Le début de semaine ressemble à un choc sismique. En l’espace de quelques heures, les marchés financiers mondiaux ont vacillé comme aux pires jours de la crise de 2008. Une panique soudaine, brutale, planétaire. La cause ? Une nouvelle salve de droits de douane lancée par Donald Trump dans ce qu’il appelle fièrement un « jour de la Libération ».
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Une libération ? Les investisseurs, eux, y ont vu une déclaration de guerre. Et dans ce chaos soigneusement alimenté par une rhétorique incendiaire, une question se pose : Trump cherche-t-il délibérément à provoquer un krach boursier ? Ou joue-t-il avec le feu sans en mesurer l’ampleur ? Sous couvert de protectionnisme, est-il en train d’instrumentaliser la finance mondiale comme levier politique ?
Les marchés financiers mondiaux en chute
L’effondrement a commencé en Asie. Le MSCI Asie-Pacifique a perdu 7,9 %, le Hang Seng China Enterprises s’est effondré de 10,8 %, enregistrant sa pire séance depuis la crise financière de 2008. À Tokyo, le Nikkei 225 a chuté de 7,83 %, forçant les autorités à activer un coupe-circuit. Même scénario à Shanghai, Shenzhen, Taïwan, Séoul ou Sydney. Personne n’a été épargné.
Les valeurs technologiques, souvent premières cibles en période de turbulence, ont été décimées. TSMC a perdu près de 10 %, Tencent 12,2 %, Sony 10 %, Pop Mart 22 %. C’est tout un écosystème qui a vacillé.
L’Europe n’a pas eu le temps de se préparer. À Francfort, le DAX a plongé de 10 %. Le CAC 40 s’est enfoncé de près de 7 %. Les Bourses de Milan, Zurich, Londres ont suivi. Et à Wall Street, les contrats à terme ont creusé un gouffre d’anticipation : -3,5 % sur le Dow Jones, -4 % sur le S&P 500, près de -5 % sur le Nasdaq 100. Les plus pessimistes invoquent déjà le spectre d’octobre 1987.
Et comme toujours, en fond de scène, les actifs refuges dictent la peur. Le pétrole chute. Le cuivre, baromètre de l’économie mondiale, s’effondre. Le bitcoin vacille. L’or résiste. Les obligations américaines redeviennent des sanctuaires. Les investisseurs fuient, mais il n’y a plus vraiment d’abri.
Un krach boursier provoqué
À l’origine de cette panique globale : une décision politique, brutale, unilatérale. Samedi, l’administration Trump a annoncé de nouveaux droits de douane massifs. 10 % sur tous les produits étrangers, avec des surtaxes spécifiques : 20 % sur les biens européens, jusqu’à 54 % sur les produits chinois, et même 50 % sur les diamants du Lesotho. Le tout proclamé comme une libération du commerce américain.
Derrière cette politique, une obsession martelée comme un slogan : réduire le déficit commercial. Trump promet de récupérer 1 000 milliards de dollars en un an et brandit les « 7 000 milliards d’investissements annoncés aux États-Unis » comme preuve de succès.
Mais ce qui choque, c’est moins la brutalité du geste que le mépris affiché pour ses conséquences. Tandis que les Bourses plongent, Trump joue au golf, tweet avec désinvolture, compare la chute des marchés à une « saignée médiévale ». « Il faut parfois prendre des médicaments pour soigner », ose-t-il. Puis il enfonce le clou : « Un jour, les gens se rendront compte que les tarifs sont une très belle chose pour les États-Unis. »
En Europe, ces mots sonnent comme du racket. À Washington, ils résonnent comme une gifle aux investisseurs. Et dans le reste du monde, ils laissent un goût amer de cynisme et d’instabilité stratégique.
Le marché ne croit plus à une maladresse. Il voit une stratégie de confrontation délibérée, et tire la sonnette d’alarme. Bill Ackman, pourtant soutien historique de Trump, s’est dit « horrifié par le nihilisme de la Maison-Blanche » et appelle à une suspension immédiate des taxes majorées : « Nous nous dirigeons vers un hiver nucléaire économique auto-infligé. »
Les analystes de Goldman Sachs, de BNP Paribas, les économistes de JPMorgan, tous décrivent un scénario de récession accélérée. Le cuivre, une fois encore, envoie un signal rouge. Les CDS explosent. La confiance s’effondre.
Partout, les fonds vendent, désinvestissent, sécurisent. Il n’est plus question de résister, mais de limiter les pertes. Et l’attitude de la Maison-Blanche ne fait qu’alimenter l’instabilité.
La Fed, la Chine et les marchés désemparés
Pendant ce temps, la Chine riposte. Pékin impose à son tour des droits de douane de 34 % sur les produits américains, en vigueur dès le 10 avril. Mais dans un contraste saisissant, le discours chinois se veut rassurant, presque apaisant : « Nous restons une terre sûre pour les investissements étrangers », affirme un porte-parole.
Aux États-Unis, en revanche, c’est silence radio. La Fed, par la voix de Jerome Powell, annonce qu’elle ne changera pas de trajectoire. Elle ne viendra pas au secours des marchés, pas cette fois. Pas pour compenser des choix politiques.
Du côté des républicains, rien non plus. L’orthodoxie fiscale tient bon. Les promesses de baisses d’impôts sont renvoyées à plus tard. Si Trump joue avec la dynamite, personne, semble-t-il, ne cherche à l’arrêter.
Alors, Trump provoque-t-il volontairement le chaos ? Le doute persiste. D’un côté, sa rhétorique, ses métaphores médicales, sa jubilation devant le choc pourraient accréditer l’idée d’une stratégie du chaos : un krach comme levier de pression, une déstabilisation assumée pour remodeler l’ordre commercial mondial à son image.
Mais il est tout aussi possible que cette crise soit un effet secondaire mal évalué, le fruit d’un nationalisme économique déconnecté des réalités de marché. Une idéologie de la fermeture, incapable de comprendre la porosité du monde financier.
Dans les deux cas, la conclusion est la même : l’instabilité n’est plus une conséquence, elle est devenue une méthode. L’incertitude est cultivée comme un outil. Et les marchés, incapables de lire les intentions réelles de Washington, sombrent dans une défiance chronique.
Il est encore trop tôt pour dire si Donald Trump a délibérément voulu provoquer un krach. Mais une chose est sûre : ses décisions ont semé la panique. Et ce pari tarifaire, présenté comme une manœuvre patriotique, pourrait bien déclencher une crise de confiance durable, à l’échelle mondiale.
L’économie mondiale n’est pas un champ de bataille. Elle n’est pas faite pour absorber des coups de théâtre politiques. Si la stratégie de Trump est de faire plier le monde par le choc, alors il doit savoir qu’un marché qui s’effondre emporte tout sur son passage — y compris ceux qui l’ont provoqué.