Luxe : Luca de Meo peut-il sauver Kering ?

Luca de Meo, l'ex patron de Renault, prendra la direction de Kering en septembre. Peut-il sauver Gucci et relancer le groupe Kering qui traverse une crise historique ?

Un tremblement de terre managérial secoue le CAC 40 : Luca de Meo, jusqu’alors directeur général du groupe Renault, prendra en septembre les rênes de Kering. Une transition inattendue qui cristallise les espoirs d’un redressement pour un groupe de luxe en perte de vitesse. Ce manger expert de l’automobile a-t-il la capacité de réinventer un empire du luxe fragilisé ?

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Un transfert hors-norme, un groupe en crise

L’annonce est tombée un dimanche soir, provoquant une onde de choc à la fois dans l’industrie automobile et dans l’univers feutré du luxe. Le 15 juillet prochain, Luca de Meo quittera officiellement Renault pour rejoindre Kering, avant d’en prendre la direction générale à compter du 15 septembre. L’effet sur les marchés a été immédiat : le titre Kering a bondi de près de 12 % en une séance, tandis que Renault encaissait un recul de 7 %.

Ce déplacement stratégique — salué pour son audace — intervient à un moment critique pour le groupe fondé par François Pinault. Longtemps porté par le succès de Gucci, Kering traverse une zone de turbulences inédite. En 2024, son bénéfice net a chuté de 62 %, tandis que l’endettement dépasse désormais les 10 milliards d’euros. Le cours de l’action a fondu de 75 % depuis l’été 2021. La marque italienne, autrefois locomotive du groupe, peine à retrouver une direction créative claire depuis le départ d’Alessandro Michele. Quant à la nomination de Demna à la tête de la création, elle n’a pas suscité le rebond attendu.

Le groupe, propriétaire également d’Yves Saint Laurent, Balenciaga ou Bottega Veneta, est confronté à un double retournement : un essoufflement structurel de la demande chinoise, et une consommation américaine atone. Seul Hermès semble traverser ce ralentissement sans encombre, affichant une progression de son bénéfice net en 2024. LVMH, lui aussi touché, conserve toutefois des marges de manœuvre bien supérieures.

Le profil de De Meo : un industriel de marque

C’est dans ce contexte que François-Henri Pinault a choisi de céder sa casquette de directeur général, qu’il cumule depuis 2005 avec celle de président du conseil. Le choix de son successeur n’est pas neutre. À 56 ans, Luca de Meo affiche plus de trente ans de carrière dans l’automobile, un secteur qu’il connaît dans ses moindres rouages. Passé par Fiat, Volkswagen, Audi, puis Renault, il est surtout reconnu pour avoir orchestré avec méthode et ténacité la relance du groupe français, durement frappé par la crise post-Ghosn.

La « Renaulution », ce plan de redressement stratégique dévoilé en 2021, a permis à l’entreprise de repasser dans le vert, avec un bénéfice opérationnel de 2,3 milliards d’euros en 2023. De Meo y a mené de front électrification de la gamme, recentrage industriel, rationalisation des coûts et relocalisations ciblées. Un redressement salué dans les milieux économiques comme une démonstration d’efficacité stratégique, dans un secteur en mutation profonde.

Son profil tranche donc avec celui, plus classique, des dirigeants issus du sérail du luxe. Mais l’homme n’est pas étranger à la gestion d’univers de marque forte : chez Fiat, il avait relancé Abarth ; chez Volkswagen, il avait consolidé l’image d’Audi. C’est aussi un dirigeant qui a su manier les codes de la narration industrielle et du design comme leviers d’attractivité. Reste à savoir si ces compétences sont transposables à un secteur régi par d’autres temporalités, d’autres caprices, et d’autres logiques d’image.

Une greffe à haut risque

L’obstacle principal auquel de Meo devra faire face est son absence totale d’expérience dans le luxe. Si l’histoire a montré que des transitions réussies étaient possibles — Robert Polet, ancien d’Unilever, avait su redresser Gucci dans les années 2000 — elles restent rares, et souvent scrutées avec scepticisme.

Le défi le plus immédiat porte sur Gucci, toujours à la recherche d’un nouveau souffle artistique et commercial. La greffe de Demna n’a pas convaincu les marchés, ni ravivé le désir des consommateurs. De Meo devra trancher rapidement : relancer la création, ou reconfigurer la structure, tout en préparant le rachat total de Valentino (70 % du capital restant), une opération estimée à près de 4 milliards d’euros, s’ajoutant aux 1,9 milliard déjà investis.

En parallèle, une stratégie de réduction des coûts est déjà amorcée : fermetures de boutiques, cessions d’actifs immobiliers, suppressions de postes. La pression est donc double : relancer le désir, tout en assainissant les comptes.

Un pari assumé

Ce changement de gouvernance, présenté comme une mise en conformité avec les standards internationaux, est surtout un aveu : le modèle historique de Kering ne suffit plus. En nommant un profil extérieur, non estampillé luxe, François-Henri Pinault envoie un signal fort aux marchés — celui d’une volonté de rupture. Luca de Meo n’aura pas les coudées franches immédiatement : il devra d’abord être nommé administrateur lors de l’assemblée générale du 9 septembre, puis confirmé à son poste.

Les investisseurs, eux, semblent vouloir y croire. L’explosion du titre Kering à l’annonce témoigne d’une attente, voire d’un besoin de récit. En homme de stratégie, de Meo devra bâtir plus qu’un plan financier : il lui faudra reformuler une ambition, une vision du luxe à l’ère post-croissance, et trouver un nouveau tempo, plus lent, plus narratif, que celui des plateformes ou des usines.

De Meo peut-il sauver Kering ? Il en a la rigueur, l’endurance, l’intelligence des structures. Mais il arrive dans un monde qui se nourrit d’aura, d’intuition, de tension créative. Or l’image d’une maison de luxe, contrairement à celle d’un constructeur automobile, ne se pilote ni à la rentabilité ni au KPI.


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