Vers une disparition du matcha japonais

Face à l'explosion de la demande mondiale, le Japon fait face à une pénurie inédite de matcha, menaçant une tradition artisanale séculaire.

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Il était jadis une fine poudre verte réservée à la cérémonie du thé, geste lent, presque sacré. Le matcha. Aujourd’hui, il se sirote en latte dans des gobelets en plastique, filmé sous toutes les coutures, propulsé par les algorithmes de TikTok et les hashtags wellness. Et comme souvent dans notre monde mondialisé, ce qui fut un art est devenu une industrie — jusqu’à l’épuisement.

Une demande mondiale qui dépasse la capacité du Japon

Le matcha a littéralement explosé. Passé de 4,3 milliards de dollars de chiffre d’affaires en 2023 à une projection de près de 10 milliards d’ici à 2032. Plus rapide qu’un rebond boursier post-crise. Plus addictif qu’un shot de caféine. Et bien plus instagrammable. Sur les réseaux sociaux, 15 milliards de vues pour un simple mot-dièse : #matcha. Ce n’est plus une boisson, c’est un symbole. Propre, pur, bio, zen. L’anti-cola par excellence.

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Sauf qu’en coulisses, le Japon suffoque. Les moulins tournent jour et nuit. Les feuilles de tencha manquent. Les producteurs affichent des messages d’arrêt de commande sur leurs sites. À Sayama, à Uji, à Kyoto, un mot ancien refait surface : pénurie. Le monde veut du matcha. Le Japon ne suit plus.

Au Moyen-Orient, c’est l’euphorie. À Dubaï, on ne jure plus que par le latte vert. Le matcha y est devenu aussi indispensable que le Wi-Fi dans les taxis. La croissance y frôle les 15 % par an. Aux États-Unis, Starbucks en a fait une boisson de masse. Et en Europe, les jeunes — surtout la génération Z — prennent le relais, entre deux posts sur la détox.

Cette mondialisation accélérée sature la chaîne de production. En 2024, le Japon a battu un record de production de tencha : plus de 5 000 tonnes. Une hausse de 170 % en dix ans. Mais cela reste trop peu. Le thé ne se clone pas. Il pousse lentement. Et il vieillit mal sous la canicule.

Le choc climatique fragilise la production artisanale

L’année 2024 a été un cauchemar climatique. À Uji, les bourgeons ont grillé sous un soleil trop pressé. Les récoltes ont chuté de 40 %. À cela s’ajoute un mal plus profond : le Japon manque d’agriculteurs. Surtout de jeunes. L’âge moyen d’un producteur de thé ? 67 ans. En vingt ans, quatre exploitations sur cinq ont disparu. Les champs se vident. Le savoir-faire aussi.

Et quand l’offre baisse, les prix s’envolent. À Kyoto, les enchères ont viré à la spéculation : jusqu’à 43 000 yens le kilo de tencha haut de gamme. Soit le double de l’année précédente. Les grandes maisons n’ont plus le choix : elles augmentent les prix, rationnent, priorisent les commandes internationales au détriment des clients japonais.

La crise démographique des producteurs de matcha

Le paradoxe est cruel. Plus le monde veut du matcha, moins il est disponible. Et plus la demande grimpe, plus elle détruit le système qui la nourrit. Car le matcha, le vrai, ne se produit pas à la chaîne. Il nécessite de l’ombre, du temps, du geste. Des moulins en pierre, pas des broyeurs industriels. L’emballement actuel déstabilise l’écosystème artisanal japonais, déjà fragilisé.

L’industrie tente de réagir. Des subventions apparaissent. L’État japonais pousse les producteurs de sencha à se convertir au tencha. On plante, on irrigue, on innove. À Taïwan, en Australie, des centres de recherche testent la culture sous serre. Mais tout cela prendra du temps. Et du temps, le matcha n’en a plus beaucoup.



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