C’est une forme de solitude qui ne dit pas son nom. Une impasse que dissimule mal le vernis de l’arrogance, le goût de l’esbroufe, et la posture belliqueuse de celle qui se rêve en pasionaria de la droite populaire. Rachida Dati, ministre de la Culture d’un gouvernement en perdition morale, multiplie les revers. Judiciaires, politiques, symboliques. Ils sont autant de signaux faibles d’un pouvoir qui se cabre, qui s’enferre, qui confond autorité et autoritarisme, justice et vengeance, débat et diffamation.
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Procédure abusive contre Aurélie Filippetti
En quelques jours à peine, trois échecs cinglants sont venus écorner la cuirasse d’impunité que l’intéressée tente de maintenir à coups de procès, de provocations et de coups médiatiques. Le premier, le plus grave peut-être, est la confirmation par la justice du bien-fondé du réquisitoire du Parquet national financier. Corruption passive, trafic d’influence par personne investie d’un mandat électif : des mots lourds, qui disent beaucoup du soupçon profond qui pèse sur les pratiques politiques d’un certain ancien monde, encore bien vivant dans les arcanes de la Macronie.
Le second revers, plus discret mais non moins significatif, est d’ordre parlementaire : la réforme de l’audiovisuel public, que Dati portait avec une brutalité assumée, a été sèchement retoquée à l’Assemblée. Censée fusionner les entités de l’audiovisuel public au pas de charge, elle traduisait une obsession gestionnaire au détriment de l’indépendance éditoriale. Et une volonté politique à peine voilée de placer l’audiovisuel sous surveillance.
Mais c’est le troisième camouflet, infligé ce 3 juillet, qui résume peut-être le mieux le mode d’action de la ministre : une justice convoquée non pour faire droit, mais pour faire taire. Rachida Dati vient de perdre le procès en diffamation qu’elle avait intenté à l’une de ses prédécesseures, Aurélie Filippetti. Une défaite sèche : la justice a condamné la ministre pour procédure abusive. Autrement dit, pour avoir tenté d’instrumentaliser la justice à des fins politiques.
Stratégie procédurière
Rachida Dati attaque. Toujours. Souvent contre les journalistes — Patrick Cohen, Libération, Le Nouvel Obs. Parfois contre ses adversaires politiques — Aurélie Filippetti, Emmanuel Grégoire, Lamia El Aaraje. Rarement avec succès. Cette frénésie procédurière, cette judiciarisation systématique du débat, dessine un paysage inquiétant : celui d’une politique devenue chasse gardée, où la critique est perçue comme une offense, l’opposition comme une agression.
Qu’a donc dit Aurélie Filippetti qui mérite procès ? Elle a évoqué — dans les termes certes directs mais fondés — les liens anciens et publics entre Rachida Dati et l’Azerbaïdjan. Ce pays, où la corruption est une méthode diplomatique, avait été salué en 2012 par Dati comme un modèle. En 2011, elle organisait un somptueux dîner pour ses dignitaires dans les jardins du musée Rodin. Ces faits sont documentés. Rappelés. Répétés. Les nier ne les efface pas.
Mais ce procès-là, Rachida Dati l’a perdu. Et ce qu’elle a tenté n’était rien d’autre qu’une procédure-bâillon. Une volonté de museler la parole critique en déguisant la censure en diffamation. C’est cela, le cœur du problème. Non pas l’attachement supposé à la République ou à l’État de droit, mais la tentation constante de s’en servir pour intimider. Pour inverser les rôles. Pour transformer l’attaque en défense, et la critique en calomnie.
Et derrière cette stratégie, il y a une ambition : celle de ravir Paris, de redevenir la star déchue de la droite. En se rêvant en Margaret Thatcher du bitume parisien, Rachida Dati prend ses adversaires pour des ennemis, la presse pour une nuisance, et la justice pour un instrument. Mais cette politique de l’affrontement permanent finit par produire l’effet inverse : elle révèle la vacuité du projet, le cynisme de la méthode, la solitude de celle qui n’a plus que le procès comme langage.
Il est temps que les mots reprennent le dessus sur les menaces, que le débat public soit à nouveau l’espace du désaccord et non celui de la répression. Car ce que dessine la trajectoire judiciaire et politique de Rachida Dati, ce n’est pas seulement son propre isolement. C’est une alerte, une de plus, sur la dégradation de notre vie démocratique.