Souveraineté industrielle : où en est la France ?

Souveraineté industrielle : face aux crises, la France tente de réagir. Entre ambitions affichées et réalités économiques, où en est la reconquête ?

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Le terme de souveraineté industrielle s’est imposé à coups de crises. D’abord sanitaire avec le Covid-19. Puis géopolitique, avec la guerre en Ukraine. Et enfin énergétique, avec la flambée des prix. Trois secousses qui ont mis à nu les dépendances critiques de l’économie française, dans des secteurs aussi sensibles que la pharmacie, l’automobile ou l’électronique. Depuis, l’autonomie productive est devenue une ligne directrice de la stratégie économique de l’État. Mais entre volontarisme affiché, inertie industrielle et retour du réel, la trajectoire reste heurtée.

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Une industrie abîmée… mais pas morte

Le point de départ est connu, douloureux et largement documenté : en un demi-siècle, la France a laissé s’évaporer plus de 2,5 millions d’emplois industriels. En 1970, l’industrie pesait 22 % du PIB. Aujourd’hui, à peine 11 %. Et pourtant, quelques ressorts tiennent encore. Un tissu de PME assez dense. Des géants mondiaux dans l’aéronautique, le luxe ou l’agroalimentaire. Et surtout un mix électrique largement décarboné grâce à l’atome.

Mais ces atouts n’effacent pas des fragilités patentes. Dans la pharmacie, entre 60 et 80 % des principes actifs sont encore importés d’Asie. Dans l’automobile, 70 % des microcontrôleurs viennent de l’étranger. Les pénuries de médicaments ou de composants ont réveillé l’idée de souveraineté industrielle, jusqu’au sommet de l’État, comme l’a illustré le Conseil des ministres du 15 mai 2025. Le mot d’ordre est donné. Reste à traduire l’intention en production.

L’industrie française dans le rouge

Lancée en 2017, la reconquête industrielle avait trouvé un début d’élan. Entre 2022 et 2023, 450 sites ont été ouverts ou relocalisés. 130 000 emplois créés. Et un pic symbolique : 189 usines nettes ouvertes en 2023. Mais dès 2024, le moteur cale. Moins de 90 ouvertures. Puis, au premier semestre 2025, la France repasse dans le rouge : 23 fermetures nettes d’usines, du jamais-vu depuis près de dix ans.

Trois secteurs encaissent de plein fouet : agroalimentaire, automobile et métallurgie. Le contexte mondial n’aide pas, entre ralentissement chinois, inflation américaine et guerre commerciale rampante. L’énergie reste chère, l’euro fort handicape les marges, et le différentiel de compétitivité avec les États-Unis ou la Chine se creuse. Résultat : +13 % de défaillances d’entreprises en 2024, +34,8 % de plans de sauvegarde de l’emploi. Même les investissements étrangers, pourtant bienvenus, marquent le pas (-7 %), malgré une politique de baisse de fiscalité et de simplification administrative entamée depuis huit ans.

L’État met le paquet… mais reste sous pression

Face à ce ralentissement, la réponse publique se veut massive, structurée, stratégique. Le plan France 2030 aligne 54 milliards d’euros sur cinq ans. Déjà 38 milliards engagés pour soutenir 7 400 projets, générer plus de 6 000 brevets et créer 155 000 emplois. L’accent porte autant sur la décarbonation que sur les technologies critiques.

La loi Industrie verte, adoptée en 2023, pousse l’accélération administrative : les délais d’implantation industrielle sont passés sous les neuf mois. Un nouveau statut de projet d’intérêt national majeur autorise des dérogations administratives, en cas d’enjeu stratégique. L’appel à projets « Première Usine » a déjà financé 91 dossiers, pour 392 millions d’euros d’aides, et près de 5 milliards d’investissements attendus.

Dans cette dynamique, les start-ups industrielles se multiplient. Plus de 2 500 jeunes pousses recensées. Et un alignement de plus en plus marqué avec les filières stratégiques choisies par l’État.

Des filières qui émergent

L’effort commence à dessiner des chaînes de valeur cohérentes. Quatre axes dominent : batteries, semi-conducteurs, médicaments critiques et hydrogène.

Dans les Hauts-de-France, la batterie s’incarne en trois lettres : AESC, Verkor, ProLogium. Trois gigafactories à Douai et Dunkerque, avec une promesse de 90 GWh annuels et plus de 5 000 emplois. La boucle se ferme avec le recyclage : l’unité Battri pourra traiter 35 000 tonnes de batteries par an.

Le cas des semi-conducteurs est plus nuancé. STMicroelectronics avait misé gros – 7,5 milliards d’euros en 2022 – avec le soutien de l’État. Mais en 2024, la chute de 24 % du chiffre d’affaires coupe court aux ambitions. 2 800 suppressions de postes. La réorientation vers l’électromobilité s’est avérée mal calée face à l’essor brutal de l’intelligence artificielle. Une tentative de rebond prend forme via un projet de packaging avancé porté par Thales, Radiall et Foxconn : objectif, 100 millions de systèmes par an d’ici 2031.

En pharmacie, le retour se concrétise plus vite. Quatorze projets pour relocaliser 42 molécules critiques. À Roussillon, Seqens construit une unité de paracétamol capable de couvrir la moitié des besoins européens. À Toulouse, Ipsophene expérimente un procédé continu innovant. Delpharm, AdhexPharma et d’autres renforcent les capacités dans les patchs, seringues et biomédicaments.

L’hydrogène, enfin, sort de la phase pilote. À Blanquefort, HDF Energy inaugure la première usine mondiale de piles à combustible de forte puissance. À Port-la-Nouvelle, le projet Hyd’Occ vise une production de 6 000 tonnes d’hydrogène vert dès 2028. Grâce à un mix électrique décarboné, la France dispose ici d’un vrai levier stratégique.

Les verrous sont toujours là

Mais ces avancées se heurtent à trois plafonds de verre. D’abord, le prix de l’énergie : 0,20 euro/kWh en France, contre 0,07 aux États-Unis. Le marché européen de l’électricité pèse lourd. Ensuite, la fiscalité, allégée de 5,6 milliards d’euros depuis 2017, mais encore 1,4 point au-dessus de la moyenne européenne. Et surtout : les bras manquent. Dans les filières batteries, hydrogène et semi-conducteurs, 56 % des entreprises peinent à recruter techniciens et ingénieurs.

À cela s’ajoutent les nouveaux tarifs douaniers entre l’Europe et les Etats-Unis et des délais administratifs toujours incertains, notamment sur les autorisations environnementales. Une usine peut être « prioritaire » sur le papier, mais bloquée par des recours pendant des mois. Ce décalage entre ambition politique et réalité procédurale menace l’élan de réindustrialisation.



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