GHB, médicaments, piqûres : la psychose s’empare des soirées

Entre panique collective, détournement de médicaments et agressions ciblées, les soirées d’été virent au climat de psychose généralisée.

Les piqûres sauvages refont surface dans les soirées, les cas de soumission chimique explosent, et les réseaux sociaux attisent l’angoisse. Les femmes sont les premières visées. Au-delà de la panique, une mécanique bien réelle se met en place : violence ciblée, usage détourné de médicaments, confusion entretenue par l’emballement numérique.

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Retour des « piqûres sauvages »

Le 21 juin 2025, à l’occasion de la Fête de la musique, 145 personnes, en grande majorité des jeunes femmes, ont signalé aux forces de l’ordre avoir été piquées. Douze suspects âgés de 19 à 44 ans ont été interpellés dans différents départements. Si ce chiffre reste inférieur aux 700 cas recensés en 2022, il marque une reprise nette du phénomène après une accalmie apparente (36 signalements en 2023).

Dès le 16 juin, des messages incitant à « piquer des femmes » ont circulé sur TikTok, Instagram et Snapchat. Le compte ActuReact, qui comptabilise 120 000 abonnés sur Instagram, a été l’un des principaux relais de ces appels à la violence. Relayées sans vérification, ces publications ont rapidement généré un climat d’alerte permanent.

Selon les données disponibles, 46 % des 18-24 ans estiment que les réseaux sociaux ont un effet négatif sur leur santé mentale, citant fatigue, anxiété et sentiment d’isolement. Cette vulnérabilité numérique s’est trouvée exacerbée par des figures comme Amine Mojito, alias Ilan Magneron. Déjà condamné pour violence aggravée et agression sexuelle, l’influenceur a publié le 20 juin une vidéo où il mime des injections à l’aide d’une fausse seringue. Placé en détention provisoire, il sera jugé le 5 septembre prochain. Pour le procureur de la République, il ne s’agit pas d’un « prank » anodin, mais d’un acte de délinquance à part entière.

Une absence persistante de preuves

Depuis l’apparition du phénomène en 2021, aucune substance incapacitante n’a été formellement détectée dans les analyses toxicologiques. À Angoulême, parmi les 24 femmes examinées aux urgences, aucune trace clinique de piqûre n’a pu être confirmée. À Rouen, seuls trois dépôts de plainte ont été enregistrés sur les 19 signalements recensés, certains s’expliquant par des piqûres d’insectes.

Ce décalage entre signalements et preuves objectivables questionne. Il renvoie à un mécanisme bien documenté : l’effet nocebo. Sous l’effet du stress, certaines personnes développent des symptômes (étourdissements, nausées, douleurs diffuses) en l’absence de toute substance étrangère. Des recherches ont montré que l’anxiété augmente la production de cholécystokinine, molécule qui amplifie les signaux de douleur. Dans un environnement socialement tendu, la peur elle-même devient un vecteur de souffrance.

Progression de la soumission chimique

Loin de l’imaginaire collectif associé au GHB, la véritable menace réside aujourd’hui dans la soumission chimique par médicaments détournés. En 2022, l’ANSM a enregistré 1 229 signalements de cas suspects, contre 727 en 2021, soit une progression de 69,1 %. Cette tendance s’inscrit dans le prolongement du mouvement #balancetonbar, lancé en 2021, qui a contribué à la libération de la parole sur ces violences longtemps invisibilisées.

Dans 56,7 % des cas, les substances en cause sont des médicaments psychoactifs : benzodiazépines (25 %), antihistaminiques (12,6 %), opioïdes (11 %). L’alcool, retrouvé dans la majorité des dossiers, agit comme un facilitateur, augmentant la vulnérabilité des victimes. Les benzodiazépines provoquent notamment une amnésie antérograde, rendant impossible pour la victime de se souvenir des événements récents. Lorsqu’elles sont administrées à une personne alcoolisée, leur effet est démultiplié.

Intimidation des femmes

Face à cette réalité, l’ANSM a annoncé en décembre 2024 un plan d’action visant à réduire les détournements : ajout de colorants, d’odeurs ou de textures reconnaissables dans les médicaments à risque. Par ailleurs, une expérimentation sur trois ans permettra, dans trois régions pilotes, de rembourser les tests toxicologiques sans dépôt préalable de plainte.

Le rapport parlementaire remis en mai 2025 par la députée Sandrine Josso et la sénatrice Véronique Guillotin formule cinquante recommandations, dont quinze jugées prioritaires. Il préconise la création d’un référentiel à destination des professionnels de santé, l’élargissement de la levée du secret médical dans certaines situations, et une meilleure coordination des acteurs de terrain.

Santé publique France a observé en mai une hausse significative des consultations pour troubles anxieux chez les mineurs, notamment entre 15 et 17 ans. Les passages aux urgences pour idées suicidaires restent supérieurs aux niveaux habituels. Chez les adultes, les appels à SOS Médecins pour crises d’angoisse dans la tranche 18-64 ans sont également en hausse.

Cette détresse psychologique trouve un écho particulier chez les femmes. Les piqûres — qu’elles soient avérées ou non — participent d’une stratégie d’intimidation qui vise à restreindre la liberté de mouvement dans l’espace public. Près de 45 % des 18-24 ans déclarent avoir déjà été victimes de violences en ligne, dessinant un continuum de violences psychologiques et physiques qui pèse lourdement sur l’équilibre mental.

Alerter

Face à cette situation, les autorités sanitaires recommandent une conduite précise en cas de suspicion : alerter l’entourage, consulter les urgences dans les 48 heures, photographier la trace si elle est visible, déposer plainte dès que possible. Au-delà de l’individu, c’est aussi la responsabilité collective qui est engagée : formation des professionnels de santé, sensibilisation du public aux mécanismes de panique sociale, et vigilance dans les environnements festifs.

D’un côté, les piqûres sauvages, rarement confirmées médicalement, concentrent l’attention publique. De l’autre, la soumission chimique, mieux documentée et plus destructrice, progresse dans une forme de relative indifférence.


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