Tout commence dans l’Ain, à Oussiat puis Montagnieu. Antoine Roset, jeune garçon de café, décide de changer de vie en investissant dans un tour à bois. Il y fabrique des cannes, des manches de parapluies, des barreaux de chaise… Un artisanat simple et appliqué, qui jette les premières fondations d’une aventure industrielle. À sa mort, sa veuve reprend le flambeau, avant qu’Émile Roset, représentant de la seconde génération, n’oriente la production vers le meuble et le fauteuil – souvent en cuir – dans les années 1930. La ligne est tracée.
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Du mobilier traditionnel au design contemporain
L’après-guerre marque une nouvelle ère. Jean Roset, troisième génération, opère un changement de cap décisif : répondre aux appels d’offres publics pour meubler les collectivités, puis s’ouvrir au monde du design à partir des années 1970. Le virage est stratégique. La marque s’entoure de créateurs reconnus et s’offre même les services de Jacques Séguéla pour ses campagnes publicitaires. L’identité Ligne Roset se construit, inventive et audacieuse.
Ligne Roset ne se contente pas de suivre les tendances : elle les façonne. En créant ses propres magasins, elle bouscule les codes d’un marché traditionnellement dominé par les distributeurs. L’entreprise assume un positionnement fort : proposer un design accessible mais exigeant, en s’entourant aussi bien de talents confirmés que de jeunes créateurs. Parmi ses signatures emblématiques : Pierre Paulin, Peter Maly, les frères Bouroullec. Une démarche d’éditeur, fabricant et distributeur — rare dans le secteur — qui renforce sa singularité.
L’innovation au cœur des matériaux durables
Aujourd’hui, l’innovation passe aussi par les matériaux. Le groupe a testé le Reishi, un biomatériau développé par la startup californienne MycoWorks, protégé par plus de 80 brevets. Comparable au cuir de veau en solidité, ce matériau d’origine fongique pourrait intégrer les futures collections. Une avancée qui s’inscrit dans la stratégie environnementale de la marque.
Autre initiative, Ligne Roset (Re) : un programme d’upcycling visant à restaurer les fauteuils Togo usagés. Objectif : prolonger la durée de vie des pièces et s’inscrire dans une logique d’économie circulaire.
Une production française, un défi de recrutement
Malgré son expansion, Ligne Roset revendique fièrement ses racines françaises. Le siège social est toujours situé à Briord, à proximité des premiers ateliers. Aujourd’hui, 83 % de la production est réalisée en France, dans cinq sites industriels. Une performance d’autant plus notable que l’entreprise réalise plus de 75 % de son chiffre d’affaires à l’étranger. Mais cette présence locale n’est pas sans défis : le recrutement reste complexe dans une zone à faible chômage, entre Lyon et Genève.
Pour y répondre, la direction a inauguré sa propre école de formation en tapisserie et couture, sur le site historique de Montagnieu. Un investissement de trois millions d’euros qui combine showroom, musée et centre de transmission des savoir-faire.
Ligne Roset est présente dans plus de 70 pays. Dès 1967, elle s’implante en Allemagne, puis aux États-Unis en 1983. Depuis, la croissance à l’international s’est accélérée : la Chine représente aujourd’hui 15 % du chiffre d’affaires mondial, grâce à une stratégie logistique optimisée via le ferroviaire. En 2025, la marque a inauguré un nouveau showroom à New York, consolidant sa position sur le marché nord-américain. Elle connaît aussi un succès croissant en Australie.
Transmission familiale : la cinquième génération à la barre
Parallèlement, deux autres entités complètent l’écosystème Roset : Cinna, destinée au marché français et à l’outdoor, et LRContract, qui conçoit du mobilier sur mesure pour les professionnels (notamment dans l’hôtellerie).
Peu d’entreprises peuvent se targuer d’un tel héritage. Aujourd’hui dirigée par Pierre et Michel Roset, respectivement directeur général et président, la maison a vu arriver à sa tête la cinquième génération : Antoine et Olivier Roset. Chacun supervise une des entités du groupe (Ligne Roset et Cinna). Tous deux ont grandi dans l’entreprise, et portent l’ambition de rester majoritaires et indépendants. À ce jour, moins de 10 % du capital appartient à des partenaires bancaires. Cette transmission continue est perçue comme une force : celle de l’enracinement, de la vision à long terme, de l’engagement dans un projet de vie plutôt qu’une simple logique financière.
L’innovation ne s’arrête pas aux matériaux. Ligne Roset a récemment adopté la blockchain pour authentifier ses produits via un partenariat avec Trust-Place. Chaque pièce phare (comme le Togo) est désormais dotée d’un passeport digital sécurisé, garantissant son authenticité et facilitant sa traçabilité lors de reventes ou transmissions.
En 2025, la marque a également lancé un meuble innovant signé Erwan Bouroullec : le Kobold. Siège, table d’appoint et rangement à la fois, il illustre l’adaptabilité du design contemporain, au service d’un mode de vie plus flexible.
Une croissance solide malgré un marché ralenti
Dans un marché de l’ameublement en perte de vitesse depuis les années post-Covid, Ligne Roset fait figure d’exception. Le carnet de commandes reste rempli, et les délais de production maîtrisés. Mais au-delà des chiffres, la marque incarne une rare cohérence : celle d’un modèle qui mêle création, fabrication, durabilité et transmission.