Pinault, Arnault, Niel : les milliardaires français misent sur le football national

Xavier Niel entre au capital de l’US Créteil-Lusitanos. Avec Pinault et Arnault, il incarne le retour des grandes fortunes françaises dans le football.

Alors que les capitaux étrangers dominent le football professionnel français, quelques grandes fortunes hexagonales investissent dans des clubs avec des ambitions variées — entre enracinement local, projet familial et vision stratégique. Dernier en date : Xavier Niel à l’US Créteil-Lusitanos.

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L’Union sportive Créteil-Lusitanos, club du Val-de-Marne évoluant en National 2, la quatrième division du football français, a annoncé mercredi 30 avril, dans un communiqué, l’entrée au capital de NJJ Holding, la société personnelle de Xavier Niel, fondateur de Free et actionnaire du Groupe Le Monde.

« Rendre à ma ville ce qu’elle m’a donné », a déclaré sobrement l’entrepreneur sur les réseaux sociaux. Derrière cette formule apparaît une démarche plus complexe. Comment interpréter l’irruption d’un milliardaire des télécoms dans le modeste paysage du football amateur ? Est-ce un acte de mécénat sincère, une opération d’image ou le début d’un repositionnement stratégique ? Dans un football dominé par des logiques globalisées, l’entrée de Niel fait figure d’exception. Elle s’inscrit dans une tendance émergente où quelques grandes fortunes françaises — François Pinault (Stade Rennais) et Bernard Arnault (Paris FC) en tête — semblent vouloir réancrer le football hexagonal dans un récit local et national.

Le foot français, un terrain sous influence étrangère

Depuis une dizaine d’années, le football professionnel français a profondément changé. L’arrivée massive de capitaux étrangers, en particulier en Ligue 1, a transformé la carte de la propriété des clubs. Ce mouvement s’est accompagné d’une montée en puissance économique spectaculaire : les revenus du football ont été multipliés par mille en quarante ans, passant d’environ 1 million d’euros en 1970 à plus d’un milliard en 2011.

Aujourd’hui, plus de la moitié des clubs de Ligue 1 sont contrôlés par des investisseurs venus des États-Unis, du Qatar, du Royaume-Uni ou d’Asie. L’Olympique de Marseille (Frank McCourt), l’Olympique Lyonnais (John Textor), le Toulouse FC (RedBird Capital), Le Havre (Vincent Volpe), le PSG (Qatar Sports Investments), Nice (INEOS), Auxerre (James Zhou), Monaco (capitaux russes) ou Lille (fonds hispano-luxembourgeois) symbolisent cette globalisation accélérée. En Ligue 2, la dynamique reste plus modérée, mais la tendance à l’internationalisation est bien amorcée.

Deux facteurs expliquent cette ouverture : le prix relativement bas des clubs français comparé à d’autres marchés européens et les difficultés financières des clubs aggravées par la crise du Covid et les fiasco à répétition de ventes de droits télé (Mediapro puis DAZN). Si ces investissements permettent d’apporter des fonds et de moderniser les structures, ils posent aussi la question de l’identité des clubs. Jusqu’où peuvent-ils s’internationaliser sans se déconnecter de leur territoire d’origine ?

C’est dans ce contexte que les initiatives françaises de Pinault, Arnault et Niel prennent un relief particulier.

Trois fortunes françaises, trois projets distincts

Alors que la majorité des clubs de l’élite passent sous pavillon étranger, ces trois figures françaises choisissent des voies différentes pour investir dans le football. Leur point commun : une volonté de construire sur le temps long, en misant sur l’ancrage local ou national.

François Pinault au Stade Rennais : la force tranquille

En 1998, François Pinault, troisième fortune de France, rachète le Stade Rennais via sa holding Artémis. Le club, alors en difficulté sportive, retrouve rapidement de la stabilité et s’installe durablement en Ligue 1.

Après quelques erreurs coûteuses sur le marché des transferts au début des années 2000, la famille Pinault opte pour une gestion rationnelle. La politique se recentre sur la formation, la modernisation des infrastructures (la Piverdière) et la continuité managériale. François-Henri Pinault pilote aujourd’hui le projet en lien direct avec les dirigeants du club, dans une logique de responsabilité patrimoniale.

Mais cette fidélité, si elle force le respect, suscite aussi quelques frustrations. Certains supporters estiment que Rennes, avec la puissance financière du groupe Pinault, pourrait viser bien plus haut. Le choix de la prudence, bien qu’efficace, laisse planer l’idée d’un potentiel volontairement sous-exploité.

Bernard Arnault au Paris FC : une conquête raisonnée

En décembre 2024, Agache Sports, la structure d’investissement de la famille Arnault, prend le contrôle du Paris FC. Aux côtés de Red Bull, actionnaire minoritaire à hauteur de 10 %, le groupe LVMH engage un projet structuré, ambitieux, porté par Antoine Arnault.

Le discours se veut exemplaire : formation, rigueur, parité hommes-femmes, et ambition européenne à moyen terme. Le club, longtemps resté dans l’ombre du PSG, rêve désormais d’incarner une alternative crédible, ancrée dans la métropole parisienne.

Mais cette association avec Red Bull, acteur global du sport-spectacle, interroge. Jusqu’où peut-on conserver une identité locale tout en s’alliant à un géant du marketing sportif ? Et dans une ville déjà saturée par l’omniprésence du PSG, le Paris FC peut-il réellement exister comme projet autonome, ou restera-t-il dans une position de second rôle ?

Xavier Niel à l’US Créteil : l’engagement du quartier

Avec Créteil, Xavier Niel fait un choix singulier : celui d’un club amateur, loin des projecteurs, mais proche de ses racines personnelles. Né à Créteil, l’entrepreneur affirme vouloir « redonner à sa ville » par un projet sincère et progressif.

L’ambition affichée est modeste mais structurante : création d’un centre de formation, professionnalisation des instances, valorisation du football local. Le président Tony Al Homsi reste en poste, assurant une continuité bienvenue.

Ce geste est salué pour sa cohérence locale. Mais il soulève aussi des interrogations. L’investissement de Niel, également actionnaire d’un des plus grands groupes de presse du pays, ne saurait être totalement dissocié de son influence publique. Derrière la générosité, certains y voient aussi une forme de capitalisation symbolique sur un territoire populaire.

Trois visions pour une même reconquête

Si les moyens, les échelles et les ambitions diffèrent, ces trois milliardaires incarnent une tentative commune de redonner du sens à l’investissement footballistique. Pinault privilégie la prudence et la continuité dans un club régional qu’il connaît depuis longtemps. Arnault construit, avec méthode, un projet qui veut faire émerger un deuxième grand club parisien. Niel, enfin, cherche à structurer un club local, sans précipitation, à partir d’un ancrage biographique fort.

Tous trois s’opposent ainsi, par leur engagement, à la logique purement financière qui prévaut dans de nombreux rachats internationaux. Et affirment, chacun à leur manière, qu’un autre modèle est possible : plus enraciné, plus durable, parfois même plus politique.

L’implication de ces grandes fortunes pourrait préfigurer un basculement. Si d’autres les imitaient — Bolloré ? — le football français pourrait rééquilibrer sa gouvernance autour d’acteurs nationaux. Mais pour cela, encore faut-il que l’écosystème favorise ces initiatives et ne les étouffe pas sous le poids des contraintes économiques et des attentes court-termistes.


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