance à un acteur privé étranger capable de décisions unilatérales à portée géopolitique. En août 2025, une panne mondiale a rappelé une autre limite : la vulnérabilité technique d’un réseau centralisé.

En France, des interrogations persistent sur la compatibilité de Starlink avec le droit national. Contrairement aux opérateurs français, l’entreprise ne coopère pas systématiquement avec les autorités judiciaires. L’ARCEP dispose théoriquement de moyens de sanction, mais leur application reste complexe face à un acteur de cette envergure.

L’État, conscient des enjeux, a décidé d’intervenir. En juin 2025, il est devenu premier actionnaire d’Eutelsat en injectant 717 millions d’euros dans une augmentation de capital de 1,35 milliard. Dans la foulée, un contrat de 1 milliard d’euros a été signé avec l’armée française pour garantir une capacité de télécommunications souveraine sur dix ans. L’orientation est claire : soutenir une filière stratégique face à la domination américaine.

Cette politique s’inscrit dans une dynamique européenne plus large. La Commission européenne a identifié dès février 2025 la dépendance numérique comme un risque systémique. Le projet IRIS², lancé fin 2024 avec un budget de 10,6 milliards d’euros, vise à construire une constellation de 290 satellites d’ici 2030. L’objectif : assurer une connectivité indépendante avec des infrastructures exclusivement basées sur le territoire européen et des communications inter-satellitaires sécurisées par laser.

Un choix aux implications économiques et politiques fortes

Pour la SNCF, l’équation reste néanmoins économique. Le coût d’équipement d’un train varie de 350 000 euros à 2 millions selon la technologie utilisée. Le déploiement à grande échelle n’est envisagé qu’à l’horizon 2027-2028. Plusieurs modèles sont à l’étude : intégration du coût au billet, service additionnel payant, ou prise en charge partielle par les régions, qui investissent déjà pour connecter les TER. Le choix d’une solution hybride permettrait de mieux maîtriser les dépenses tout en conservant une marge de manœuvre stratégique.

Au-delà des questions de bande passante ou de confort, c’est bien une vision du futur numérique national qui se joue dans ce dossier. Le choix de la SNCF définira un cadre pour les décennies à venir. Entre l’efficacité immédiate de Starlink et les promesses de souveraineté d’Eutelsat, l’arbitrage ne portera pas seulement sur la qualité du Wi-Fi à bord, mais sur la capacité de la France à maintenir un contrôle sur ses infrastructures critiques dans un monde où la connectivité est devenue un enjeu fondamental de puissance.



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