Le 24 juillet 2025, un prototype du H160M « Guépard » a décollé de Marignane pour son tout premier vol. Une étape déterminante pour cet hélicoptère interarmées léger, appelé à remplacer cinq flottes distinctes au sein des forces françaises.
En présence d’équipes d’Airbus Helicopters et de représentants de la Direction générale de l’armement (DGA), ce vol inaugural a validé les premières capacités dynamiques de l’appareil, quelques jours seulement après sa présentation lors du défilé militaire du 14 juillet. Il marque l’entrée concrète du Guépard dans sa phase de qualification, après huit ans de conception, d’essais au sol et d’industrialisation.
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Développé à partir de la plateforme civile H160, le Guépard répond à un objectif central de la politique de défense française : rationaliser les moyens aériens tout en étendant les capacités opérationnelles des forces. Son développement, soutenu par une commande globale de 10 milliards d’euros, s’inscrit dans la stratégie du ministère des Armées visant à moderniser les flottes, renforcer l’interopérabilité et maîtriser les coûts de possession.
Le programme HIL : un hélicoptère pour toutes les armées
Le programme HIL (Hélicoptère Interarmées Léger) a été lancé en 2017 avec pour ambition de remplacer les hélicoptères Fennec, Gazelle, Panther, Alouette III et Dauphin. L’idée fondatrice est de disposer d’une plateforme unique, modulable selon les besoins spécifiques des armées de Terre, de l’Air et de la Marine, sur le modèle de ce qu’incarne le Rafale dans l’aviation de combat.
En mai 2019, la ministre Florence Parly annonçait l’accélération du programme, avançant les premières livraisons à 2026. C’est également à cette date que le nom « Guépard » a été attribué à la version militarisée du H160. La commande globale a été finalisée en décembre 2021 pour un total de 169 appareils, assortis de prestations de soutien, de formation et de maintenance sur dix ans.
Avant cette commande, un marché de pré-développement avait été notifié à Airbus Helicopters et Safran Helicopter Engines fin 2020, tandis que la Gendarmerie nationale annonçait en parallèle l’acquisition de dix H160 pour ses missions de sécurité intérieure. Les livraisons, initialement prévues pour 2023, ont été décalées à 2024.
Mais c’est bien le vol du 24 juillet 2025 qui marque une bascule dans la chronologie du programme. Réalisé à Marignane sur un appareil d’essai fortement instrumenté, il ouvre la voie à une campagne d’essais complète, pilotée par la DGA, en vue des premières livraisons opérationnelles prévues en 2027.
Missions et configurations du H160M Guépard
Le Guépard a été conçu pour répondre à une logique de mutualisation interarmées, tout en s’adaptant aux contraintes de chaque milieu : terrestre, maritime, aérien.
L’armée de Terre recevra 80 exemplaires, principalement affectés à l’ALAT pour des missions de reconnaissance, d’appui-feu, d’infiltration de forces spéciales ou de transport logistique. La Marine nationale en exploitera 49, configurés pour les opérations aéromaritimes avec des radômes spécifiques et des points d’armement adaptés. L’armée de l’Air et de l’Espace intégrera 40 hélicoptères, dédiés à la recherche et au sauvetage, au renseignement et à la sûreté aérienne basse altitude. Enfin, la Gendarmerie bénéficiera de dix H160 configurés pour les missions de secours, de police judiciaire et de lutte antiterroriste.
Le Guépard est un appareil de 6 tonnes, propulsé par deux moteurs Safran Arrano. Il embarque deux pilotes et cinq soldats équipés, affiche une vitesse de croisière de 272 km/h et une autonomie de 848 km. Il peut être ravitaillé en vol par un KC-130J, un atout stratégique pour les opérations de longue durée.
L’armement est modulaire : mitrailleuses de sabord, fusils de précision, roquettes guidées par laser, missiles antinavires Sea Venom (ANL), mitrailleuses latérales ou axiales. Des systèmes d’autoprotection électronique et thermique viennent renforcer la survie en environnement contesté. Les essais d’intégration des armements sont programmés à l’été 2026 sur les polygones de la DGA.
Avionique avancée, radar intelligent et interopérabilité
L’appareil intègre l’avionique FlytX développée par Thales : une interface compacte et modulaire, allégée en câblage, pensée pour faciliter l’exploitation et la maintenance. Elle permet également une montée en gamme progressive par mises à jour logicielles.
Le radar Airmaster C, également fourni par Thales, constitue un autre point fort. Ce système AESA à balayage électronique actif en bande X offre une compacité et une efficacité énergétique inédites. Il est issu du démonstrateur DRAGON, dont la campagne d’essais en vol a été lancée en mai 2025. Son traitement numérique multi-polarisation permet une détection fine dans des contextes d’interférence complexe.
Le système optronique de Safran complète cette panoplie avec des capacités d’observation et de ciblage jour/nuit de longue portée. Le Guépard embarque aussi des capteurs pour le renseignement et la surveillance tactique.
Enfin, le Guépard est conçu pour fonctionner en interaction avec des drones « équipiers ». Cette coopération homme-machine repose sur une architecture de communication durcie et une navigation autonome, même en environnement brouillé. Les doctrines d’emploi associées sont en cours de définition avec les états-majors.
Une industrie mobilisée autour d’un programme structurant
Piloté depuis le site Airbus Helicopters de Marignane, le programme HIL implique plus de 2 000 emplois directs et indirects sur le territoire français. Il s’inscrit dans une dynamique industrielle solide : à la mi-2025, Airbus Helicopters enregistrait une hausse de 58 % de ses prises de commandes par rapport à 2024, avec un carnet de 942 appareils.
Le Guépard repose sur une logique de double usage civil-militaire. Cette convergence entre les besoins de défense et ceux du transport public permet de mutualiser les investissements industriels tout en optimisant la logistique et la formation.
Bien que la version militaire du H160 n’ait pas encore trouvé preneur à l’export, Airbus compte sur les succès techniques du programme français pour convaincre d’éventuels acheteurs étrangers. La médiatisation du vol inaugural et la participation du prototype au défilé du 14 juillet ont renforcé cette visibilité.
Un jalon clé pour l’aéronautique militaire française
La campagne d’essais en vol se poursuivra jusqu’en 2028, avec une montée en puissance progressive des systèmes embarqués. L’année 2025 constitue à ce titre une étape critique, avec le vol inaugural comme marqueur d’entrée dans la phase industrielle.
Le Guépard incarne une rupture dans la conception des flottes militaires françaises. À la fois polyvalent, évolutif, interopérable et résilient, il reflète une volonté claire : rationaliser sans affaiblir, moderniser sans fragmenter, et préparer les forces à des engagements de plus en plus numérisés.
Pensé comme un nœud tactique, capable de dialoguer avec les autres vecteurs du champ de bataille, il est plus qu’un hélicoptère. Il est un système embarqué dans un système plus vaste — celui d’une armée en pleine transition technologique et stratégique.