Le 24 juillet, LVMH a dévoilé des résultats en nette contraction : 39,8 milliards d’euros de chiffre d’affaires, en recul de 4 % en données publiées et de 3 % en organique. Le bénéfice net part du groupe chute de 22 % à 5,7 milliards d’euros, tandis que le résultat opérationnel courant recule de 15 % à 9 milliards. La dégradation s’accentue trimestre après trimestre : –3 % de ventes au premier trimestre, –4 % au second. La marge opérationnelle s’établit à 22,6 %, contre 25,5 % un an plus tôt.
A LIRE AUSSI
Luxe : pourquoi Hermès surclasse tous ses concurrents
Symbole encore plus marquant, le 15 avril, Hermès a dépassé LVMH en valorisation boursière pour la première fois depuis 2017. Avec 248,6 milliards d’euros contre 244,4 pour LVMH, l’épisode a rappelé aux investisseurs que le conglomérat souffrait d’une « décote » persistante. Si LVMH a repris la tête depuis (232,3 milliards contre 219 pour Hermès début août), la comparaison reste douloureuse : Hermès continue d’afficher une croissance solide (+8,5 % au premier trimestre), quand LVMH déçoit avec des ventes en retrait de 2 %.
A LIRE AUSSI
François-Henri Pinault, un héritier sous pression
Dépendance critique
La géographie des ventes met en lumière des déséquilibres. L’Europe progresse, portée par la demande locale. Les États-Unis restent stables malgré la menace des droits de douane. En revanche, le Japon recule nettement, victime de la remontée du yen qui réduit l’attrait touristique. En Chine, les dépenses de luxe stagnent après une chute de 18 à 20 % en 2024. Les consommateurs se montrent plus rationnels, plus exigeants, et privilégient désormais la valeur réelle des produits.
L’analyse par division révèle une dépendance critique : la mode et la maroquinerie génèrent près de la moitié du chiffre d’affaires et plus des deux tiers du résultat opérationnel, grâce à Louis Vuitton (55 % de la rentabilité totale) et Dior (14 %). Au deuxième trimestre, cette division recule de 9 %, avec un résultat opérationnel en baisse de 18 % sur le semestre.
Les autres branches souffrent également. Moët Hennessy enregistre un recul des ventes de 8 % et une chute de 33 % de son résultat opérationnel, pénalisé par le cognac en Chine et aux États-Unis. DFS peine à relancer son activité dans un duty-free fragilisé, tandis que Sephora, bien qu’en croissance (+2 %), n’est plus considérée comme un moteur central par certains analystes.
Une stratégie défensive
Bernard Arnault a lancé un nettoyage de portefeuille ciblé. Stella McCartney est sortie du périmètre début 2025, Off-White a été cédée en 2024, et Marc Jacobs est en cours de vente, potentiellement pour un milliard de dollars. Objectif : simplifier l’offre et se concentrer sur les actifs les plus rentables, avec une trésorerie disponible de 10,5 milliards d’euros.
Cette stratégie rassure sur la discipline financière, mais elle ne règle pas le problème central : la structure même du groupe.
A LIRE AUSSI
Chanel : deux ombres à la tête d’un empire
Dans les cercles financiers, l’idée progresse : transformer LVMH en trois entités cotées indépendantes. LVMH Fashion regrouperait Vuitton, Dior, Fendi, Loewe, Berluti ; LVMH Beauty rassemblerait Sephora, Guerlain, Givenchy, Benefit, Make Up For Ever ; LVMH Spirits inclurait Moët, Hennessy, Dom Pérignon, Belvedere, Château d’Esclans.
Les arguments sont puissants. Les analystes d’HSBC estiment que Louis Vuitton seul pourrait valoir plus que tout le groupe actuel. Hermès est valorisé plus de deux fois son bénéfice net, contre moins d’une fois pour LVMH. Une scission offrirait agilité, allocation de capital ciblée, lisibilité accrue pour les investisseurs, et pourrait créer une saine émulation entre entités.
Un dispositif familial prêt à l’emploi
Bernard Arnault a placé ses cinq enfants dans des positions stratégiques. Delphine Arnault dirige Christian Dior Couture et serait la candidate naturelle à la tête d’une division mode. Alexandre Arnault, à Moët Hennessy, pilote le redressement des spiritueux. Antoine Arnault cumule Berluti et l’image du groupe, profil adapté à la beauté. Frédéric Arnault prend la tête de Loro Piana, et Jean Arnault gère l’horlogerie Vuitton.
Quatre enfants siègent désormais au conseil d’administration. Le patriarche, dont le mandat a été prolongé jusqu’à 85 ans, dispose de neuf ans pour orchestrer la transformation. La famille contrôle 49 % du capital et près de 65 % des droits de vote via Groupe Arnault.
Des pressions extérieures croissantes
Les États-Unis imposent désormais 15 % de droits de douane sur les produits européens, un niveau qui pèse sur les marges. Les hausses de prix, moteur de 80 % de la croissance du luxe sur les cinq dernières années, ont atteint leurs limites. En Chine, le mouvement « Guochao » favorise les marques locales, tandis que les Millennials et la Gen Z réclament personnalisation et innovation.
La scission se heurte à un obstacle : les 34 % de Moët Hennessy détenus par Diageo, valorisés à 4,2 milliards d’euros. Un rachat, facilité par la sous-valorisation actuelle de LVMH (17,5 fois les bénéfices contre 21 à 24 fois en moyenne), permettrait de reprendre le contrôle total de la division spiritueux.
Trois scénarios en balance
Le premier : poursuivre la stratégie défensive, recentrer et céder les actifs périphériques. Le second : scinder le groupe, libérer la valeur de chaque branche et accélérer l’adaptation au marché. Le troisième : mener une offensive opportuniste via acquisitions ou rachat des parts de Diageo.