Alors que la contestation contre la loi Duplomb se poursuit sur les bancs de l’Assemblée comme dans la rue, une pétition citoyenne appelant à son abrogation a dépassé les 550 000 signatures en 10 jours. Une dynamique inédite qui pourrait déclencher un nouveau débat parlementaire et qui ennuie considérablement le gouvernement Bayrou.
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Bientôt un million de signatures contre la Loi Duplomb
Éléonore Pattery à l’origine de cette pétition
Un vent de fronde souffle sur la loi Duplomb, adoptée le 8 juillet dernier par 316 voix contre 223, avec 25 abstentions. Présenté par ses défenseurs comme un texte destiné à « lever les entraves » qui pèsent sur les agriculteurs français, le projet suscite un rejet croissant au sein de la société civile. Point de cristallisation : une pétition en ligne, lancée par une jeune étudiante, Éléonore Pattery, connaît un succès fulgurant. En huit jours, elle a rassemblé plus de 400 000 signatures authentifiées. À 500 000, elle pourrait permettre à la Conférence des présidents de l’Assemblée nationale de décider d’organiser un débat public sur ce texte explosif.
Portée par le sénateur Laurent Duplomb, la loi entend « simplifier les normes » et « libérer les forces productives » en milieu rural. Mais pour ses détracteurs, elle incarne au contraire un recul brutal des protections environnementales. Le texte prévoit notamment la réintroduction de l’acétamipride, un néonicotinoïde interdit en France depuis 2020, du fait de ses effets délétères sur les pollinisateurs. Il facilite également la création d’unités agricoles classées (ICPE) en réduisant leur encadrement réglementaire, et accorde aux projets de stockage d’eau une présomption « d’intérêt général majeur » — ouvrant potentiellement la voie à une multiplication des mégabassines.
Ces mesures ont suscité une onde de choc, jusque dans les rangs de la majorité présidentielle. Plusieurs députés macronistes se sont abstenus ou ont exprimé leur malaise. Pour une partie d’entre eux, le vote s’est fait à reculons, dans un contexte de forte pression syndicale, en particulier après les mobilisations agricoles du début d’année.
Une réponse citoyenne inédite
Face à ce qu’elle qualifie de « capitulation écologique », Éléonore Pattery, 23 ans, étudiante en master QSE (Qualité, Sécurité, Environnement) et RSE (Responsabilité Sociétale des Entreprises), a lancé une pétition en ligne intitulée « Non à la loi Duplomb ». Le texte de la pétition est sans ambiguïté : « Cette loi est une attaque frontale contre la santé publique, la biodiversité, la cohérence des politiques climatiques, la sécurité alimentaire et le bon sens. »
L’appel a immédiatement trouvé un écho. En trois jours, plus de 100 000 citoyens l’avaient signée. Ce vendredi 18 juillet, la barre des 200 000 signatures a été largement franchie, avec un rythme de progression inédit pour une initiative citoyenne de ce type. L’engouement s’appuie sur une coalition large : ONG environnementales (WWF France, Générations Futures), élus écologistes, figures du monde associatif, mais aussi de nombreux citoyens non engagés, qui voient dans ce combat une ligne rouge symbolique.
Une mécanique institutionnelle
Depuis 2020, une réforme du règlement de l’Assemblée nationale permet aux pétitions citoyennes dépassant 100 000 signatures d’être examinées par une commission parlementaire. Une fois déposée officiellement, la pétition est attribuée à une commission permanente, qui désigne un député-rapporteur. Ce dernier peut recommander l’examen du texte ou son classement pur et simple.
Mais un second seuil ouvre une autre voie : si la pétition atteint 500 000 signatures réparties sur au moins 30 départements, la Conférence des présidents de l’Assemblée nationale peut décider d’organiser un débat public en séance plénière. Une disposition encore jamais activée à ce jour. Le compte à rebours est lancé : les porteurs de la pétition espèrent atteindre ce seuil symbolique avant la rentrée parlementaire de septembre.
Parallèlement à cette mobilisation citoyenne, l’opposition parlementaire a engagé un bras de fer constitutionnel. Le 11 juillet, un premier recours a été déposé par les groupes LFI, Écologistes et Communistes, rapidement suivis par une saisine distincte du groupe Socialiste. Les deux recours s’appuient sur des principes fondamentaux : le principe de précaution inscrit dans la Charte de l’environnement et le principe de non-régression, qui interdit tout retour en arrière sur les normes environnementales sans justification impérieuse.
Les requérants ciblent non seulement le retour des pesticides mais aussi les mesures relatives aux ICPE et aux projets de stockage d’eau. Pour eux, la loi Duplomb va à l’encontre des engagements climatiques de la France, du droit européen, et plus largement du pacte social écologique que de nombreux citoyens estiment avoir signé lors des dernières élections.
Plusieurs députés de la majorité ont discrètement fait savoir qu’ils pourraient reconsidérer leur position si le texte revenait dans l’hémicycle. La perspective d’un débat public relancé par une initiative citoyenne placerait le gouvernement face à un choix stratégique : s’obstiner ou composer.