Start-up Sifflet : Salma Bakouk, la surdouée

En quatre ans, Sifflet et sa fondatrice Salma Bakouk ont levé 33 M€ pour développer une solution innovante de supervision, diagnostic et remédiation automatisée de la qualité des données.

Rares sont les start-up capables de transformer un sujet technique en enjeu stratégique global. En moins de quatre ans, la start-up française Sifflet s’est imposée comme l’un des acteurs les plus en vue de l’écosystème de l’observabilité des données. Fondée à Paris en 2021, elle développe une plateforme technologique qui permet aux entreprises de mieux contrôler la qualité, la traçabilité et l’usage de leurs données. Une fonction de plus en plus essentielle dans un contexte où l’intelligence artificielle et la prise de décision automatisée dépendent directement de la fiabilité des données alimentant les algorithmes.

A LIRE AUSSI
Une start-up d’un milliard de dollars avec un seul salarié

La jeune pousse vient de franchir une étape majeure en annonçant, en juin 2025, une levée complémentaire de 16 millions d’euros, menée par EQT Ventures et Mangrove Capital Partners, deux investisseurs déjà présents au capital. Cette opération porte à plus de 33 millions d’euros le montant total levé depuis sa création — un signal fort de confiance dans un marché mondial en pleine effervescence.

« La qualité des données n’est pas qu’un sujet technique. C’est un sujet business. » Cette conviction, exprimée sans détour par la fondatrice et CEO Salma Bakouk, est au cœur de la proposition de valeur de Sifflet. L’entreprise se positionne comme une brique fondamentale de la data stack moderne, capable de détecter les anomalies, d’alerter les utilisateurs, et surtout de prévenir les incidents avant qu’ils n’impactent la performance.

Un système nerveux pour les données

Le concept d’observabilité des données, encore marginal il y a quelques années, est aujourd’hui considéré comme stratégique par les entreprises data-driven. Il s’agit de surveiller en continu l’ensemble de la chaîne de transformation des données : des sources d’origine jusqu’aux tableaux de bord finaux, en passant par les flux d’intégration, les pipelines, les entrepôts et les outils analytiques.

C’est précisément ce que propose Sifflet, en ajoutant à cette supervision une couche d’intelligence algorithmique. La plateforme s’intègre à tous les outils de la stack de données — Snowflake, BigQuery, dbt, Airflow, Tableau, Looker, etc. — pour collecter des métadonnées, identifier les points de défaillance, mesurer la qualité et suggérer des actions correctives.

Les fonctionnalités couvrent un spectre étendu :

  • Monitoring automatisé avec détection d’anomalies en temps quasi réel ;
  • Catalogue de données enrichi, permettant d’ajouter des métadonnées contextuelles (propriétaire, tags, politique de qualité) ;
  • Lignage complet des données, de la source jusqu’à leur visualisation, pour comprendre les dépendances critiques et anticiper les impacts.

Mais c’est surtout l’intégration d’agents IA autonomes qui marque un tournant technologique pour l’entreprise. Dévoilés en mai 2025, ces agents — Sentinel, Sage et Forge — incarnent une nouvelle génération d’outils de diagnostic et de remédiation.

  • Sentinel agit en amont. Il lit les signaux faibles dans les métadonnées, analyse la lignée, la fraîcheur et la dérive des schémas pour recommander des règles de surveillance avant même l’apparition d’un incident.
  • Sage est conçu comme un détective. Il s’appuie sur l’historique des incidents, comprend les dépendances dans le système et retrace les événements ayant conduit à une défaillance, permettant une analyse de cause racine automatisée.
  • Forge complète ce triptyque en générant des correctifs contextualisés, basés sur l’apprentissage des corrections passées, et prêts à être examinés ou déployés par les équipes.

Cette approche, qualifiée d’“agentique”, s’oppose à la surveillance statique. Elle fait émerger des systèmes collaboratifs, capables d’assister les équipes non seulement dans la détection, mais dans la compréhension et la résolution des incidents. Une réponse directe à la “fatigue des alertes” souvent dénoncée dans les services data.

Salma Bakouk, le moteur d’un projet ambitieux

À la tête de cette aventure, Salma Bakouk, 34 ans, incarne un modèle singulier dans l’univers des start-up tech. Diplômée de CentraleSupélec, elle débute sa carrière chez Goldman Sachs à Hong Kong, où elle occupe le poste de directrice exécutive entre 2015 et 2020. Là-bas, elle pilote des projets stratégiques liés au trading algorithmique basé sur le machine learning. C’est aussi là qu’elle prend conscience de l’ampleur du problème : « Les modèles les plus sophistiqués échouent si les données sont corrompues. »

Cette prise de conscience devient le point de départ de Sifflet, qu’elle cofonde à Paris en 2021 avec deux experts du domaine : Wissem Fathallah, ancien data scientist chez Amazon et responsable analytics chez Uber Eats, et Wajdi Fathallah, spécialiste en big data et fondateur d’un cabinet de conseil en ingénierie des données.

La complémentarité du trio est fondatrice. Salma Bakouk prend en charge la vision stratégique, le produit et le développement international. Wissem pilote le design produit. Wajdi structure la technologie. Tous trois partagent une même exigence : mettre fin à la “non-fiabilité systémique” des systèmes de données dans les grandes entreprises.

Décrite comme charismatique et rigoureuse, Salma Bakouk cultive un leadership fondé sur l’humilité et la lucidité. « Elle arrive avec une certaine confiance, un certain charisme », souligne Roxanne Varza, directrice de Station F, où Sifflet a été incubée. Elle revendique ne pas chercher à compenser ses faiblesses, mais à les déléguer. Deux recrutements récents incarnent cette approche : Romain Doutriaux, ex-Pigment, en charge des ventes et du marketing, et Rémi Bastien, ancien de Contentsquare, directeur des opérations.

Une croissance construite pour durer

Le développement de Sifflet suit une logique d’expansion géographique et fonctionnelle. Après une levée d’amorçage de près de 5 millions d’euros en novembre 2021 (Bessemer, Mangrove), la série A de 12 millions en mars 2023 (EQT, Mangrove) permet de renforcer les équipes et de structurer la commercialisation en Europe, au Moyen-Orient et en Asie.

Avec les 16 millions d’euros levés en juin 2025, l’entreprise entre dans une nouvelle phase : accélérer sa pénétration du marché américain, aujourd’hui considéré comme prioritaire. Des bureaux ont déjà été ouverts à New York et Londres, en plus de ceux du IXe arrondissement parisien. Une implantation à San Francisco est en cours. Salma Bakouk prévoit d’y consacrer l’essentiel de son temps au second semestre 2025.

Sifflet emploie aujourd’hui environ 50 personnes, contre une trentaine fin 2023, et prévoit d’atteindre les 60 salariés d’ici fin 2025. Une vingtaine de recrutements sont en cours, notamment pour renforcer les pôles engineering, data science, marketing et relation client. L’entreprise vise un ARR à huit chiffres d’ici janvier 2026, en triplant son revenu récurrent annuel.

Le portefeuille client s’étoffe rapidement : Carrefour, CMA CGM, Saint-Gobain, BPCE, Auchan, mais aussi BBC Studios, Penguin Random House, Mollie, Tripadvisor ou encore ShopBack. Les cas d’usage sont variés : conformité réglementaire, qualité de la donnée marketing, suivi des inventaires, fiabilité des reportings financiers.

Une vision de long terme

Le marché de l’observabilité des données est évalué à 2,94 milliards de dollars en 2025, et devrait dépasser les 5,2 milliards à l’horizon 2029, selon Research and Markets. Cette croissance rapide s’explique par la complexité croissante des environnements data, la demande d’insights en temps réel, et l’intégration accélérée de l’IA dans les processus de décision.

Face à une concurrence de plus en plus structurée — Monte Carlo, Cribl, Coralogix —, Sifflet mise sur une différenciation stratégique forte : interface intuitive, vision holistique, approche par agents intelligents, accessibilité pour les non-techniciens. Là où les concurrents ciblent principalement les data engineers et les CDO, Sifflet souhaite impliquer l’ensemble des métiers dans la gestion de la qualité des données, en rendant leurs outils directement utilisables par les équipes produit, marketing ou finance.

Réduire l’entropie à l’ère du big data

Derrière cette croissance rapide, la vision demeure constante. L’objectif n’est pas seulement de surveiller, mais de rendre la donnée intelligible, fiable, contextuelle. Pour Salma Bakouk, « la mission de Sifflet est de réduire l’entropie des données », c’est-à-dire de maîtriser la complexité informationnelle générée par les systèmes numériques modernes.

Cette vision irrigue les priorités stratégiques de l’entreprise :

  • Renforcement de l’empreinte internationale, avec les États-Unis comme marché pivot.
  • Accélération de l’innovation IA et des fonctionnalités autonomes.
  • Croissance des effectifs, structuration des pôles produit et go-to-market.
  • Ouverture à de nouveaux secteurs à forte densité de données : santé, finance, télécommunications, retail.

Réagissez à cet article