Un retrait de 50 000 euros depuis une plateforme d’échange, sans aucun revenu déclaré à l’administration fiscale. Il n’en faut pas plus pour déclencher une alerte et un contrôle. Avec la montée en puissance des crypto-actifs, le fisc français affine ses outils de détection et se prépare à renforcer encore ses capacités grâce à de nouvelles régulations européennes. Objectif : traquer les fraudes et les omissions, de plus en plus fréquentes chez les investisseurs mal informés ou tentés par la dissimulation.
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Une pratique de masse, mais largement sous-déclarée
La France compte désormais 5,5 millions de détenteurs de cryptomonnaies, selon les estimations des autorités. Pourtant, seule une infime minorité respecte ses obligations fiscales : 7 % déclareraient correctement leurs gains. Une négligence qui peut coûter cher, car depuis 2019, les plus-values réalisées lors de la conversion de crypto-actifs en euros – au-delà de 305 euros par an – sont taxées à 30 % (12,8 % d’impôt sur le revenu et 17,2 % de prélèvements sociaux). Les professionnels relèvent quant à eux du régime des Bénéfices Industriels et Commerciaux (BIC).
Outre l’imposition des plus-values via le formulaire 2086, les détenteurs doivent également déclarer :
- les comptes ouverts sur des plateformes étrangères (formulaire 3916-bis),
- les revenus passifs issus du staking ou de prêts de crypto-actifs, depuis 2023.
Ces comportements qui attirent l’attention du fisc
Plusieurs signaux d’alerte, identifiés par la Direction générale des Finances publiques (DGFiP), peuvent déclencher un contrôle fiscal :
Incohérences financières : achat de biens de luxe (voiture, immobilier) sans revenus déclarés à la hauteur, ou écart flagrant entre dépenses et déclarations.
Anomalies bancaires : transferts répétés depuis ou vers des plateformes comme Binance, Kraken ou Coinbase ; retraits massifs sans justification fiscale, supérieurs aux montants investis.
Activités suspectes sur les plateformes : usage d’outils d’anonymisation (mixers), multiplication de portefeuilles ou d’opérations crypto-crypto à grande échelle.
Une traque technologique de plus en plus performante
Pour détecter ces pratiques, le fisc s’appuie sur un arsenal technologique sophistiqué :
- Data mining : des algorithmes croisent les données bancaires, les revenus déclarés et les dépenses apparentes.
- Blockchain tracking : des logiciels comme Chainalysis permettent de tracer les transactions sur la blockchain, y compris entre portefeuilles privés.
- Signalements bancaires : les établissements financiers doivent remonter les mouvements atypiques à Tracfin, qui les transmet ensuite au fisc. Plus de 80 % des contrôles sont déclenchés suite à ces signalements.
Bruxelles serre la vis : la fin de l’anonymat crypto dès 2026
Le règlement MiCA (Markets in Crypto-Assets), entré en vigueur pour les prestataires de services en décembre 2024, impose déjà des obligations de transparence renforcées aux plateformes européennes. Toutefois, c’est la directive DAC8, applicable à partir du 1ᵉʳ janvier 2026, qui marquera un tournant décisif :
Échange automatique des données : Les États membres partageront en temps réel les informations transmises par les plateformes (y compris non européennes).
Portée étendue : Toutes les transactions seront concernées, y compris les échanges entre cryptomonnaies (BTC/ETH, stablecoins, NFTs) et les opérations sur les portefeuilles décentralisés.
Accès direct du fisc : Les administrations nationales, comme la DGFiP en France, recevront l’historique complet des transactions (dates, montants, contreparties) dès 2026.
Précisions issues des textes officiels :
- MiCA exige dès juin 2025 des rapports standardisés (modèles XBRL) sur les risques et les actifs détenus.
- DAC8 s’applique même aux plateformes étrangères servant des clients européens, avec des sanctions en cas de non-conformité.
- Les données incluront l’identité des utilisateurs, rendant les contrôles fiscaux rétroactifs possibles.
Conséquence majeure : L’omission déclarative deviendra quasi impossible à partir de 2026, avec un risque accru de redressements pour les contribuables non conformes.
Amendes, redressements, sanctions pénales : l’addition peut être salée
Les sanctions prévues sont lourdes :
- 1 500 euros d’amende par compte non déclaré (10 000 euros si le compte est situé hors Europe).
- Majorations jusqu’à 80 % des impôts éludés.
- Redressements rétroactifs sur 3 à 10 ans, selon la mauvaise foi.
- Poursuites pénales en cas de fraude caractérisée.
Un contribuable ayant omis de déclarer 100 000 euros de gains pourrait se voir réclamer jusqu’à 144 000 euros en impôts, majorations et pénalités.
Comment éviter les mauvaises surprises : les bonnes pratiques
Pour éviter de tomber sous le coup d’un contrôle ou d’une sanction, les détenteurs de crypto-actifs doivent adopter une gestion rigoureuse :
- Tenir un registre précis des transactions (dates, montants, nature des opérations).
- Utiliser des outils spécialisés comme Waltio ou ComptaCrypto pour calculer et remplir les déclarations fiscales.
- Régulariser les anciennes transactions avant l’entrée en vigueur de DAC8, en 2026.
Les portefeuilles auto-hébergés, comme ceux sur clé Ledger, ne sont pas soumis à déclaration tant qu’ils ne sont pas utilisés pour des opérations converties en euros ou en monnaie fiduciaire.