L’insécurité augmente sur les aires d’autoroute

Les aires d’autoroute françaises, censées offrir repos et sécurité aux automobilistes, concentrent aujourd’hui une série de menaces qui remettent en cause leur vocation première. Accidents, agressions, criminalité organisée, défaillances de surveillance : ces haltes, présentes tous les 20 à 30 kilomètres sur le réseau autoroutier, sont devenues le théâtre de situations à haut risque, souvent invisibles pour les usagers pressés. État des lieux d’un phénomène sous-estimé.

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Des accidents fréquents autour des aires de repos

Les chiffres sont sans équivoque : 4 % des accidents mortels sur autoroute surviennent à proximité immédiate d’une aire de repos. Plus largement, un accident sur deux sur autoroute a lieu près d’une bretelle d’entrée ou de sortie. Ces données traduisent une réalité méconnue : les abords des aires d’autoroute concentrent des risques spécifiques, liés aux changements de rythme de conduite, aux manœuvres de stationnement, ou encore à la fatigue accumulée.

En avril 2017, un accident survenu sur l’aire de repos de l’A11 avait coûté la vie à deux personnes. Une conductrice ayant perdu le contrôle de son véhicule avait percuté une autre automobiliste faisant le plein de carburant. Un drame révélateur du danger que représente l’articulation, souvent chaotique, entre véhicules en mouvement et piétons en stationnement.

Les agents autoroutiers ne sont pas épargnés. En 2023, 144 accidents impliquant du personnel ont été recensés, entraînant 22 blessés et un décès. Un fourgon d’intervention est heurté en moyenne chaque semaine sur le réseau VINCI Autoroutes. Ces incidents sont majoritairement causés par l’inattention ou la somnolence des conducteurs. Près de 60 % des accidents sont liés à un non-respect du corridor de sécurité, pourtant inscrit dans le Code de la route depuis plusieurs années.

Criminalité itinérante : des méthodes rodées et ciblées

Si le risque routier est bien documenté, les formes de délinquance qui s’y développent le sont beaucoup moins. « L’été, il y a une recrudescence du nombre de vols sur les aires d’autoroutes », confirme-t-on du côté de l’escadron de sécurité routière des Yvelines. Les méthodes employées sont souvent rôdées : vol à la portière, distraction volontaire d’un passager, ou utilisation de leurres mécaniques pour créer des situations de vulnérabilité.

Parmi ces techniques, la méthode dite « péruvienne » s’impose comme l’une des plus redoutables. Une équipe de malfaiteurs repère un véhicule de touristes, crée une diversion (crevaison simulée, appel à l’aide), puis s’introduit dans l’habitacle pour subtiliser sacs, portefeuilles ou documents. Sur l’autoroute entre Perpignan et Barcelone, près de sept touristes en sont victimes chaque jour, selon les autorités locales.

L’autoroute espagnole AP-7 est devenue emblématique de cette criminalité mobile. En 2023, 2 645 vols y ont été signalés, contre 1 278 en 2021. Cette hausse de plus de 100 % s’explique en partie par la suppression des péages, qui facilite la circulation des groupes criminels, souvent originaires d’Europe de l’Est selon les autorités espagnoles.

Des dispositifs de sécurité encore trop inégaux

L’état des infrastructures de sécurité sur les aires de repos reste inégal. Un test européen mené en 2009 sur 101 aires de repos révélait déjà des manques criants : 17 d’entre elles obtenaient la mention « très insuffisant », 22 autres « insuffisant ». L’éclairage nocturne y est souvent défaillant, renforçant le sentiment d’insécurité et les conditions propices aux agressions.

La vidéoprotection, bien qu’en développement, se heurte à des limites légales. Seules les autorités publiques peuvent légalement filmer la voie publique. Les concessionnaires privés, qui gèrent une large part des aires de services, ne peuvent donc déployer que des dispositifs restreints à la sphère privée, ce qui limite leur efficacité.

La présence humaine, quant à elle, reste insuffisante au regard des besoins. Les pelotons d’autoroute de la gendarmerie assurent des patrouilles régulières, mais les effectifs ne permettent pas une surveillance constante du territoire. Une expérimentation conduite depuis 2018 sur l’aire de Montélimar a toutefois montré son efficacité : l’installation d’un Poste avancé de prévention et de contact (PAPC) a permis une baisse de 38 % des vols à la roulotte dès la première année.

Des pistes pour améliorer la sécurité des aires d’autoroute

L’insécurité sur les aires n’est pas sans conséquences pour les automobilistes. Elle engendre des traumatismes durables. Ce type d’événement laisse des traces et modifie les comportements. De nombreux automobilistes affirment limiter désormais leurs arrêts au strict minimum, voire s’en abstenir complètement.

Or, ce réflexe d’évitement contrevient aux recommandations de sécurité routière, qui préconisent une pause toutes les deux heures. En réduisant leurs arrêts, certains usagers aggravent leur niveau de fatigue, augmentant indirectement le risque d’accident sur la route.

Les pertes financières sont parfois considérables : une victime récente sur l’AP-7 s’est vue dérober 2 500 euros en liquide ainsi que ses papiers d’identité, rendant son retour en France particulièrement complexe.

Les autorités ne sont pas restées inactives. Plusieurs campagnes de sensibilisation ont vu le jour, notamment celle lancée par VINCI Autoroutes sous le titre « Quand allez-vous percuter ? », qui met en scène des fourgons accidentés pour souligner la vulnérabilité des agents en intervention. Trois nouveaux panneaux pédagogiques sur le corridor de sécurité ont été intégrés dans la signalisation routière par arrêté ministériel du 5 avril 2024.

Le recours aux technologies s’intensifie également. Sur les 4 500 kilomètres de réseau exploités par VINCI Autoroutes, 8 400 caméras sont désormais déployées, permettant une surveillance en temps réel. Les systèmes intègrent des fonctions de floutage automatique des zones privées, afin de respecter les règles du RGPD.

Les opérations de contrôle se multiplient sur les aires. Le 12 juin 2025, une opération d’envergure a mobilisé 110 gendarmes et permis de contrôler 930 personnes sur une aire de service particulièrement fréquentée. Une stratégie de ciblage ponctuel qui montre son efficacité, mais reste difficilement généralisable.

Les experts recommandent aux automobilistes d’adopter des réflexes simples : verrouiller systématiquement son véhicule, ne jamais laisser d’objets visibles dans l’habitacle, se méfier des approches suspectes. Des applications comme SOS Autoroute permettent également de signaler rapidement un problème ou de demander assistance.

Pour les autorités, plusieurs leviers sont identifiés : renforcement de l’éclairage, développement de la vidéoprotection dans les limites du cadre légal, augmentation du nombre de patrouilles de gendarmerie, notamment la nuit. La généralisation du modèle PAPC pourrait offrir une réponse plus systémique, notamment sur les aires les plus fréquentées du pays.



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