Bic se réinvente pour rester dans la course

Tatouages éphémères, brosses à cheveux, objets connectés : Bic opère une transformation radicale pour ne plus dépendre de ses produits emblématiques, comme le stylo ou le briquet.

Déclin ? Quel déclin ? La dernière étude d’OpinionWay a montré que la marque préférée des Français s’appelait… Bic. Pourtant, l’entreprise créatrice du stylo le plus célèbre du monde se bat pour survivre dans un univers où l’on écrit de moins en moins. Du stylo Cristal aux tatouages éphémères, le groupe accélère sa transformation en misant sur l’innovation et les acquisitions ciblées.

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Le stylo Bic, un produit universel

C’est à la sortie de la Seconde Guerre mondiale que Marcel Bich, associé à Édouard Buffard, fonde la société PPA (Porte-plume, Porte-mines et Accessoires). Le rachat du brevet de Laszlo Biro, inventeur du stylo à bille, marque un tournant. Bich revoit l’ensemble du produit : design épuré, corps transparent permettant de visualiser le niveau d’encre, amélioration du mécanisme de bille.

Le Bic Cristal est lancé en 1950. Produit en série à bas coût, il s’impose rapidement comme un objet universel. Son succès en France ouvre la voie à l’internationalisation. En 1969, le stylo 4 couleurs complète l’offre. Vendu à des centaines de millions d’exemplaires, il devient un produit iconique à son tour.
Le modèle industriel est reproductible. En 1973, Bic applique la même recette au briquet, puis au rasoir jetable en 1975. L’entreprise crée des objets standards, fiables et accessibles, diffusés massivement à l’échelle mondiale.

Acquisitions stratégiques et expansion internationale

Bruno Bich, fils du fondateur, prend la tête de l’entreprise dans les années 1990. Il poursuit l’expansion du groupe via une série d’acquisitions. Il intègre notamment Conté, spécialiste du dessin, les marques de correction Wite-Out et Tipp-Ex, et développe la branche Bic Sport à partir du rachat de Tabur Marine (revendue depuis). La stratégie reste centrée sur les biens de consommation courante, à forte rotation.

Ces opérations permettent à Bic de consolider sa position sur ses marchés historiques tout en amorçant des élargissements de portefeuille. La structure familiale, restée stable, facilite les décisions à long terme.

Comment Gonzalve Bich a relancé Bic

Entré dans le groupe en 2003, Gonzalve Bich en prend la direction générale en 2019. Il hérite d’une entreprise fragilisée par le déclin du marché de la papeterie, les mutations de consommation dans le tabac, et l’image dégradée des objets jetables.
Sa réponse est double : d’une part, une réorganisation en profondeur avec une collaboration renforcée entre la R&D et le marketing, et la création d’un panel de consommateurs mobilisé pour tester les nouveaux produits. D’autre part, un plan d’investissement visant à améliorer la productivité industrielle.

Ces mesures portent leurs fruits. Malgré la crise sanitaire, Bic enregistre une croissance de 12,5 % en 2021, puis de 14 % en 2022, atteignant un chiffre d’affaires de 2,2 milliards d’euros. En 2023, la progression ralentit légèrement (+1,3 %, à 2,26 milliards), mais les marges continuent de s’améliorer (15,6 % au T4 2024).

Diversification et innovation

Conscient de la fragilité des piliers historiques (stylos, briquets, rasoirs), Gonzalve Bich engage une stratégie de diversification active. Il cible des marchés de niche en croissance, liés à l’expression individuelle.

En 2021, Bic acquiert Inkbox (tatouages semi-permanents) et Tattly (décalcomanies artistiques), visant une clientèle jeune en quête d’alternatives non définitives à l’encrage corporel. En 2022, la startup française AMI (Advanced Magnetic Interaction), spécialisée dans l’écriture numérique, rejoint le groupe.

Dernière opération en date : le rachat fin 2024 de Tangle Teezer, marque britannique de brosses à cheveux haut de gamme. L’entreprise, leader sur son marché, doit contribuer à hauteur de 3,5 points de croissance au chiffre d’affaires 2025. Bic mise ici sur la montée en gamme dans le secteur des soins personnels, un segment mondial en forte dynamique.

L’innovation est redevenue un levier stratégique central. Le groupe dépose de plus en plus de brevets, tous domaines confondus. L’ambition affichée est de repositionner certains produits historiques (notamment les rasoirs) sur des segments premium, tout en élargissant l’offre vers des objets à forte valeur ajoutée.
Cette dynamique s’appuie sur une veille technologique active, destinée à capter rapidement les signaux faibles du marché. L’innovation n’est plus uniquement industrielle, mais aussi culturelle, comportementale et design.

Objectif durabilité

Face à la critique des objets à usage unique, Bic renforce sa politique RSE. Des dispositifs de collecte et de désassemblage des rasoirs et briquets sont expérimentés, notamment en Espagne, où la législation impose leur recyclage.

En 2024, 85 % des emballages plastiques de Bic sont réutilisables, recyclables ou compostables. L’entreprise vise 100 % d’ici 2025. De même, 92 % de l’électricité consommée provient de sources renouvelables.
Le programme éducatif « Writing the Future, Together », lancé en 2018, a déjà touché 210 millions d’enfants, avec un objectif de 250 millions d’ici fin 2025. Bic est également signataire du Pacte Mondial des Nations Unies, avec des engagements clairs sur la réduction de l’usage de plastique vierge d’ici 2030.

Gouvernance chez Bic : transition managériale prévue pour 2025

En décembre 2024, Gonzalve Bich annonce son départ de la direction générale d’ici au 30 septembre 2025. Un comité de succession est en place. Il restera Senior Advisor, garant de la continuité stratégique. La famille conserve 44 % du capital du groupe et reste fortement impliquée, en France comme à l’étranger.

L’horizon de Bic s’élargit. L’entreprise assume désormais une identité plurielle, entre biens de consommation classiques et produits liés à la personnalisation, à l’expression, à l’hygiène ou au numérique. Les trois lignes historiques (écriture, feu, rasage) ne sont pas abandonnées, mais repositionnées.


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