Le temps clinique est devenu une ressource précieuse. Confrontés à une charge administrative croissante — documentation, formalités, correspondances —, les médecins voient leurs consultations se fragmenter. Dans ce paysage contraint, une start-up française entend redonner du souffle à la pratique médicale en déléguant à l’intelligence artificielle ce qui relève de la pure logistique.
En quelques années, Nabla s’est imposée comme une figure montante de la santé numérique. Et aujourd’hui, c’est le plus grand marché mondial, celui des États-Unis, qui plébiscite sa solution.
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Créée en 2018, la jeune pousse parisienne a développé Copilot, un assistant numérique conçu pour accompagner les soignants durant leurs consultations. Présenté comme une IA « ambiante », l’outil enregistre les échanges en temps réel — en présentiel comme en téléconsultation — puis génère un compte rendu médical structuré en moins d’une minute, allant des antécédents au diagnostic, jusqu’à la prescription et, si nécessaire, à une lettre d’orientation vers un spécialiste.
Le tout sans qu’aucune donnée ne soit conservée sur les serveurs de l’entreprise. La promesse est nette : un gain de temps estimé à une heure et demie par jour, et une production jugée conforme dans 95 % des cas selon les retours des utilisateurs.
Copilot, l’assistant intelligent
Cette performance est le fruit de trois années de développement menées au plus près du terrain médical. Basé sur le modèle de langage GPT-3 d’OpenAI, enrichi de modules de reconnaissance vocale et affûté par un lexique médical dense — noms de médicaments inclus —, Copilot vise la rigueur clinique plutôt que le spectaculaire. Pour Delphine Groll, directrice des opérations de Nabla, cette exigence de précision était incontournable pour gagner la confiance des praticiens.
Un premier jalon structurant a été posé en mars dernier : Kaiser Permanente, mastodonte de la santé aux États-Unis, a signé avec Nabla pour équiper 10 000 de ses médecins pendant un an. Le groupe, qui exploite 39 hôpitaux et plus de 600 centres de soins, devient ainsi le principal partenaire de la société. Une percée stratégique qui s’accompagne de l’ouverture d’un bureau à New York. « Les États-Unis sont notre priorité. C’est le marché le plus mature pour ce type de solution », confie Alexandre Lebrun, cofondateur et directeur général de Nabla.
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Percée sur le marché américain de la santé
Aujourd’hui, plus de 85 000 professionnels de santé dans le monde utilisent Copilot, qui s’intègre à de nombreux logiciels médicaux comme Epic, Cerner, Greenway ou Weda. Le dispositif est en place dans 130 établissements et couvre 55 spécialités. Selon la société, cela représente un volume annuel de près de 20 millions de consultations assistées.
Mais Nabla ne se limite pas à l’automatisation du compte rendu. L’entreprise voit dans ce premier usage une porte d’entrée vers une assistance numérique globale, capable d’intervenir à différentes étapes du parcours de soins. Elle travaille à l’intégration de fonctionnalités avancées : synthèses cliniques, rappels personnalisés envoyés aux patients, suggestions d’axes de consultation, codification médicale automatisée… Des usages qui, pour certains, nécessiteront un marquage CE afin d’être reconnus comme dispositifs médicaux à part entière. L’ambition est claire : bâtir une plateforme agentique modulable, à même de s’adapter à la diversité des pratiques cliniques.
Xavier Niel, Rodolphe Saadé, la famille Pinault…
Cette trajectoire s’appuie sur un écosystème d’investisseurs solides, parmi lesquels figurent Xavier Niel, Rodolphe Saadé, Artémis (holding de la famille Pinault) et le fonds britannique Firstminute Capital. Au total, 17 millions d’euros ont été levés pour accompagner la montée en puissance technologique de l’entreprise. Nabla, qui compte actuellement 35 salariés, entend renforcer ses équipes d’ingénierie pour étoffer sa gamme d’agents intelligents.
Si l’Amérique du Nord reste le terrain d’expérimentation principal, la start-up amorce désormais une offensive européenne. Encore marginale sur le marché hexagonal — la France représente moins de 5 % de son activité —, elle a lancé plusieurs projets pilotes avec des acteurs publics (AP-HP, Hôtel-Dieu) et privés (Ramsay Santé), et regarde également vers le Royaume-Uni. L’un des leviers identifiés : s’appuyer sur la recommandation des praticiens eux-mêmes auprès des plateformes logicielles qu’ils utilisent, plutôt que de passer par des circuits commerciaux classiques.
L’entreprise évolue toutefois dans un secteur sous haute tension. L’appétit des géants technologiques est manifeste. Microsoft a racheté en 2023 Nuance, spécialiste américain de la reconnaissance vocale médicale, pour près de 20 milliards de dollars. En France, Doctolib élargit sa proposition de valeur en intégrant toujours plus de services pour les praticiens, de la prise de rendez-vous à la messagerie instantanée. Après des années de retard dans sa transformation numérique, le secteur de la santé connaît une mutation rapide. Mais les obstacles demeurent : lenteur des processus réglementaires, multiplication des interfaces, pressions économiques et pénurie de personnel.