L’Autorité de la concurrence a infligé ce lundi 31 mars une amende retentissante de 150 millions d’euros à Apple pour abus de position dominante dans le marché de la publicité mobile. En ligne de mire : le dispositif ATT (App Tracking Transparency), vitrine éthique du groupe à la pomme, mais aussi, selon l’Autorité de la concurrence, un instrument de verrouillage au profit des propres intérêts d’Apple.
La transparence selon Apple…
Officiellement, ATT protège les données des utilisateurs en leur demandant s’ils acceptent ou non d’être suivis à des fins publicitaires. Une avancée ? Peut-être. Mais à y regarder de plus près, la mécanique est asymétrique : les applications tierces doivent obtenir un double refus explicite de l’utilisateur, là où les services maison d’Apple bénéficient d’un parcours allégé. Résultat : une barrière invisible, mais bien réelle, qui ralentit les concurrents tout en dopant les revenus internes.
Apple a donc fait ce que toute entreprise puissante fait lorsqu’elle le peut : elle a conçu des règles pour tous, et des règles pour elle-même. Le hic, c’est qu’en matière de concurrence, cette distorsion a un coût — pour les développeurs indépendants, les régies publicitaires, et in fine, pour la diversité même de l’écosystème numérique.
La morale en vitrine, le marché en arrière-boutique
La décision française est d’autant plus marquante qu’elle déshabille un modèle jusqu’ici perçu comme vertueux. Car derrière la rhétorique de la protection des données se cache une réalité plus triviale : celle d’une firme qui, tout en bridant ses partenaires, fait flamber ses propres revenus publicitaires — de 300 millions de dollars en 2017 à près de 11 milliards en 2024. Une croissance fulgurante qui n’a rien d’un hasard, mais tout d’une stratégie intégrée.
C’est là le cœur du problème : le numérique a cette capacité à transformer une règle technique en avantage stratégique. Et quand cette règle est dictée par l’acteur dominant lui-même, le marché n’a plus vraiment les moyens de contester.
Une décision française, des répercussions européennes
Le jugement de l’Autorité de la concurrence pourrait bien dépasser les frontières hexagonales. L’Allemagne, l’Italie ou encore la Roumanie observent l’affaire avec attention. Car ce n’est pas seulement le cas d’Apple qui est en jeu, mais la capacité de l’Europe à tenir tête aux titans numériques qui redessinent à leur guise les contours de la concurrence.
Apple, fidèle à sa ligne, se dit « déçue » mais pas vraiment inquiète. L’absence d’injonction technique dans la décision laisse planer un flou sur la suite. De l’autre côté, les acteurs français du numérique, eux, parlent de victoire : une décision qui pourrait ouvrir la voie à des compensations, mais aussi — espèrent-ils — à une refonte plus équilibrée des règles du jeu.