Abidjan, dernier pilier de la stratégie française en Afrique

La Côte d’Ivoire représente aujourd’hui le principal point d’appui de la France en Afrique de l’Ouest. Une relation solide, mais conditionnée à une stabilité politique qui reste fragile.

Alors que l’influence française s’effondre dans une grande partie de l’Afrique de l’Ouest, la Côte d’Ivoire reste l’un des rares pays à maintenir un partenariat étroit avec Paris. Mais cette alliance stratégique repose sur des équilibres fragiles, à l’approche d’une élection présidentielle qui pourrait rebattre les cartes.

L’effondrement du pré carré français

Ces dernières années, la France a été poussée hors de plusieurs pays sahéliens. Mali, Burkina Faso, Niger : la succession de coups d’État militaires et la montée d’un sentiment anti-français ont entraîné une réduction drastique, voire un arrêt brutal, de la coopération sécuritaire avec Paris.

Dans ce contexte, la Côte d’Ivoire apparaît comme une exception. Frontalière de plusieurs zones instables, elle maintient des relations étroites avec la France, aussi bien sur les plans militaire, économique que diplomatique. Alors que Paris perd du terrain dans la région, Abidjan reste l’un des derniers partenaires solides.

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Une stabilité relative

La Côte d’Ivoire a connu, elle aussi, des tensions sécuritaires. Les attaques de Grand-Bassam en 2016 et de Kafolo en 2020 ont marqué les esprits. Mais, à la différence de ses voisins, le pays a réussi à contenir l’insécurité et à préserver une relative stabilité.

Depuis la crise post-électorale de 2010-2011, les autorités ivoiriennes ont mis en place des réformes importantes : modernisation de l’administration, renforcement de l’appareil judiciaire, mécanismes de réconciliation, retour de figures de l’opposition. Certes, les tensions politiques persistent, mais les institutions ont jusqu’ici résisté.

Cette stabilité intéresse la France, qui cherche un point d’appui fiable pour rester présente dans la région. Dans un Sahel devenu largement inaccessible, la Côte d’Ivoire sert désormais de base arrière stratégique.

Une relation économique forte mais challengée

La relation économique entre les deux pays est ancienne, dense et structurée. La France est le premier investisseur étranger hors secteur extractif, avec un stock d’IDE de 2,7 milliards d’euros en 2022. Environ 1 000 entreprises françaises opèrent sur le sol ivoirien, dont près de 300 filiales.

Les échanges commerciaux bilatéraux se sont élevés à 2,4 milliards d’euros en 2023. La France reste un acteur économique de premier plan, notamment dans les secteurs de l’énergie, des infrastructures, de l’agro-industrie ou des télécommunications.

Mais la donne évolue. La Chine, le Nigeria, la Turquie ou encore les Émirats arabes unis gagnent du terrain. La Côte d’Ivoire, consciente de son poids économique croissant, diversifie ses partenaires et impose de nouvelles conditions à ses alliés traditionnels.

La coopération française, de son côté, s’appuie également sur l’aide publique au développement. L’AFD et le C2D ont mobilisé plusieurs milliards de francs CFA pour financer des projets structurants : éducation, santé, transport, couverture maladie universelle, transition énergétique. Des réalisations concrètes, mais qui doivent désormais s’adapter à des attentes plus exigeantes de la part des Ivoiriens.

Une présence militaire revue à la baisse

Le 20 janvier 2025, la France a officiellement remis à la Côte d’Ivoire la base du 43e BIMA, marquant un tournant symbolique. Les effectifs français ont été réduits à environ 300-400 soldats, et devraient passer à une centaine dans les mois à venir. L’heure n’est plus aux bases permanentes mais à la coopération ciblée.

La nouvelle stratégie repose sur la formation, le partage de renseignement, l’appui aux forces spéciales. Un format plus discret, mieux accepté localement, et surtout plus conforme aux exigences ivoiriennes de souveraineté.

Contrairement à ses voisins sahéliens, la Côte d’Ivoire n’a pas demandé le départ de l’armée française. Mais elle souhaite une coopération plus équilibrée, centrée sur ses propres priorités de sécurité.

Une présidentielle sous surveillance

À Paris, l’élection présidentielle ivoirienne prévue en octobre 2025 est observée de très près. Le climat politique se tend, notamment autour des candidatures de figures comme Tidjane Thiam ou Laurent Gbagbo, dont l’exclusion potentielle fait polémique.

Selon des informations relayées par Le Monde Diplomatique, des diplomates français auraient évoqué en privé des mesures de rétorsion économiques si Thiam était empêché de se présenter sans justification claire. La crainte d’un processus électoral verrouillé est réelle.

La France, qui a beaucoup investi dans la relation avec la Côte d’Ivoire, redoute une nouvelle crise post-électorale. Un scrutin contesté, une répression de l’opposition ou un blocage institutionnel pourraient remettre en cause des années de coopération.

Dans un contexte de recul régional, Paris ne peut se permettre de perdre l’un de ses derniers alliés africains. Mais la marge de manœuvre est étroite.

Une relation à repenser

Le partenariat franco-ivoirien, aussi dense soit-il, n’échappe pas aux critiques. Le sentiment anti-français, plus discret qu’au Sahel, existe pourtant. Il s’exprime dans les mouvements étudiants, les revendications sociales, les appels à une autonomie plus marquée vis-à-vis des anciens partenaires coloniaux.

Pour rester un acteur crédible, la France doit changer d’approche. Sortir des logiques d’influence, accepter la montée en puissance de la société civile, miser sur des coopérations concrètes et transparentes. Le temps des relations asymétriques est révolu.

Les entreprises françaises, elles aussi, doivent s’adapter : se montrer plus compétitives, s’ancrer localement, répondre aux attentes d’une jeunesse en quête de formation, d’emplois et de reconnaissance.


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