Une équipe de chercheurs britanniques est parvenue à transformer des déchets plastiques en paracétamol à l’aide de bactéries génétiquement modifiées. Une première, publiée dans Nature, qui ouvre des perspectives inédites pour une industrie pharmaceutique plus durable.
Un saut technique dans la chimie microbienne
À l’université d’Édimbourg, l’équipe dirigée par Stephen Wallace a réussi à déclencher, à l’intérieur de la bactérie Escherichia coli, une réaction chimique connue mais jusqu’ici cantonnée aux laboratoires : le réarrangement de Lossen. Cette transformation permet de convertir des molécules dérivées d’acides en composés clés pour la fabrication de médicaments. En l’occurrence, du paracétamol.
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L’enjeu ne réside pas dans la réaction elle-même, bien documentée, mais dans sa réalisation sans catalyseur synthétique, uniquement grâce aux mécanismes naturels des cellules microbiennes. Wallace explique que les bactéries disposent en réalité des outils nécessaires – notamment du phosphate intracellulaire – pour déclencher la catalyse. Son équipe a utilisé la biologie synthétique pour reprogrammer leur métabolisme, en construisant de nouvelles voies biologiques capables de produire la molécule cible.
Une réponse potentielle à une dépendance industrielle
Cette innovation prend un relief particulier dans le contexte français, où la consommation de paracétamol atteint 5 300 tonnes par an, ce qui en fait le principe actif le plus utilisé. Le pays cherche à relocaliser sa production, après les tensions d’approvisionnement révélées par la pandémie. Le groupe Ipsophène prévoit ainsi de produire 3 400 tonnes par an à Toulouse dès 2025, tandis que Seqens vise 15 000 tonnes à Roussillon d’ici 2026. Ces projets, soutenus par l’État, mobilisent entre 30 et 100 millions d’euros d’investissement.
Mais les coûts de production nationale, estimés 30 à 40 % plus élevés que ceux des molécules importées, interrogent la viabilité à long terme. Dans ce contexte, la possibilité de produire localement du paracétamol à partir de déchets, via des procédés biologiques faiblement émetteurs, représente une piste crédible – à terme – pour renforcer la souveraineté pharmaceutique.
Des déchets plastiques transformés en principe actif
La méthode repose sur la dégradation du PET, plastique largement utilisé pour les bouteilles de boisson. Une fois décomposé, ce polymère libère un de ses composants de base, qui peut être transformé par les bactéries en un intermédiaire chimique, puis en paracétamol.
Les micro-organismes ne sont pas forcés à exécuter un processus artificiel. Les chercheurs leur ont fourni un chemin métabolique, en exploitant des capacités biologiques préexistantes. Wallace souligne : « Nous n’avons pas eu besoin de leur apprendre cette réaction. Il a suffi de comprendre qu’elles savaient déjà la faire. »
La production classique de paracétamol repose sur des dérivés pétrochimiques et génère entre 18 et 20 kg de CO₂ par kilogramme de médicament. Cette empreinte grimpe pour d’autres principes actifs pharmaceutiques, atteignant 65 à 75 kg CO₂e/kg. À l’échelle du médicament final, un comprimé oral de paracétamol représente 38 g de CO₂, contre jusqu’à 628 g pour une forme injectable.
À l’inverse, les bactéries modifiées fonctionnent à température ambiante, sans émissions de carbone. Cette approche s’inscrit dans une tendance plus large de l’industrie pharmaceutique vers la réduction de son impact environnemental. Le syndicat professionnel Leem s’est engagé à supprimer les emballages plastiques non recyclables d’ici 2030. Sanofi prévoit de retirer 300 tonnes de PVC de ses vaccins d’ici 2027.
Des défis à surmonter
Malgré les perspectives qu’elle offre, cette avancée demeure à un stade expérimental. Wallace et son équipe n’ont pour l’instant obtenu que de faibles quantités de paracétamol. Avant toute mise sur le marché, le produit devra passer par l’ensemble du processus réglementaire, incluant des essais de sécurité et de validation pharmaceutique.
Des voix critiques rappellent que de telles annonces ne sont pas nouvelles. « Il ne se passe pas quelques mois sans qu’une nouvelle ‘bactérie mangeuse de plastique’ ne soit découverte, sans jamais aboutir à une solution industrielle », observe Melissa Valliant, de l’ONG Beyond Plastic.
D’autres chercheurs pointent les défis pratiques : optimisation des rendements, reproductibilité à grande échelle, et évaluation de l’impact environnemental global de la méthode.
Une stratégie biotech soutenue au plus haut niveau
La recherche s’inscrit dans un domaine émergent, la « chimie biocompatible », qui conjugue la souplesse des transformations chimiques et les avantages du métabolisme microbien. Wallace vient d’obtenir une bourse ERC Consolidator de deux millions d’euros pour son projet MICROCHEMIST, visant à développer des procédés chimiques respectueux de l’environnement. Son équipe a déjà transformé des déchets plastiques en arômes de vanille, et des déchets papier en précurseurs de nylon.
À l’échelle française, cette orientation rejoint les objectifs du programme « Ferments du Futur », doté de 100 millions d’euros sur dix ans. Ce consortium public-privé rassemble 42 partenaires, et vise à accélérer l’innovation biotechnologique, en particulier dans les domaines de la fermentation industrielle.
La dimension géopolitique n’est pas absente. La majorité des principes actifs sont aujourd’hui fabriqués en Inde et en Chine, où les rejets d’effluents pharmaceutiques favorisent le développement de bactéries résistantes, avec des risques sanitaires mondiaux.