Bertrand Picard, explorateur de l’impossible

Petit-fils d’un pionnier de la stratosphère, fils d’un plongeur des abysses, Bertrand Piccard a choisi le ciel pour horizon et l’innovation pour héritage.

Il est né avec la courbure de la Terre dans le regard et l’abîme sous les pieds. À lui seul, Bertrand Piccard incarne trois générations d’exploration scientifique et d’audace technique. Petit-fils d’Auguste Piccard, pionnier de la stratosphère en 1931, et fils de Jacques Piccard, recordman de plongée en bathyscaphe dans la fosse des Mariannes en 1960, il a grandi au cœur d’une dynastie où le savoir se mêle à la conquête des limites humaines.

Mais Bertrand Piccard a choisi de métamorphoser cet ADN d’explorateur en outil d’innovation au service du vivant, traçant une voie qui conjugue vol, vision et valeurs.

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Une écologie pragmatique portée par un pionnier engagé

Avant de survoler les océans ou d’imaginer des avions sans carburant, Bertrand Piccard s’est penché sur les profondeurs de l’âme humaine. Diplômé en médecine et spécialisé en psychiatrie à l’Université de Lausanne, il exerce la psychothérapie pendant trois décennies.

Fasciné par l’hypnose, il se forme à la méthode ericksonienne en France puis aux États-Unis. Cet art de la conscience modifiée devient pour lui un levier d’endurance, de vigilance et de lucidité dans ses missions d’exploration. « L’exploration commence toujours à l’intérieur de soi », aime-t-il répéter.

Cette double identité – scientifique du corps et de l’esprit – forge un explorateur singulier, à la fois technicien du ciel et praticien du psychisme, capable de relier l’aérien au sensoriel.

Solar Impulse : un symbole de l’aviation solaire

Le ciel, pourtant, ne tarde pas à l’attirer. En 1985, il devient champion d’Europe de voltige en aile delta. En 1992, il remporte la première course transatlantique en ballon. Mais c’est en 1999 qu’il entre dans l’histoire. À bord du Breitling Orbiter 3, avec le pilote britannique Brian Jones, il réalise le premier tour du monde en ballon sans escale.

Vingt jours suspendus dans l’atmosphère. Une traversée qui change tout : « J’ai enfin réussi à concilier ma propre voie avec celle de ma famille. L’aéronautique n’était plus seulement une tradition, elle devenait une mission ». Il est fait chevalier de la Légion d’honneur.

Cette mission prend forme dès 2003 : voler sans carburant, propulsé uniquement par l’énergie solaire. En collaboration avec l’École polytechnique fédérale de Lausanne et l’ingénieur André Borschberg, il fonde le projet Solar Impulse. Dix ans de recherche, 170 millions de francs suisses, une équipe de 150 personnes : Solar Impulse 2 décolle en 2015 pour un tour du monde sans émission.

43 041 kilomètres en 17 étapes. Un exploit technique, mais surtout symbolique. En 2017, Piccard est promu officier de la Légion d’honneur.

Au-delà du vol, Solar Impulse devient une plateforme de plaidoyer. En 2017, il crée la Fondation Solar Impulse, avec un objectif clair : identifier 1000 solutions propres et rentables pour l’environnement. En 2021, plus de 1500 solutions sont labellisées. Un moteur de recherche – le Solutions Explorer – rend ces innovations accessibles aux décideurs et aux entreprises.

Bertrand Piccard se distingue par sa vision pragmatique de l’écologie : réconcilier croissance et environnement, efficacité énergétique et rentabilité. « L’écologie ne doit pas être un sacrifice, mais une opportunité économique », insiste-t-il.

Climate Impulse : un avion à hydrogène pour changer les règles

Le prochain horizon s’appelle Climate Impulse. L’idée ? Réaliser un tour du monde sans escale à bord d’un avion fonctionnant à l’hydrogène vert. Ce projet, en partenariat avec Airbus, CapGemini, ArianeGroup, Daher et l’ingénieur-navigateur Raphaël Dinelli, veut démontrer que la décarbonation du secteur aérien est possible.

L’avion, en construction aux Sables-d’Olonne, doit parcourir la planète en huit jours à 200 km/h, à 3 000 mètres d’altitude. Premier vol d’essai prévu en 2026, traversée de l’Atlantique en 2027, tentative de tour du monde en 2028.

Plus qu’un exploit technique, un manifeste pour l’avenir.

Bertrand Piccard, entre reconnaissance internationale et polémiques

Bertrand Piccard occupe une place à part dans le paysage international. Ambassadeur de l’ONU pour l’environnement depuis 2015, conseiller spécial à la Commission européenne, membre du One Planet Lab sur invitation d’Emmanuel Macron, il est aussi Commandeur de la Légion d’honneur depuis 2025.

Mais ses engagements n’ont pas toujours été sans heurts. En 2024, il est rattrapé par la faillite de PrimeEnergy Cleantech, société pour laquelle il était ambassadeur. Accusé d’avoir prêté son image à une entreprise qui s’effondre, il se défend : « Je n’ai jamais eu de fonction de direction, j’ai moi-même été dupé ».

Solar Impulse, lui aussi, a essuyé des critiques. Certains scientifiques dénoncent son coût environnemental indirect et ses limites technologiques. Piccard répond par la démonstration : « Ce n’est pas un modèle, c’est un symbole. Il s’agit de prouver que l’impossible est faisable ».

Une transmission au croisement de la science et de la conscience

Au-delà des exploits, Piccard œuvre pour transmettre. Il multiplie les conférences dans les grandes institutions (ONU, COP, World Economic Forum, G7) et publie plusieurs ouvrages, dont Changer d’altitude (2014) et Réaliste : soyons logiques autant qu’écologiques (2021), plaidoyer pour une “croissance qualitative”.

Avec son épouse Michèle, qui pilote la communication de ses projets, il a trois filles. Ensemble, ils développent des outils éducatifs – livres pour enfants, bandes dessinées – pour sensibiliser les jeunes générations aux enjeux écologiques.

Bertrand Piccard incarne une figure rare : celle d’un explorateur du réel et du symbolique. À la croisée de la science, de la conscience et de la technique, il réactive l’héritage familial non pas pour en perpétuer les formes, mais pour en transformer la finalité.

Là où Auguste et Jacques Piccard s’attaquaient aux extrêmes de l’atmosphère et des abysses, Bertrand explore les limites de notre modèle économique et écologique. Il prouve, par l’action et le discours, que l’innovation peut devenir moteur de transformation sociale.


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