Coup de tonnerre à Radio France : Léa Salamé a annoncé, jeudi 19 juin, son départ de la matinale de France Inter, qu’elle coanimait depuis onze ans avec Nicolas Demorand. À 45 ans, la journaliste a fait savoir à la direction qu’elle souhaitait « se consacrer à de nouveaux projets professionnels », selon un communiqué de la station. Une décision inattendue qui laisse vacante l’animation de la tranche la plus stratégique du paysage radiophonique français.
Avec près de 4,9 millions d’auditeurs quotidiens, la matinale du « 7/10 » est un pilier de l’audience de France Inter, première radio de France. Le départ de Léa Salamé ouvre une séquence délicate : qui pour incarner cette voix du matin, entre rigueur journalistique et incarnation forte ? Dans les couloirs de la Maison Ronde, un nom revient avec insistance : celui de Patrick Cohen.
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Patrick Cohen, un prétendant naturel mais clivant
Son profil coche de nombreuses cases. Ancien pilier de la matinale qu’il a dirigée entre 2010 et 2017, Patrick Cohen a signé un retour remarqué sur France Inter en septembre 2024, après un passage à France Culture. Recruté pour livrer un éditorial politique quotidien, il retrouve à l’antenne Nicolas Demorand et Léa Salamé, dans une configuration qui semblait alors transitoire. Son retour est salué par les chiffres : ses chroniques dépassent les 665 000 téléchargements mensuels, contribuant au record de podcasts de la station (43,1 millions d’écoutes en septembre 2024).
Derrière cette remontée en puissance, un constat s’impose : Patrick Cohen reste une voix majeure du paysage médiatique français. Sa rigueur, son sens de l’analyse, mais aussi sa posture tranchée l’ont toujours distingué. Et c’est justement cette frontalité qui alimente aujourd’hui autant sa légitimité que ses controverses.
Un éditorialiste qui dérange
Le 18 juin 2025, sur le plateau de C à vous, l’ambiance se tend. Face à Patrick Cohen, Rachida Dati, ministre de la Culture, choisit la contre-attaque : « Est-ce que vous harcelez vos collaborateurs ? » La question, posée à brûle-pourpoint, surgit après une chronique de Cohen dénonçant son projet de holding pour l’audiovisuel public, qualifié de « funeste ». Pour discréditer son contradicteur, la ministre exhume une enquête de Mediapart, publiée quelques mois plus tôt, qui accuse le journaliste de pratiques managériales brutales à la tête de la matinale de France Inter.
L’échange, tendu, illustre une constante : la parole de Cohen dérange, au point de devenir une cible. Car derrière la figure du journaliste affûté, certains voient un homme à la méthode rugueuse — et à l’influence toujours vive.
Depuis plus de vingt ans, Patrick Cohen a imposé un ton : précis, argumenté, parfois implacable. Ses éditoriaux, sur Inter comme à C à vous, nomment, ciblent, dénoncent. En février 2025, il fustige « l’instrumentalisation politique » du meurtre de la jeune Louise, s’attaquant frontalement à CNews, Valeurs actuelles et au JDD. En juin, il critique violemment le Rassemblement national à l’occasion du premier anniversaire de sa victoire aux européennes.
Ces interventions nourrissent autant l’admiration que la polarisation. Pascal Praud le qualifie régulièrement de « militant masqué ». L’Arcom, en avril 2024, l’a même épinglé pour un manque de rigueur dans sa chronique sur l’affaire de Crépol — un rappel à l’ordre rare pour une figure du service public.
Des méthodes de management contestées
Mais les critiques ne s’arrêtent pas à ses prises de position. L’enquête de Mediapart, publiée en février 2025, s’appuie sur dix-neuf témoignages d’anciens collaborateurs de France Inter, décrivant une ambiance de travail « toxique, anxiogène et humiliante » durant les années où Cohen dirigeait la matinale. Certains évoquent des remarques cassantes, des pressions à vif, des critiques déstabilisantes à l’approche de la prise d’antenne. D’autres nuancent : « Patrick est un bosseur acharné, exigeant surtout envers lui-même, et ça peut déborder », reconnaît une ancienne collègue.
Ces révélations pourraient peser dans la balance, à l’heure où France Inter cherche un nouveau visage du matin, capable à la fois de rassembler et d’incarner.
Malgré les polémiques, Patrick Cohen poursuit son travail éditorial sur C à vous, anime deux émissions patrimoniales sur LCP (Rembob’INA et La Séance de Rembob’INA) et continue d’intervenir dans le débat public avec un aplomb assumé. Sa position est claire : il refuse l’idée d’une neutralité abstraite. « L’éditorial, disait-il en 2019, n’est pas un commentaire. C’est une prise de responsabilité. »
Un positionnement qui peut apparaître précieux dans un univers médiatique fragmenté — mais aussi risqué, à l’heure où la moindre faille est exploitée.
Sa possible nomination à la tête de la matinale pose une équation délicate pour la direction de France Inter : faut-il miser sur une figure expérimentée mais clivante, ou tenter une recomposition plus apaisée ? Le choix, stratégique, dira aussi quelque chose de l’avenir du journalisme d’opinion au sein du service public.