Selon le dernier rapport de la Cour des comptes, le déficit du système de retraites français serait de 14 à 15 milliards d’euros en 2035, bien loin des 55 milliards annoncés par François Bayrou. Mais la situation reste critique. Sans une réforme, le système pourrait accuser un endettement de 470 milliards d’euros en 2045. Angélique Perroux, présidente du groupe QualiRetraite, nous livre son éclairage sur les grands enjeux à venir en matière de retraite.
Le système actuel est-il encore adapté à la société d’aujourd’hui ?
Le système de retraite français repose sur la solidarité entre les générations. Mais il est aujourd’hui mis sous pression par des évolutions profondes : vieillissement de la population, espérance de vie en hausse, moins de cotisants pour plus de retraités. La Cour des comptes elle-même alerte : sans réforme, le système ne pourra plus répondre à ses engagements dans la durée.
Si l’on veut préserver une retraite juste pour tous, plusieurs leviers doivent être activés :
- Favoriser l’emploi des seniors, encore trop souvent écartés du marché du travail. En 2023, seules 58,4 % des personnes âgées de 55 à 64 ans occupaient un emploi, contre 82,6 % des 25-49 ans. Ce taux reste inférieur à la moyenne européenne, qui s’élève à 63,9 % (source : ministère du Travail).
- Tenir compte des réalités de carrière. Depuis la réforme de 2010, le temps passé en emploi a augmenté d’environ 1 an et 7 mois en moyenne. Mais cette progression n’est pas la même pour tous : chez les ouvriers, seul deux tiers du recul de l’âge de départ s’est traduit par plus de temps en emploi, contre plus de 85 % pour les cadres ou professions intermédiaires.
- Adapter les règles de départ en intégrant la pénibilité et les parcours hachés.
- Réformer l’indexation des pensions, pour préserver le pouvoir d’achat tout en assurant la viabilité du système.
Ce qu’il faut, c’est une nouvelle stabilité. Un cadre lisible et durable, avec des règles claires, capables de s’ajuster automatiquement aux évolutions démographiques et économiques. Un système plus résilient, plus équitable, et surtout, plus prévisible.
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Que devient ce modèle social dans un monde bouleversé par les tensions internationales, les décisions de Donald Trump et des équilibres économiques fragiles ?
Le modèle social français, fondé sur la solidarité, traverse une zone de turbulences : instabilité géopolitique, croissance fragile, pressions démographiques… Pour le préserver, il faut adapter nos politiques sociales aux nouvelles réalités économiques, renforcer la résilience du système de retraite face aux chocs extérieurs, et enfin promouvoir une croissance plus inclusive, qui crée de l’emploi et soutient les mécanismes de solidarité.
Est-il possible d’augmenter les cotisations sans pénaliser les salariés et les entreprises ?
Relever les cotisations semble une solution directe, mais ses effets peuvent être contre-productifs. Pour les salariés, c’est un risque direct de baisse de pouvoir d’achat. Pour les entreprises, c’est une augmentation du coût du travail, avec des conséquences sur la compétitivité. En 2024, le coût horaire moyen de la main-d’œuvre dans les services marchands atteint 43,5 euros. Et aujourd’hui, près des deux tiers du financement des retraites (soit 259,6 milliards d’euros sur un total de 396,9 milliards en 2023) proviennent des cotisations assises sur les salaires.
D’autres options sont parfois évoquées, comme une hausse de la CSG, qui repose sur une base plus large (salaires, retraites, revenus du capital). Elle aurait moins d’effet direct sur le coût du travail, mais toucherait davantage les retraités et épargnants. Ce serait un simple déplacement du poids de l’effort. La France consacre déjà 14 % de son PIB aux retraites, soit 2,5 points de plus que la moyenne de la zone euro. Cela montre que toute hausse des prélèvements doit s’inscrire dans une réflexion d’ensemble, et non comme une réponse isolée.
Faut-il toucher aux réserves des régimes complémentaires ?
Les réserves des régimes complémentaires, comme celles de l’Agirc-Arrco, ont été bâties pour faire face aux coups durs : crises économiques, chute de l’emploi, baisse des cotisations… Ces réserves ont été constituées pour absorber les chocs, pas pour devenir une caisse de secours permanente. Les entamer durablement reviendrait à masquer le vrai problème plutôt qu’à le résoudre. Cela limiterait aussi la capacité à réagir à une prochaine crise.
La vraie question n’est pas : “Peut-on utiliser ces réserves ?”, mais plutôt : “Comment préserver un équilibre durable et résilient, sans compromettre l’avenir des pensions ?” C’est dans cet esprit que les partenaires sociaux ont toujours géré ces régimes avec prudence.
La capitalisation est avancée par certains comme la solution idéale pour sauver le système de retraites. Qu’en pensez-vous ?
L’approche par capitalisation repose sur l’épargne individuelle. Elle peut jouer un rôle d’appoint, mais ne saurait remplacer un système fondé sur la solidarité. Ses avantages ? Elle permet de diversifier ses sources de revenus à la retraite. Mais elle comporte aussi des limites sérieuses : une forte dépendance aux marchés financiers, avec un risque accru en cas de crise, comme l’actualité nous le rappelle régulièrement ; un accroissement des écarts, car seuls les plus aisés peuvent réellement se constituer un capital suffisant ; une fragilisation du lien intergénérationnel, pourtant au cœur de notre système actuel.
Une solution équilibrée pourrait combiner un socle fort de répartition avec des dispositifs complémentaires en capitalisation. Mais la priorité reste de consolider le système par répartition, qui reste le pilier de notre pacte social.