À l’origine, une tablette de chocolat. Quelques ingrédients : pistache, kadaïf, chocolat noir ou au lait. Rien de révolutionnaire. Mais en 2021, à Dubaï, une pâtissière lance une version sur-marketée, sur-packagée, sur-exposée. Très vite, une vidéo TikTok, postée par une influenceuse, propulse le produit dans les tendances mondiales. En quelques semaines, la demande explose. Le prix aussi. Aujourd’hui, certaines tablettes s’achètent plus de 250 euros le kilo.
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Le mécanisme est connu : mise en scène léchée, édition limitée, pénurie orchestrée. Ce n’est pas vraiment le produit qui séduit, c’est la stratégie qui fonctionne. Le chocolat devient viral non pas pour ses qualités gustatives, mais pour ce qu’il suggère : une appartenance, une distinction, une image.
La ruée vers la pistache, et ses dégâts
Cette logique a des conséquences concrètes. En quelques mois, le marché de la pistache est déstabilisé. +30 % sur les prix, selon le Financial Times. Derrière l’engouement, une réalité : les volumes nécessaires pour suivre la demande pèsent sur la filière, des vergers aux usines. Certains producteurs se retrouvent à privilégier l’exportation au détriment des circuits locaux. D’autres ne tiennent plus la cadence. Les effets en cascade touchent déjà les transformateurs et les artisans.
Ce que montre cette flambée, c’est la capacité des réseaux sociaux à dérégler un secteur entier, en l’espace de quelques vidéos. Le contenu viral a un prix, rarement visible pour celles et ceux qui le produisent.
Le vrai, le faux, et le reste
Face au succès, les copies apparaissent. En France, en Turquie, en Allemagne, des marques s’emparent du phénomène. Le nom “chocolat Dubaï” est recyclé, les recettes simplifiées. La pistache diminue, le kadaïf disparaît, le chocolat est souvent remplacé par des versions sucrées à l’excès. Certains produits affichent des teneurs en pistache jusqu’à quatre fois inférieures à l’original.
Dans les rayons, difficile de distinguer l’authentique de l’imité. Sur les réseaux sociaux, encore plus. Le produit devient une référence floue, récupérée, imitée, modifiée. Une marchandise sans ancrage, sans label, sans exigence réelle. La seule constante : son apparence.
Substances classées comme cancérogènes
En Allemagne, l’organisation Stiftung Warentest analyse plusieurs tablettes dites “inspirées de Dubaï”. Les résultats sont clairs : aucune excellence gustative. En revanche, la présence d’aflatoxines, substances classées comme cancérogènes, est confirmée sur plusieurs références. On y trouve aussi des huiles de palme, des arômes de synthèse, des colorants, des agents texturants issus de l’industrie laitière. Autant d’éléments en contradiction avec l’image de luxe diffusée en ligne.
Certaines tablettes dépassent les seuils autorisés en Europe. Des rappels ont eu lieu. Des alertes ont été publiées par les autorités sanitaires françaises, allemandes, suisses. Mais la machine est lancée. La réalité sanitaire pèse peu face à la puissance de la demande.
Tout dans la construction du produit vise à faire oublier ce qu’il contient. Les boîtes sont dorées, les formats calibrés, les rubans soigneusement posés. L’expérience est conçue comme un spectacle : ouverture, découpe, partage en ligne. Le goût est secondaire. Ce qui compte, c’est la scène.
Certaines tablettes sont revendues à plus de 300 dollars l’unité sur des plateformes de niche. Le prix n’est plus lié à la fabrication, mais à la capacité à susciter l’envie. Ce que l’on achète, ce n’est pas du chocolat. C’est un effet. Un signal. Un extrait de notoriété prêt à consommer.
Feastables, ou la généralisation du phénomène
Ce modèle se répète. En 2022, le youtubeur américain MrBeast lance Feastables, une marque de chocolat présentée comme saine, équitable, engagée. Le prix est élevé, le marketing massif. Les vidéos cumulent des dizaines de millions de vues. Mais les tests révèlent un produit sans relief, bourré de sucre, parfois d’huile de palme. Deux déclinaisons seulement affichent un label équitable – limité au cacao.
Là encore, la logique prévaut : vendre un concept, pas un goût. Doper la visibilité, peu importe le contenu. Le produit n’est qu’un vecteur. Le vrai pouvoir est ailleurs – dans les chiffres, les clics, les vues.