C’était l’époque des Walkman, des couleurs vives, des vestes oversize et des posters dans les chambres d’ado. Et au cœur de cet imaginaire pop franco-français des années 80-90 trônait un petit cochon rose, mascotte d’une marque qui promettait aux jeunes filles un « Grand Méchant Look ». En ce 21 mai 2025, cette époque semble définitivement révolue. L’enseigne de mode Naf Naf, fondée en 1973, annonce une nouvelle fois son placement en redressement judiciaire, replongeant près de 700 salariés dans l’incertitude. Une annonce choc, moins d’un an après sa reprise par le groupe turc Migiboy Textil.
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Le cochon rose, icône d’une génération
Si Naf Naf éveille une telle émotion, c’est que la marque a largement dépassé son statut d’enseigne de prêt-à-porter pour devenir une signature culturelle. En 1983, la combinaison en toile de coton « prête à teindre », vendue à plus de trois millions d’exemplaires, impose un style accessible, joyeux et personnalisable. Le slogan « Le Grand Méchant Look », lancé en 1984, s’impose dans le langage courant. Dans les vitrines et les pages des magazines, Naf Naf incarne une mode urbaine, dynamique, un brin irrévérencieuse. Sa mascotte — un petit cochon inspiré du conte des Trois Petits Cochons — devient culte, oscillant entre marketing malin et affect visuel.

Cette identité pop, colorée et résolument ancrée dans son temps fait de Naf Naf bien plus qu’une marque : un repère générationnel. À l’image de Petit Bateau pour l’enfance ou de Chipie pour l’ado rebelle, Naf Naf incarne la féminité des années Mitterrand, la montée de la classe moyenne et la démocratisation de la mode tendance.
Les habits du passé ne suffisent plus
Mais les mythes aussi s’effilochent. La marque a bien tenté de raviver ses gloires d’antan : en 2023, pour ses 50 ans, elle lançait une collection capsule « Héritage », recyclant les grandes figures de son passé textile. En 2015 déjà, un retour aux « codes historiques » témoignait d’une volonté de retrouver l’élan perdu. Pourtant, ces tentatives n’ont pas suffi à enrayer le lent déclin entamé depuis les années 2000, dans un marché qui a radicalement changé.
Les chiffres le confirment : entre 2022 et 2023, le chiffre d’affaires de Naf Naf est passé de 141 à 115 millions d’euros. La marque, autrefois offensive et identifiée, est devenue une survivante parmi les ruines d’un secteur en crise.
Un destin emblématique du prêt-à-porter français
Car Naf Naf ne sombre pas seule. Depuis 2020, la liste des enseignes historiques disparues ou exsangues ne cesse de s’allonger : Camaïeu, Kookaï, San Marina, André, Pimkie, Kaporal… Au total, 37 000 emplois ont été perdus en dix ans dans le prêt-à-porter. En 2024, 9 % des boutiques de mode ont fermé en France, confirmant l’effondrement d’un modèle.
Là où d’autres misaient sur le luxe ou la niche, Naf Naf restait fidèle à une proposition de mode accessible, moyenne gamme, et joyeusement féminine. Une identité rendue obsolète par la montée en puissance des plateformes d’ultra fast fashion comme Shein ou Temu, dont les prix et la réactivité laissent peu de marge à des enseignes comme Naf Naf.
Un redressement judiciaire de trop ?
Le placement en redressement judiciaire, confirmé ce mercredi 21 mai lors d’un comité social et économique (CSE) extraordinaire, fait l’effet d’une onde de choc. Le groupe Migiboy Textil, repreneur en juin 2024, s’était engagé à préserver 90 % des emplois et 99 boutiques. Moins d’un an plus tard, ces promesses semblent s’être volatilisées. Le CSE dénonce une « dissimulation mensongère de la situation réelle de l’entreprise ». Le représentant de Migiboy, Murat Akdemir, n’a pas souhaité s’exprimer.
C’est déjà le troisième placement en redressement judiciaire depuis 2020 pour Naf Naf. Un parcours chaotique, entre repreneurs successifs, promesses de croissance irréalistes (8,5 % par an, selon Migiboy) et absence de stratégie claire pour reconnecter avec les jeunes générations.