Règles douloureuses : des millions de femmes sans protection légale

Les règles douloureuses impactent massivement la vie professionnelle des femmes. Pourtant, la loi reste muette. Les expérimentations locales sont freinées, les propositions de loi échouent, et les initiatives privées restent isolées.

« Je serre les dents, je prends un cachet et je fais comme si de rien n’était. » Comme Léa, 32 ans, assistante administrative à Toulouse, des millions de femmes en France continuent à se rendre au travail malgré des douleurs menstruelles parfois invalidantes. Crampes abdominales, maux de tête, nausées, fatigue extrême : les symptômes de la dysménorrhée, terme médical désignant les règles douloureuses, touchent une femme sur deux selon l’Inserm. Pour certaines, ces douleurs s’aggravent avec des pathologies chroniques comme l’endométriose ou l’adénomyose, qui concernent environ 10 % des femmes menstruées.

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Ces troubles pèsent directement sur la vie professionnelle : baisse de concentration, absentéisme dissimulé, fatigue accumulée, culpabilité. Pourtant, ce vécu reste souvent tu, masqué par la crainte d’être jugée ou stigmatisée.

En théorie, rien n’empêche une salariée de s’arrêter en cas de règles douloureuses. En pratique, la seule option reste l’arrêt maladie classique, prescrit par un médecin. Une procédure contraignante : il faut consulter, obtenir un certificat, transmettre les documents à la Sécurité sociale et à l’employeur sous 48 heures. Et surtout, l’arrêt est soumis à un délai de carence de trois jours non indemnisés, sauf si l’employeur choisit d’en assurer la prise en charge.

« Je perds trois jours de salaire pour une douleur que je subis chaque mois, c’est injuste », déplore Léa, qui préfère « tenir bon » plutôt que de s’arrêter. Un choix courant parmi les salariées, souvent résignées à souffrir en silence.

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La France à la traîne quand d’autres pays avancent

Ailleurs, certains pays ont franchi le pas. En 2023, l’Espagne est devenue le premier pays européen à adopter une loi créant un congé menstruel pour les femmes souffrant de règles douloureuses, indemnisé sans carence sur prescription médicale. Le Japon, la Corée du Sud, l’Indonésie, Taïwan ou encore la Zambie ont également mis en place des dispositifs similaires.

En France, le député d’Ille-et-Vilaine Mickaël Bouloux (PS) a déposé le 1er avril dernier une proposition de loi « visant à créer un arrêt de travail indemnisé et un aménagement en télétravail pour menstruations incapacitantes  ». Inspiré de l’exemple espagnol, le texte proposait notamment un arrêt sans carence de deux jours par mois, pris en charge par l’Assurance maladie.

Ce 15 février, la proposition a été examinée au Sénat, avant d’être rejetée à la fois par la majorité sénatoriale et par le gouvernement, qui ont freiné son adoption. Le député socialiste espère néanmoins qu’elle pourra être réinscrite à l’agenda parlementaire fin 2025, lors de la prochaine niche de son groupe.

Des initiatives locales et privées étouffées par l’État

En l’absence de loi nationale, certaines collectivités locales ont tenté d’agir. La métropole de Lyon, Rennes Métropole, la région Nouvelle-Aquitaine ou encore la ville de Saint-Ouen-sur-Seine ont mis en place des autorisations spéciales d’absence (ASA) pour leurs agentes. Deux jours par mois, sur présentation d’un certificat médical, sans perte de salaire. Mais ces initiatives ont été freinées par l’État, qui a demandé leur suspension, les jugeant sans base juridique.

Du côté des entreprises, certaines pionnières comme Carrefour, Marédoc ou Critizr ont choisi d’aménager des congés menstruels pour leurs salariées. Des partis politiques, comme le Parti socialiste, proposent également cette possibilité à leurs collaboratrices. Mais ces initiatives restent rares et dépendent de la bonne volonté des employeurs.

Quelles solutions en attendant la loi ?

Faute de cadre national, certaines entreprises tentent d’adapter les conditions de travail : télétravail, allègement des tâches, jours de repos exceptionnels. Les salariées peuvent aussi initier le dialogue avec leur manager, un représentant du personnel ou la direction des ressources humaines pour proposer un dispositif interne.

Quand l’absence n’est pas possible, des gestes simples permettent de mieux vivre les douleurs : prendre un anti-inflammatoire comme l’ibuprofène, utiliser une bouillotte, faire quelques pas pour relâcher les tensions, ou adapter ses protections périodiques en cas de flux abondants. Une consultation médicale peut aussi permettre d’envisager des solutions de fond, comme une contraception hormonale, pour réguler les symptômes.

Jusqu’à quand les élus continueront-ils à ignorer cette urgence sociale ? La mise en place d’un cadre légal, sans carence et adapté aux réalités du monde du travail, permettrait de sortir enfin du tabou et de reconnaître les menstruations incapacitantes comme une question de santé publique. La balle est désormais dans le camp des décideurs politiques.


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