Entre la Chine et l’Afrique, une relation gagnant-gagnant

Moins déséquilibrée qu’il n’y paraît, la coopération sino-africaine repose sur des intérêts croisés : capitaux chinois, besoins africains. Une relation asymétrique, mais choisie.

On parle souvent d’emprise ou de mainmise. D’un nouveau colonialisme, en mandarin cette fois. La réalité, comme souvent en économie, est moins spectaculaire que les fantasmes… mais pas moins intéressante. Depuis trois décennies, la Chine et l’Afrique ont noué une relation qui ne dit pas son nom : un pragmatisme mutuel, nourri par l’urgence des besoins et les surplus de capitaux.

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1989 : point de départ d’une nouvelle stratégie

Le grand tournant, ce n’est pas 2000, ni même 2013. C’est 1989. À la suite de Tian’anmen, Pékin se retrouve isolé. Le régime cherche alors des débouchés diplomatiques, mais aussi économiques, pour une croissance intérieure encore balbutiante. L’Afrique, en mal d’investisseurs et de crédibilité financière, offre un terrain d’entente : elle a les besoins, la Chine, les moyens.

Dès les années 1990, la “go out policy” pousse les entreprises chinoises à sortir du giron domestique. En 2000, la création du Forum sur la coopération sino-africaine (FOCAC) acte cette ouverture. Dès 2009, la Chine devient le premier partenaire commercial du continent. Ce n’est pas une conquête. C’est une transaction.

Routes de la soie : l’Afrique comme relais stratégique

Le projet pharaonique de Xi Jinping – les fameuses “nouvelles routes de la soie” – redessine la carte économique mondiale. L’Afrique n’est pas au centre du projet, mais elle devient un relais utile, un nœud maritime, une source de matières premières. En 2023, près de 250 milliards de dollars auront été dirigés vers le continent dans ce cadre. L’objectif est clair : construire vite, déployer du savoir-faire, garantir des débouchés.

Ports, rails, routes : la Chine investit massivement dans des infrastructures visibles, efficaces, souvent en marge des conditionnalités occidentales. Le schéma est bien rodé : financement par Exim Bank, exécution par les géants chinois du BTP, parfois recyclés d’un chantier domestique.

Le cas emblématique du train Mombasa-Nairobi en dit long : 90 % de financement chinois, construction chinoise, gestion chinoise. Une coopération ? Oui. Symétrique ? Non. Mais choisie.

Une coopération choisie, mais déséquilibrée

Les ports africains sont devenus les symboles d’une inquiétude : celle d’une Chine aux ambitions impériales. La réalité est plus nuancée. Sur 55 ports identifiés comme ayant un lien avec la Chine, seuls trois terminaux sont majoritairement contrôlés par des intérêts chinois. Loin d’un “monopole maritime”, on parle ici de contrats de gestion, de concessions limitées, souvent décidées par les États africains eux-mêmes.

Autre idée reçue : la main-d’œuvre chinoise déferlant sur le continent. C’est de moins en moins vrai. De 116 000 expatriés en 2013, on est passé à 43 000 en 2023. Le coût du travail chinois, les pressions sociales locales et la logique d’adaptation ont inversé la dynamique. L’africanisation des effectifs devient la norme.

Une nouvelle phase : moins de volume, plus de stabilité

Depuis 2017, les flux de crédits chinois vers l’Afrique ralentissent nettement. La pandémie a joué un rôle d’accélérateur. Mais c’est surtout un recentrage stratégique qui est à l’œuvre : moins de quantité, plus de rentabilité. Pékin privilégie désormais les contrats stables, les partenariats à long terme, les zones à faible risque. Un changement de cap discret, mais structurant.

Les relations sino-africaines ne sont ni un néocolonialisme, ni un modèle d’équité. Elles relèvent d’une co-construction asymétrique, où chaque partie avance ses pions selon ses intérêts. L’Afrique, souvent perçue comme dominée, n’est pas passive. Les élites locales négocient, arbitrent, choisissent. La Chine, de son côté, apprend, ajuste, affine ses outils d’influence.

Pas de grand plan secret. Pas d’empire rampant. Juste une mécanique d’interdépendance, bancale mais fonctionnelle. Et c’est peut-être cela, la vraie force de Pékin : ne pas chercher à tout contrôler. Juste être là, partout où les autres ne vont plus.


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