Qui possède les médias en France ?

Canal+, BFM, Le Figaro, Paris Match... Neuf milliardaires détiennent aujourd’hui la majorité des médias français. Derrière ce chiffre, une dynamique de concentration qui bouleverse l’équilibre démocratique et l’indépendance de l’information.

En France, une poignée de milliardaires détient aujourd’hui l’essentiel du paysage médiatique. Une concentration sans précédent, qui interroge sur l’indépendance des rédactions, la pluralité des opinions et, plus largement, la vitalité démocratique.

Plus de 90 % des quotidiens nationaux vendus chaque jour en version papier appartiennent à un nombre très limité de grandes fortunes. Neuf milliardaires contrôlent désormais plus de 80 % des médias en France, tandis que onze d’entre eux cumulent 57 % de l’audience télévisuelle. Cette emprise s’étend aussi bien à la presse écrite qu’aux chaînes de télévision, aux radios et aux plateformes numériques.

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Vincent Bolloré : une influence assumée

Depuis 2020, Vincent Bolloré a accéléré sa mainmise sur les médias. À travers le groupe Canal+ (Canal+, CNews, CStar), l’éditeur Editis, les radios Europe 1 et RFM, ou encore les magazines de Prisma Media acquis en 2021, il est devenu l’un des acteurs majeurs du paysage médiatique avec une idéologie radicale, marquée par un virage conservateur voire d’extrême droite des lignes éditoriales et le remplacement de nombreux journalistes.

Bernard Arnault : le luxe et la presse économique

À la tête de LVMH, Bernard Arnault poursuit une expansion stratégique dans les médias. Après Les Échos, Le Parisien et une participation dans Challenges, il a acquis Paris Match en octobre 2024 pour 120 millions d’euros. Cette opération s’inscrit dans une logique de désendettement du groupe Lagardère et dans une entente renforcée avec Vincent Bolloré.

Rodolphe Saadé : un nouvel acteur ambitieux

Le 15 mars 2024, le groupe CMA CGM dirigé par Rodolphe Saadé a signé un accord pour le rachat d’Altice Media (BFMTV, RMC) à Patrick Drahi, pour 1,55 milliard d’euros. Déjà propriétaire de La Provence, La Tribune et Brut, il se positionne également sur l’acquisition de Chérie 25 et détient 10 % de M6.

Daniel Kretinsky : une influence discrète mais structurée

Le milliardaire tchèque Daniel Kretinsky, via Czech Media Invest, a racheté la majorité des magazines du groupe Lagardère dès 2018, incluant Elle et Télé 7 Jours. Il détient également 45 % du média Loopsider et plus de 5 % de TF1. En décembre 2024, il a acquis Editis pour 653 millions d’euros, dans le cadre d’une cession imposée par l’Union européenne.

La famille Dassault : continuité d’une tradition conservatrice

Depuis 2002, la famille Dassault contrôle le quotidien Le Figaro via Figaro Holding. Représentant une forme de stabilité, cette propriété maintient une ligne éditoriale conservatrice bien établie.

Une concentration des médias qui s’accélère

Depuis 2020, les opérations de rachat se multiplient à un rythme soutenu. Vivendi, le groupe de Vincent Bolloré, est entré au capital de Lagardère en avril 2020, avant de prendre le contrôle total du groupe fin 2023, après avoir acquis Prisma Media en 2021. De son côté, Rodolphe Saadé a finalisé l’achat d’Altice Media à l’été 2024, renforçant sa position dans l’audiovisuel.

La dynamique ne se limite plus aux titres nationaux : les groupes s’intéressent aussi aux médias régionaux, marquant une volonté d’hégémonie sur l’ensemble du territoire médiatique.

Des rédactions sous tension

L’arrivée de nouveaux propriétaires entraîne des réorganisations brutales. Chez Prisma Media, des plans de départs successifs ont touché 60 salariés en janvier 2025, après une première vague à l’automne 2024.

Du côté de BFMTV, les effets du rachat par Saadé se sont rapidement fait sentir. Le 26 mai 2025, deux figures historiques de la chaîne, Cédric Faiche et Benoît Gallerey, ont quitté leur poste, illustrant le malaise croissant au sein des rédactions.

Le 16 janvier 2025, Reddit France a décidé de bannir les médias du groupe Bolloré — Europe 1, Capital, C8, Canal+, CNews, Le Journal du Dimanche — les qualifiant de « médias de désinformation ». Une mesure inédite, reflet d’une défiance croissante vis-à-vis des grands groupes.

Concentration des médias en France (2025)
Concentration des médias : En 2025, neuf milliardaires détiennent plus de 80 % des médias français. Ce tableau synthétise les groupes de presse qu’ils contrôlent.
Les grands propriétaires des médias en France (2025)
Propriétaire Groupe / Entité Médias détenus Faits marquants récents
Vincent Bolloré Vivendi / Canal+ 📺 C8, Canal+, CNews, CStar
📻 Europe 1, RFM
📰 Prisma Media (*Capital*, etc.)
📚 Editis (jusqu’à fin 2024)
Acquisition de Prisma Media (2021)
Contrôle de Lagardère (2023)
Plans de départs, fermeture de *Programmes Télé 15 Jours* (2025)
Bernard Arnault LVMH 📰 Les Échos, Le Parisien, Paris Match
💻 30 % de *Challenges*
Rachat de Paris Match (2024)
Entente stratégique avec Bolloré (2024)
Rodolphe Saadé CMA CGM / CMA Média 📺 BFM TV, RMC, 10 % de M6 (projet)
📰 La Provence, La Tribune, La Tribune Dimanche
💻 Participation dans Brut
📺 En négociation pour Chérie 25
Rachat de BFM-RMC (2024, 1,55 Mds €)
Départs majeurs à BFMTV (mai 2025)
Daniel Kretinsky Czech Media Invest 📰 Elle, Télé 7 Jours, autres titres Lagardère
💻 45 % de Loopsider
📺 Plus de 5 % de TF1
Acquisition d’Editis (2024, 653 M€)
Retrait du Monde (2023)
Famille Dassault Figaro Holding 📰 Le Figaro, Jours de France Présence historique depuis 2002
Ligne éditoriale conservatrice constante

L’information comme levier d’influence

Au-delà des aspects économiques, la possession de médias est devenue un instrument d’influence politique et stratégique. Loin de viser uniquement la rentabilité, ces acquisitions permettent aux propriétaires d’orienter l’agenda médiatique, de peser sur les décisions publiques et d’influencer les opinions.

Cette influence se manifeste à travers des pratiques de censure ou d’autocensure. L’agenda idéologique porté par certains actionnaires, comme Vincent Bolloré, s’impose parfois bien au-delà de leurs propres médias, transformant les équilibres du débat public.

Dans ce contexte, des médias indépendants développent des formes de solidarité inédites. Les élections européennes de 2024 ont marqué un tournant avec la multiplication de tribunes, d’enquêtes collectives et de rassemblements.

En septembre 2024, un Village des médias indépendants a vu le jour à la Fête de l’Humanité, rassemblant La Déferlante, Basta!, Blast, Politis, StreetPress, entre autres. Coop-médias a levé près de 700 000 euros pour soutenir ces initiatives, avec le soutien de plusieurs rédactions. En novembre 2024, Arrêt sur images et Politis ont lancé une offre d’abonnement numérique commune.

L’économie du secteur : une fragilité structurelle

Le marché de la communication atteindra 35,9 milliards d’euros en 2025, en légère croissance. Pourtant, les médias traditionnels voient leur part diminuer. Les recettes publicitaires de la presse ont baissé de 5,3 % en 2024, ne représentant plus que 4,7 % du marché publicitaire global.

Cette fragilité rend les entreprises de presse vulnérables, attirant des investisseurs capables d’absorber les pertes à court terme, dans une logique d’influence plus que de profit.

En 2025, la France se classe au 25e rang mondial pour la liberté de la presse, en recul de quatre places. La concentration de l’information entre les mains de quelques grandes fortunes restreint la diversité des points de vue et affaiblit le rôle critique du journalisme.

Selon un sondage de La Croix, 54 % des Français se méfient des informations relayées par les médias sur les grands sujets d’actualité, et seulement 37 % leur font confiance.

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