L’onde de choc dépasse largement les frontières américaines et remet en cause les règles du commerce mondial, fragilisant les économies les plus dépendantes des États-Unis.
La brutalité de la décision surprend autant par son ampleur que par sa cible. Les guerres commerciales ont existé dans l’histoire, mais elles opposaient des adversaires économiques, rarement des partenaires étroitement intégrés à un même marché. En frappant le Canada et le Mexique, qui envoient respectivement 75 % de leurs exportations vers les États-Unis – soit 21 % du PIB canadien et 25 % du PIB mexicain –, Trump saborde un équilibre forgé depuis trente ans.
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Une menace pour les Américains eux-mêmes
Une telle rupture n’a aucun précédent : les grandes offensives protectionnistes du passé, des tarifs Hoover de 1930 aux sanctions contre la Russie après l’annexion de la Crimée, visaient toujours des concurrents ou des ennemis, jamais des alliés. Cette fois, c’est un pan entier de la chaîne d’approvisionnement nord-américaine qui vacille, menaçant autant les fournisseurs mexicains que les consommateurs américains.
Le coût de cette guerre économique ne sera pas le même pour tous. Le Mexique est de loin le plus vulnérable. Avec une dépendance aux États-Unis bien plus forte que la Chine – dont les exportations vers les États-Unis ne représentent que 15 % du total et à peine 3 % de son PIB –, le pays pourrait voir sa croissance amputée de -2 % d’ici 2032, selon le cabinet Asterès. Le Canada, bien que plus résilient, ne sortira pas indemne : les projections estiment une perte de -1,26 % du PIB en 2028. L’impact pour les États-Unis, lui, reste modéré, avec une baisse limitée à -0,2 % du PIB, car les importations visées ne représentent que 5 % du PIB américain. Mais si Washington semble moins exposé à court terme, l’effet inflationniste de ces taxes pourrait à terme peser sur le pouvoir d’achat des ménages américains et ralentir la consommation intérieure.
Quelle risposte ?
Face à cette attaque en règle, le Canada et le Mexique doivent choisir leur riposte. Laisser faire pourrait sembler une option rationnelle : la dépréciation du peso mexicain et du dollar canadien – amorcée dès l’annonce des mesures – compenserait une partie des hausses de tarifs, maintenant une certaine compétitivité. Mais politiquement, rester inactif reviendrait à subir l’humiliation sans réagir. La tentation de la réciprocité existe. Ottawa et Mexico peuvent imposer à leur tour des taxes sur les produits américains, espérant forcer Washington à négocier. Le problème est que cette stratégie risque de se retourner contre eux : les États-Unis sont bien moins dépendants de leurs exportations vers le Canada et le Mexique, qui ne représentent que 1,5 % de leur PIB, tandis qu’à l’inverse, leurs voisins du Nord et du Sud envoient 75 % de leurs exportations vers le marché américain.
Une autre alternative, plus radicale, consisterait à restreindre certaines exportations stratégiques, comme le pétrole et les minerais canadiens. Ce levier de pression pourrait toucher des secteurs clés de l’économie américaine, mais avec un risque d’escalade incontrôlable, Washington pouvant répliquer par de nouvelles sanctions.
Quel impact sur la France et l’Europe ?
Les conséquences dépassent de loin l’Amérique du Nord. La chute des échanges entre les États-Unis, le Canada et le Mexique va mécaniquement ralentir la croissance mondiale. Aujourd’hui, ces trois pays représentent 43 % des importations américaines. Une baisse significative de ce volume pèsera sur les flux commerciaux internationaux et accentuera la volatilité des marchés financiers. En Europe, certains secteurs stratégiques seront directement touchés. L’industrie du luxe et l’aéronautique, très dépendantes de la demande américaine, risquent de voir leurs exportations freinées.
L’agroalimentaire français, notamment les vins et les produits laitiers, pourrait souffrir des fluctuations monétaires défavorables. Mais cette crise pourrait aussi ouvrir des opportunités. Si les entreprises mexicaines et canadiennes perdent en compétitivité sur le marché américain, certains acteurs européens pourraient en profiter pour se renforcer.
Le danger Trump
Au-delà des considérations économiques, cette guerre commerciale soulève une question fondamentale : quel crédit accorder aux engagements des États-Unis ? En 2020, Trump signait un accord de libre-échange avec le Mexique et le Canada. Cinq ans plus tard, il le dynamite. Ses partenaires, qu’ils soient européens ou asiatiques, peuvent-ils encore lui faire confiance ? La mondialisation telle qu’elle s’est construite depuis trente ans reposait sur une règle implicite : les accords commerciaux ne sont pas éternels, mais ils ne sont pas non plus reniés du jour au lendemain. En rompant brutalement avec cette logique, Trump ne se contente pas de taxer des importations : il fissure un système dont son propre pays a pourtant été le principal architecte.
L’histoire l’a montré, une guerre commerciale est plus facile à déclencher qu’à arrêter. Une désescalade paraît improbable tant que Trump campe sur sa ligne dure. Le Mexique et le Canada sont à la croisée des chemins, pris entre l’inaction, la riposte symbolique et l’affrontement frontal. L’Europe, de son côté, observe et hésite. Elle pourrait être tentée de suivre le mouvement et de renforcer ses propres barrières. Une chose est sûre : la guerre commerciale nord-américaine n’est pas un simple épisode de tensions économiques. C’est peut-être le signe d’une nouvelle ère où le libre-échange n’est plus un principe, mais une variable d’ajustement politique.