Vélo : pourquoi la France pédale moins vite que l’Europe

La France investit dans le vélo, mais les usages stagnent. Suppression des aides, crise industrielle et retard culturel freinent la mobilité cyclable.

Malgré des investissements massifs, des politiques publiques ambitieuses et une filière industrielle en structuration, la France reste à la traîne en matière de pratique du vélo par rapport à ses voisins européens. Un paradoxe qui révèle les limites d’une transition encore trop inachevée.

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Un usage du vélo qui stagne malgré les politiques publiques

Un paradoxe français. Tandis que le gouvernement multiplie les annonces en faveur de la mobilité cyclable, la France demeure largement distancée sur la scène européenne. Selon les dernières données, la situation s’aggrave même : seuls 35% des Français utilisent un vélo au moins une fois par mois en 2024, contre 37% en 2023. Dans le détail, 24% sont des cyclistes réguliers (10% quotidiens, 14% hebdomadaires), 30% sont des cyclistes occasionnels, et 46% ne pratiquent pas du tout. La disparité homme-femme est également notable : 29% des hommes sont des cyclistes réguliers contre 20% des femmes.

À titre de comparaison, 59% des Allemands pratiquent régulièrement le vélo, tandis qu’aux Pays-Bas, il y a davantage de bicyclettes que d’habitants, et 27% des trajets quotidiens s’y font à vélo.

Cet écart persistant interroge. Car dans les chiffres, la volonté politique semblait bel et bien là : le Plan Vélo et Mobilités Actives, renouvelé pour la période 2023-2027, prévoyait un investissement total de 2 milliards d’euros, dont 1,25 milliard via le Fonds mobilités actives, destiné à développer les infrastructures cyclables. Toutefois, après avoir semblé abandonné sous le gouvernement Barnier à l’automne 2024, il a été « ressuscité » par François Bayrou dans son discours de politique générale du 14 janvier 2025, mais avec une enveloppe drastiquement réduite : seulement 50 millions d’euros issus du Fonds vert pour 2025, soit cinq fois moins que les 250 millions annuels initialement prévus.

Le réseau français compte aujourd’hui 57 000 kilomètres de voies sécurisées, avec un objectif de 100 000 km d’ici 2030. Parallèlement, l’initiative « Savoir Rouler à Vélo » a déjà permis à 480 000 enfants d’obtenir une attestation depuis avril 2019, avec un objectif de former 850 000 enfants par an à partir de 2027.

Mais malgré ces efforts, la France n’embraye pas.

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Une culture cyclable encore balbutiante

L’un des principaux freins reste historique et culturel. « Nous avons hérité d’une urbanisation fondée sur la voiture », reconnaît un acteur de la filière. Contrairement aux Pays-Bas ou au Danemark, qui ont misé dès les années 1970 sur un modèle de ville cyclable, la France a longtemps fait du vélo une affaire de loisirs, marginalisée dans les politiques de transport.

Aujourd’hui encore, les disparités territoriales sont criantes : les grandes métropoles disposent d’un réseau plus dense et cohérent, tandis que les zones périurbaines et rurales peinent à suivre. Le récent retrait de l’État des aides à l’achat de vélos (bonus écologique, prime à la conversion), supprimées en février 2025 dans un contexte de rigueur budgétaire, aggrave ce sentiment d’incohérence. Plusieurs élus locaux et 350 collectivités ont dénoncé une décision contre-productive.

Pour tenter de renverser cette tendance, la 5e édition de « Mai à vélo » se déroule actuellement du 1er au 31 mai 2025. Cet événement national, soutenu par le ministère de la Transition écologique et celui des Sports, vise à promouvoir la pratique du vélo sous toutes ses formes et à sensibiliser le grand public aux bienfaits de cette mobilité.

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La fin des aides d’État à l’achat de vélos

La suppression des aides nationales à l’achat de vélos, effective depuis le 15 février 2025, constitue un tournant majeur pour la filière cyclable française. Le décret n°2024-1084 du 29 novembre 2024 a mis fin au bonus écologique (qui pouvait atteindre 2000€ pour certains modèles) et à la prime à la conversion (entre 1500€ et 3000€), deux dispositifs phares qui soutenaient l’acquisition de vélos à assistance électrique, de vélos cargos et de vélos pliants. Cette décision, prise dans un contexte de rigueur budgétaire, intervient paradoxalement alors que le gouvernement avait initialement garanti ces aides jusqu’en 2027.

Les conséquences économiques s’annoncent sévères pour l’ensemble de la filière. L’Union Sport & Cycle prévoit une baisse d’activité de 15 à 20%, tandis que les fabricants français anticipent une chute de production de 30% pour 2025. Plus inquiétant encore, 20% des détaillants indépendants pourraient disparaître à moyen terme, fragilisant le tissu économique local. Pour les consommateurs, cette suppression se traduit par une hausse significative du coût d’acquisition : le prix moyen d’un vélo électrique devrait passer de 1800€ à 2250€, soit une augmentation de 25%, impactant particulièrement le pouvoir d’achat des ménages modestes.

Face à ce désengagement de l’État, les alternatives restent limitées mais existantes. Les collectivités territoriales maintiennent leurs propres dispositifs d’aide : la région Île-de-France propose jusqu’à 600€ pour un vélo cargo, l’Occitanie offre un éco-chèque mobilité de 200€ sous conditions de ressources, et de nombreuses villes comme Toulon (250€), Caen (300-400€) ou Angers (jusqu’à 400€ pour les vélos cargo) poursuivent leurs subventions locales. Cependant, ces aides, autrefois cumulables avec le bonus national, ne suffisent plus à compenser intégralement le surcoût pour les ménages. Le seul point positif dans ce tableau reste l’engagement de François Bayrou, qui a promis dans sa déclaration de politique générale de poursuivre le Plan Vélo avec une enveloppe de 50 millions d’euros inscrite au projet de loi de finances 2025, mais sans précision sur un éventuel retour des aides à l’achat.

Une filière vélo en crise

L’autre défi est industriel. La France tente de structurer sa filière économique du vélo, mais elle part de loin et la situation s’est nettement dégradée. En 2024, la production française a chuté à 495 308 unités, soit une baisse de 18% par rapport à 2023, où elle avait déjà reculé de 24%. Le nombre de vélos vendus a également reculé de 12%, passant sous la barre des 2 millions d’unités (1 956 700 exactement), et le chiffre d’affaires a diminué de 8,3%, passant de 3,4 milliards d’euros en 2022 à 3,2 milliards en 2024.

Cette tendance baissière touche même le secteur des vélos électriques, pourtant en forte croissance ces dernières années. La Manufacture française du cycle, plus grande usine d’assemblage de France, n’utilise que la moitié de sa capacité de production (300 000 vélos produits en 2024 pour une capacité de 600 000) et a dû réduire ses effectifs de 1 000 à 650 salariés.

Le plan « Industrie vélo », doté de 55 millions d’euros, vise à porter la production à 2 millions d’unités d’ici 2030. Un objectif qui semble de plus en plus ambitieux dans un marché en repli.

Seule exception dans ce tableau morose : l’essor spectaculaire de la filière réparation, qui a connu une croissance de 119% depuis 2019. Aujourd’hui, il se répare trois fois plus de vélos qu’il ne s’en vend de neufs, ce qui témoigne d’une certaine durabilité du parc existant et d’un changement dans les habitudes de consommation. Le Fonds réparation, soutenu par les metteurs sur le marché, a contribué à cette dynamique positive.

Ce que font mieux nos voisins

Si la France stagne, c’est aussi parce que d’autres vont beaucoup plus vite et investissent massivement. Les Pays-Bas ont débloqué 780 millions d’euros (complétés par les collectivités pour dépasser le milliard) pour développer leur infrastructure cyclable déjà exemplaire.

L’Allemagne a su conjuguer industrie de masse (2 millions de VAE vendus par an) et usage quotidien. Elle a également investi 25 millions d’euros dans la construction d’autoroutes cyclables, notamment la Radschnellweg, qui couvrira 100 kilomètres et reliera dix villes et quatre universités. Ces voies rapides cyclables de 4 mètres de large, équipées de ponts et tunnels, permettent aux cyclistes de se déplacer sur de longues distances à une vitesse moyenne de 20 km/h sans obstacles.

Copenhague, capitale danoise, investit dans des autoroutes cyclables et des ponts réservés aux cyclistes. Plus de 400 kilomètres de pistes cyclables bleues quadrillent la ville, et des autoroutes cyclables (cykelsuperstier) ont été construites pour permettre aux banlieusards d’atteindre rapidement le centre-ville. Chaque jour, 42 000 cyclistes parcourent les 2,2 km de la Nørrebrogade, contre 25 000 passages quotidiens sur l’artère la plus fréquentée d’Amsterdam.

Amsterdam ou Utrecht sont devenues des modèles mondiaux d’intermodalité : vélo + train, vélo + tram, vélo + travail.

Au-delà des infrastructures, ce sont des logiques de long terme, ancrées dans l’aménagement urbain, la fiscalité, la culture et l’école, qui font la différence. Dans ces pays, le vélo n’est pas un geste militant ou écolo : c’est un outil fonctionnel, statutaire, sécurisé. En France, il peine encore à sortir de l’image sportive ou alternative.

Une transition inachevée avec quelques lueurs d’espoir

La France n’est pas immobile, mais elle avance en zigzag. Le nombre de kilomètres cyclables augmente (+50% depuis 2017), les usages progressent lentement (+31% de fréquentation depuis 2019), et la filière tente de se structurer autour d’un contrat signé en 2024, qui fédère industriels, collectivités, associations et État. L’objectif : atteindre 100 000 emplois dans la filière d’ici 2030, contre 47 000 aujourd’hui.

Le Plan Vélo et marche 2023-2027, malgré ses incertitudes budgétaires, maintient trois objectifs principaux :

– Rendre le vélo accessible à toutes et tous, dès le plus jeune âge et tout au long de la vie ;
– Faire du vélo et de la marche une alternative attractive à la voiture individuelle pour les déplacements de proximité ;
– Faire du vélo un levier pour l’économie en accompagnant les acteurs français de la filière

Mais tant que la cohérence d’ensemble fera défaut – entre infrastructures, aides, urbanisme, industrie et pratiques -, la France continuera à pédaler en-dessous de son potentiel. La transition cyclable est bien engagée, mais elle reste freinée par des blocages profonds : fragmentation des politiques publiques, lenteur de transformation des villes, et surtout, retard culturel face à un changement de paradigme.


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