C’est une liste qu’on aimerait ne jamais avoir à compiler. Euroapi, Solvay, BASF, TotalEnergies… Voici les champions français – ou du moins ceux qui opèrent sur notre territoire – des « polluants éternels ». Ces molécules artificielles, connues sous le nom de PFAS, sont aussi persistantes dans l’environnement que dans les rapports d’ONG. Le dernier en date, signé Générations Futures, a le mérite de la précision : il dresse la cartographie des plus gros émetteurs industriels de ces composés invisibles et tenaces.
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Les sites industriels les plus polluants
Il y a d’abord les chiffres. Ils claquent comme un rappel à l’ordre : 1 599 établissements concernés, soit près de 60 % des usines soumises à l’obligation de mesure instaurée en 2023. Mais ce n’est rien face au constat central : 5,4 % des sites concentrent plus de 99 % des rejets. Voilà une répartition très… paretienne. L’externalité négative, elle aussi, obéit à la loi des 80/20 – ou ici, des 5/99.
En tête de peloton, l’usine Euroapi à Saint-Aubin-lès-Elbeuf : 87 kilos de PFAS relâchés chaque jour. C’est elle qui, ironiquement, fabrique des principes actifs pour médicaments. La santé d’un côté, l’empoisonnement diffus de l’autre. Et ce n’est pas tout : elle traite aussi les eaux usées de BASF, son voisin dans le classement. La sous-traitance s’applique aussi à la pollution.
Derrière, Gie Chimie à Salindres, un binôme industriel associant Axens et Solvay, émet plus de 10 kilos de PFAS par jour. L’ONG avait déjà pointé ce site en février ; depuis, Solvay annonce la fermeture partielle du site et le licenciement de 68 salariés. La transition écologique a parfois des contours très sociaux.
Dégâts environnementaux
On continue la descente : Finorga, Sarrel, Arkema, BASF, TotalEnergies, un centre de formation anti-incendie (CNPP), une deuxième usine Solvay, et LyondellBasell ferment ce top 10 peu enviable. Partout, la même mécanique : des activités industrielles en apparence utiles – pharmacie, automobile, chimie, énergie – mais qui, dans leurs effluents, laissent une trace bien moins noble. Et souvent, ces PFAS ne sont même pas analysés systématiquement.
Des PFAS souvent non mesurés
La réalité, c’est que la France découvre sur son sol un passif écologique massif, longtemps ignoré, parfois dissimulé. L’industrie, fleuron historique de notre croissance, s’est souvent construite sur des équilibres implicites : production contre emploi, emploi contre environnement. Mais le coût environnemental commence à se lire autrement. Il ne s’agit plus seulement de CO₂ ou de nitrates, mais de molécules indestructibles, qui s’invitent jusque dans les nappes phréatiques et les organismes humains.
Et les inclassables ? Ils sont là aussi. Non pas parce qu’ils polluent moins, mais parce que leurs données sont incomplètes. Là encore, la transparence industrielle se fait en pointillé. Certaines usines, comme celles de Chemours ou TotalEnergies à Gonfreville-l’Orcher, échappent au classement faute de mesures suffisantes. Ce n’est pas l’absence de preuve. C’est l’absence de mesure – volontaire ou non.
Face à l’ampleur, une régulation en retard
Il faut le dire : l’ampleur de la contamination aux PFAS dépasse très largement la capacité de régulation actuelle. L’État commence à bouger, les ONG alertent, les médias relaient. Mais le système reste lent, éclaté, et sous-informé. Or, la solution, si elle existe, passe d’abord par un inventaire rigoureux. Ce rapport en est un début. À charge maintenant pour les décideurs de ne pas en faire un rapport de plus.
Parce qu’au fond, ces PFAS nous posent une question simple : combien vaut vraiment un emploi, un litre d’eau potable, un écosystème sain ? La réponse, elle, ne figure pas encore dans les comptes de résultats des industriels. Mais elle commence à apparaître dans ceux de la société.