En 2025, le numérique représente 4,4 % de l’empreinte carbone de la France, soit près de 30 millions de tonnes de CO₂ équivalent par an, selon l’ADEME. Ce chiffre progresse rapidement et dépasse déjà certaines branches industrielles. Il se rapproche désormais de l’impact du transport routier de marchandises.
Cette évolution résulte de la croissance continue du nombre d’équipements connectés, de la diffusion des services numériques, de l’usage intensif de l’intelligence artificielle et de l’extension des capacités de calcul. La sobriété numérique devient une question technique, mais aussi économique et environnementale.
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L’inefficacité persistante du recyclage des équipements
La production mondiale de déchets d’équipements électriques et électroniques (DEEE) a atteint 62 millions de tonnes en 2022, soit une hausse de 82 % depuis 2010, selon l’Union internationale des télécommunications. En France, seulement 22 % de ces déchets sont collectés pour être recyclés. Ce taux pourrait baisser à 20 % d’ici à 2030 en l’absence de mesures correctives.
L’économie perd ainsi l’accès à des ressources critiques comme les métaux rares, pour une perte estimée à 62 milliards de dollars par an à l’échelle mondiale. Sur l’ensemble du secteur numérique, les terminaux (ordinateurs, smartphones, tablettes) concentrent à eux seuls 50 % des émissions. Les data centers en représentent 46 %, et leur part progresse.
Face à ce constat, la réponse réglementaire s’intensifie. La loi AGEC (2020) impose que 20 % des achats publics de produits électroniques soient issus du réemploi ou du recyclage, et oblige les fabricants à fournir les pièces détachées nécessaires à la réparation. Depuis 2025, la loi REEN (Réduction de l’empreinte environnementale du numérique) demande aux collectivités de plus de 50 000 habitants de réaliser un diagnostic de leur empreinte numérique et de mettre en œuvre un plan d’action, accompagné d’un reporting annuel.
Au niveau européen, un nouveau règlement sur l’écoconception impose la transparence sur l’origine des composants et l’état des équipements reconditionnés. Il vise à encadrer les pratiques commerciales et à renforcer la confiance dans les produits de seconde main.
Les entreprises organisent leur adaptation
Prolongation du cycle de vie des équipements
Certaines entreprises ont pris position sur ce terrain. BNP Paribas 3 Step IT a ouvert un centre de reconditionnement de 3 500 m² dans les Yvelines, avec une capacité initiale de 100 000 équipements informatiques par an, et un objectif de 400 000. L’effacement sécurisé des données et le reconditionnement deviennent une norme pour les grandes organisations, publiques comme privées.
Développement du marché du reconditionné
En parallèle, le re-commerce progresse. En 2024, le chiffre d’affaires du e-commerce français a atteint 175,3 milliards d’euros, en hausse de 9,6 %, selon la FEVAD. Une part croissante de cette activité est portée par le marché du reconditionné et de la seconde main. Plusieurs plateformes se sont imposées dans ce secteur, en s’appuyant sur une logique de traçabilité et de garantie.
Mutualisation et optimisation des usages
D’autres stratégies visent à réduire le nombre total d’équipements en circulation. Dans les entreprises et les collectivités, l’usage partagé d’imprimantes, de modems ou de vidéoprojecteurs se développe. La plateforme Organix, développée par SUEZ, permet la réutilisation de certains flux de déchets entre entreprises. Ces pratiques réduisent les coûts tout en limitant les impacts environnementaux.
Sobriété logicielle et infrastructure numérique
La loi REEN impose désormais un référentiel d’écoconception logicielle. L’objectif est de réduire la consommation énergétique des services numériques, en évitant notamment le stockage de données inutile ou le surdimensionnement des traitements. OVHcloud et Atos ont annoncé des investissements dans des data centers plus sobres, avec des efforts particuliers sur le refroidissement, la consommation électrique et l’automatisation.
Des start-ups comme PlastChain exploitent la blockchain pour certifier l’origine et la qualité des matériaux recyclés. Ce type d’outil permet d’objectiver la chaîne d’approvisionnement et de réduire les risques de fraude. Il contribue aussi à répondre aux exigences réglementaires croissantes en matière de responsabilité environnementale.
Création d’emplois et transformation des compétences
La montée en puissance de l’économie circulaire numérique est également un levier de création d’emplois. Selon l’ADEME, les secteurs du réemploi, de la réparation et du reconditionnement pourraient générer jusqu’à 500 000 emplois d’ici 2030. De nouveaux métiers apparaissent : gestionnaires de flux, techniciens en reconditionnement, développeurs spécialisés dans l’écoconception, experts en traçabilité. Plusieurs collectivités organisent des filières locales de collecte et de traitement, souvent appuyées par des dispositifs de formation professionnelle.
Conditions pour une généralisation du numérique circulaire
Trois conditions principales doivent être réunies pour assurer la diffusion de ces pratiques.
- La montée en compétences. La loi REEN a introduit des modules de formation au numérique responsable dans l’enseignement secondaire et supérieur. Mais le besoin concerne l’ensemble de la chaîne, des acheteurs publics aux développeurs.
- L’innovation industrielle. La filière doit pouvoir s’appuyer sur des équipements sobres, des logiciels mieux conçus et des infrastructures efficaces. Cela suppose des investissements ciblés et une capacité à industrialiser les bonnes pratiques.
- La transparence réglementaire. La directive européenne CSRD (Corporate Sustainability Reporting Directive) impose aux grandes entreprises un reporting détaillé sur leurs impacts environnementaux. Des labels spécifiques au numérique responsable se développent. Ils deviennent des critères différenciants dans les appels d’offres et les politiques d’achat.