Emmanuel Macron a relancé, sans le nommer, le débat sur la « TVA sociale » lors de son intervention télévisée du 13 mai 2025 sur TF1. Cette idée, qui revient régulièrement dans le paysage politique français, consiste à transférer une partie du financement de la Sécurité sociale de la feuille de paie à la caisse du supermarché. Peut-elle vraiment contribuer à sauver la protection sociale sans aggraver les inégalités et peser sur le pouvoir d’achat des Français ? Décryptage d’un sujet sensible et clivant.
La TVA sociale vise à alléger le coût du travail en basculant une partie des cotisations sociales, aujourd’hui financées par les employeurs et les salariés, vers la taxation de la consommation. Le mécanisme est simple sur le papier : on réduit les charges sur les salaires et, pour compenser le manque à gagner, on augmente la TVA, impôt payé par les consommateurs à chaque achat.
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Gérer son budget malgré des revenus irréguliers ?
Cette idée n’est pas nouvelle. Nicolas Sarkozy l’avait portée dès 2007 et avait fait voter une hausse de TVA en 2012, rapidement abrogée par François Hollande après son élection. En 2025, le contexte est pourtant tendu : le déficit de la Sécurité sociale atteint 15,3 milliards d’euros en 2024 et pourrait dépasser les 22 milliards cette année. Faut-il alors revoir le modèle de financement ?
Il faut rappeler que la TVA finance déjà en partie la protection sociale. En 2023, 57 milliards d’euros prélevés via la TVA ont été affectés à la Sécurité sociale, soit près d’un quart des recettes totales de TVA.
Pourquoi certains défendent la TVA sociale ?
Réduire le coût du travail
Les organisations patronales, comme le MEDEF et la CPME, soutiennent depuis longtemps cette réforme. Elles estiment que la France taxe trop le travail par rapport à ses voisins européens. Les cotisations patronales représentent 22,5 % des prélèvements en France, contre 19,2 % dans la zone euro et 17,4 % en Allemagne. Réduire ces charges permettrait, selon eux, de renforcer la compétitivité des entreprises et de favoriser l’emploi.
Une « dévaluation fiscale »
Autre argument : la TVA touche les produits importés, contrairement aux cotisations sociales qui ne pèsent que sur la production nationale. Une hausse de la TVA revient ainsi à taxer davantage les produits venus de l’étranger, sans pénaliser les exportations. Ce mécanisme est présenté comme une « dévaluation fiscale » susceptible d’améliorer la balance commerciale.
Élargir le financement
Enfin, la TVA est payée par tous, y compris par les touristes étrangers. Ce système permettrait d’élargir l’assiette de financement de la Sécurité sociale au-delà des seuls salariés et entreprises françaises.
Une réforme jugée injuste et risquée
Une taxe inéquitable
La principale critique concerne le caractère injuste de la TVA, impôt considéré comme régressif. Le taux est le même pour tous, quel que soit le niveau de revenu. Or, les ménages modestes consacrent une part plus importante de leurs revenus à la consommation. Ils seraient donc proportionnellement plus touchés par une hausse de la TVA que les ménages aisés, qui peuvent épargner davantage.
Une menace sur le pouvoir d’achat
L’impact sur le pouvoir d’achat est également pointé du doigt. Une augmentation de la TVA pourrait entraîner une hausse des prix, pesant sur le budget des ménages. « Cette mesure ferait encore baisser le pouvoir d’achat des salariés », a dénoncé Sophie Binet, secrétaire générale de la CGT, qualifiant la proposition de « TVA antisociale ».
Les retraités, dont les pensions ne sont pas revalorisées en fonction de l’inflation de manière automatique, pourraient aussi en faire les frais.
Un risque inflationniste
Plusieurs économistes alertent sur le risque d’une spirale inflationniste. Philippe Crevel estime que « la hausse des salaires serait aussitôt absorbée par la hausse des prix », neutralisant tout gain de pouvoir d’achat. Selon Clément Carbonnier, si les entreprises ne baissent pas leurs prix hors taxes malgré la baisse des cotisations, les consommateurs paieront la facture finale.
Le Conseil des prélèvements obligatoires a lui aussi émis des doutes en 2022 sur l’efficacité réelle d’une telle réforme, soulignant la difficulté d’en mesurer les effets concrets sur l’emploi ou la compétitivité.
Les expériences à l’étranger : un modèle difficilement transposable
Le Danemark est souvent cité en exemple. Entre 1987 et 1989, le pays a presque supprimé les cotisations patronales, tout en portant la TVA à 25 %. Selon un rapport du Sénat, cette réforme n’a pas généré d’inflation notable et a permis de soutenir l’économie danoise.
Mais cette réussite est à relativiser. « Le Danemark est un petit pays très ouvert, qui importe l’essentiel de ce qu’il consomme. Pour la France, où les importations représentent une part moindre, le mécanisme est beaucoup moins évident », nuance l’économiste Jacques Le Cacheux.
Une opposition syndicale unanime
Les syndicats, de la CGT à la CFDT, dénoncent une réforme injuste et redoutent qu’elle ne profite qu’aux employeurs. Ils pointent aussi l’absence de garantie sur l’affectation des recettes supplémentaires. « Rien n’empêche l’État d’utiliser ces fonds pour autre chose que la Sécurité sociale », s’inquiète un responsable syndical.
Quelles suites politiques ?
Emmanuel Macron n’a pas détaillé son calendrier. Il a seulement évoqué l’organisation prochaine d’une conférence sociale avec les partenaires sociaux pour discuter de cette piste, parmi d’autres. Selon un document du Haut Conseil du financement de la protection sociale, consulté par Le Monde, la TVA sociale est une option « à explorer », mais qui « nécessite de nombreuses précautions ».