C’est un parfum de reddition qui flotte sur les rives de Bruxelles, au lendemain de l’accord scellé entre les États-Unis et l’Union européenne. Quinze pour cent : un chiffre sec, sans appel, frappé comme une amende sur l’orgueil européen. Pendant que Washington exulte dans l’ombre de ses ambitions tarifaires, l’Europe s’agenouille, lestée par ses divisions internes et sa mémoire effacée d’un projet souverain.
Ursula von der Leyen, présidente d’une Commission européenne dont la parole est censée incarner l’intérêt collectif, présente ce compromis comme un soulagement. Mais quel soulagement ? Celui d’avoir évité l’abîme d’une guerre commerciale totale avec un Donald Trump revenu en conquérant ? Ou celui plus amer d’avoir plié sans combattre vraiment, se résignant à la logique unilatérale d’un partenaire devenu prédateur ?
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L’Europe négocie à reculons
Ce que cet accord dit de notre époque, c’est moins la violence des États-Unis que la fragilité de l’Union. Une Union incapable d’aligner ses membres sur une posture ferme, plus préoccupée par les intérêts de l’automobile allemande ou de la distillerie irlandaise que par l’affirmation stratégique d’un continent. À l’inverse de la Chine, qui défend son modèle économique à la pointe des rapports de force, l’Europe, elle, négocie à reculons, concède pour exister, subit pour durer.
Les voix critiques n’ont pas manqué. François Bayrou parle d’un « jour sombre », Benjamin Haddad évoque un « déséquilibre » préoccupant, et Viktor Orbán ironise sur une Von der Leyen « mangée au petit-déjeuner ». En creux, se dessine une évidence : l’Europe n’a pas défendu un projet politique, elle a géré une crise. À courte vue. Avec des outils rouillés. Et dans un silence institutionnel qui confine à l’abandon.
Braquage à l’américaine
Oui, l’accord sauve quelques secteurs stratégiques : aéronautique, spiritueux, médicaments. Oui, les grandes lignes de la régulation numérique européenne restent debout, pour l’instant. Mais ces miettes ne masquent pas le déséquilibre fondamental de l’échange. Car pendant que l’Europe promet 750 milliards d’achats énergétiques et 600 milliards d’investissements aux États-Unis, elle reçoit une claque douanière en retour. L’art de se faire voler en pleine lumière, et d’en remercier le voleur.
Pire encore : ce compromis institutionnalise une soumission. Il acte le basculement vers un commerce mondial fracturé, fragmenté, où l’OMC n’est plus qu’un vestige, et où la loi du plus fort reprend ses droits. En cela, ce deal est une victoire américaine – mais une victoire à la Pyrrhus. Car le protectionnisme, une fois enclenché, pénalise tout le monde. Y compris ses instigateurs. L’Amérique récoltera peut-être quelques dividendes immédiats, mais au prix d’une inflation renforcée, d’une croissance bridée, et d’une tension diplomatique accrue.
Pour l’Europe, le risque est plus profond encore : celui du décrochage. Celui d’une marginalisation progressive sur la scène mondiale. Si la stratégie commerciale de l’UE ne se réinvente pas rapidement – en défendant des accords plus équilibrés, en se protégeant des concurrences déloyales, en investissant dans son autonomie industrielle – alors cette séquence ne sera que le premier acte d’un affaissement durable.