Antonio Filosa, dernier espoir de Stellantis ?

Face à l’échec du tout-électrique, Antonio Filosa parviendra-t-il à redresser Stellantis malgré un contexte géopolitique et financier défavorable ?

Au moment où Antonio Filosa prend les commandes de Stellantis, c’est un héritage piégé qui l’attend. Le groupe automobile, né de la fusion entre PSA et Fiat-Chrysler, voit s’effondrer l’un de ses piliers stratégiques : le tout-électrique. Pensée comme un virage industriel majeur, cette transition s’enlise, fragilisée par des ventes en recul, des choix techniques reniés et une défiance croissante des marchés.
Le nouveau directeur général, nommé dans l’urgence après le départ contraint de Carlos Tavares, hérite d’un plan largement déconnecté des réalités économiques et commerciales. Derrière l’apparente volonté d’apaisement portée par son profil, c’est une impasse technologique et industrielle qu’il devra gérer.

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Dès 2024, Stellantis a vu ses ventes de véhicules électriques chuter en Europe de 6 % par rapport à 2023, révélant une dynamique commerciale inverse à celle espérée. Cette déconvenue a contraint le groupe à revoir brutalement ses prévisions de production. Ainsi, à l’usine française de Metz, les objectifs de production annuelle de moteurs électriques ont été quasiment divisés par deux, passant de 800 000 unités initialement prévues à seulement 450 000.

Ces mauvais résultats électriques ne sont pas isolés : ils s’inscrivent dans une situation globale dégradée, avec une chute de 70 % du bénéfice net du groupe en 2024. La marge opérationnelle est tombée à 5,5 %, très loin des objectifs à deux chiffres promis depuis 2021. Au premier trimestre 2025, Stellantis a enregistré une nouvelle baisse inquiétante de 14 % des ventes, après une baisse annuelle de 9 % en 2024. Conséquence directe, le titre Stellantis a perdu 34 % de sa valeur en bourse depuis janvier 2025, contraignant même le groupe à suspendre ses objectifs financiers annuels.

Un revirement stratégique complexe et coûteux

Face à cette déconvenue, Antonio Filosa hérite d’une stratégie déjà fortement révisée par John Elkann, président du groupe. Désormais, Stellantis privilégie une approche multi-énergies, combinant véhicules électriques, hybrides et thermiques, plutôt qu’une électrification complète. Cette réorientation pragmatique comporte plusieurs décisions industrielles marquantes et coûteuses : le maintien inattendu de la production de moteurs diesel jusqu’en 2030 à l’usine française de Trémery, initialement prévue pour s’arrêter dès 2025, ou encore le retour aux États-Unis du moteur thermique V8 sur les pickups Ram. De plus, la future plateforme « STLA Small », destinée à des modèles populaires comme la Peugeot 208, la 2008 ou l’Opel Corsa, initialement prévue exclusivement électrique, accueillera finalement des motorisations thermiques et hybrides.

Ces revirements, qui traduisent une incapacité manifeste à concrétiser rapidement le tout-électrique, risquent de générer des surcoûts industriels importants liés à la complexité accrue des plateformes multi-énergies, déjà confrontées à des surcapacités mondiales suite à la stratégie de montée en gamme mal maîtrisée de Tavares.

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Une conjoncture géopolitique défavorable

La mission complexe de Filosa est aussi aggravée par un contexte extérieur très défavorable. Stellantis doit gérer une pénurie critique d’aimants permanents, composants essentiels des moteurs électriques, dont la majorité provient de Chine, pays ayant récemment décidé de soumettre leur exportation à licence, créant ainsi des difficultés sérieuses d’approvisionnement.

Simultanément, aux États-Unis, Stellantis subit une pression accrue à cause de l’augmentation des droits de douane imposée par l’administration américaine dirigée par Donald Trump. Ce dossier crucial est suivi personnellement par John Elkann, traduisant son importance stratégique pour le groupe, déjà affaibli sur son principal marché par une perte structurelle de parts de marché et une relation très dégradée avec ses concessionnaires historiques, notamment Jeep, Ram, Chrysler et Dodge.

Des tensions internes

En interne, la stratégie électrique contrariée s’ajoute à une multitude d’autres problématiques humaines et managériales héritées de l’ère Tavares. Les salariés de Stellantis, fatigués par un management autoritaire et strict, ont vu de nombreux cadres quitter le groupe pour rejoindre parfois des concurrents directs, tels que le constructeur chinois BYD. Dans ce contexte déjà compliqué, la nomination d’Antonio Filosa, perçu comme un pur produit Fiat-Chrysler, suscite des craintes quant à un déséquilibre des pouvoirs au détriment de l’ex-branche française PSA, entraînant notamment une inquiétude forte sur l’avenir de certains sites industriels français, comme l’usine de Poissy dans les Yvelines.

Ce climat social compliqué se double d’une complexité organisationnelle majeure : Filosa devra clarifier la rentabilité encore incertaine des quatorze marques du groupe, notamment Maserati, Lancia ou DS, des dossiers sensibles que Carlos Tavares n’avait pas tranchés.

Enfin, Stellantis se retrouve aujourd’hui face à un autre défi majeur : son retard technologique en matière de logiciels embarqués, secteur clé où ses concurrents, chinois en tête, ont pris une avance significative. Antonio Filosa devra impérativement renforcer rapidement ces capacités d’innovation logicielle pour éviter un décrochage technologique potentiellement fatal à la stratégie produit du groupe.

Antonio Filosa : un pari pragmatique

Malgré ces obstacles colossaux, Antonio Filosa possède quelques atouts reconnus par l’industrie automobile : pragmatique, doté d’une vaste expérience internationale et d’une solide connaissance des marchés stratégiques (Europe, Brésil, États-Unis), il a notamment prouvé en Amérique du Nord sa capacité à réduire les stocks et rétablir le dialogue avec les réseaux de distribution. Sa nomination est d’ailleurs perçue positivement en interne grâce à son approche plus collaborative et accessible, contrastant avec l’ère précédente.

Néanmoins, ces qualités suffiront-elles à surmonter la crise électrique dans laquelle Stellantis semble s’être durablement enlisée ?


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