Joël Mokyr, une approche singulière de l’histoire économique

Joël Mokyr est un historien économique renommé, dont le travail s’étend bien au-delà de la simple analyse des chiffres et des tendances.

Né en 1946 aux Pays-Bas, Mokyr s’est imposé comme l’un des penseurs les plus influents pour comprendre la manière dont la technologie, l’innovation et la culture façonnent la trajectoire économique des sociétés. Sa spécialité : expliquer pourquoi certaines nations prospèrent tandis que d’autres stagnent, avec une attention particulière portée à l’histoire de la Révolution industrielle et ses conséquences.

Mokyr a bâti sa réputation sur sa capacité à tisser des liens entre l’économie, la science et la culture. Dans ses travaux, notamment The Lever of Riches (1990) et The Gifts of Athena (2002), il propose une analyse subtile des mécanismes d’innovation. Contrairement à une vision purement matérielle ou technologique du progrès, Mokyr met en lumière le rôle central des idées et des connaissances dans les transformations économiques.

Selon lui, l’économie ne peut être séparée de son contexte intellectuel et culturel. Il soutient que la Révolution industrielle britannique du XVIIIe siècle, souvent perçue comme le produit de conditions matérielles favorables (comme la disponibilité de charbon ou des marchés ouverts), est en réalité profondément ancrée dans une « culture des Lumières ». Cette culture a permis la diffusion de connaissances pratiques et scientifiques au sein d’une société où l’expérimentation et l’innovation étaient encouragées.

L’importance des idées et des institutions

Pour Mokyr, l’histoire économique ne se limite pas aux ressources physiques ou à l’accumulation de capital. Il insiste sur ce qu’il appelle le « marché des idées » : une sorte d’écosystème intellectuel où les innovations scientifiques, techniques et sociales naissent, se diffusent et interagissent. Par exemple, il explique comment les institutions européennes ont joué un rôle crucial en protégeant les inventeurs, en encourageant la compétition et en rendant possible le partage des savoirs.

Dans A Culture of Growth: The Origins of the Modern Economy (2016), Mokyr explore les fondements culturels de cette dynamique. Il y établit que les changements dans la manière dont les individus percevaient et utilisaient les connaissances — qu’il appelle le « capital épistémique » — étaient essentiels à l’essor économique. C’est ce capital culturel, plus que les matières premières, qui a permis aux sociétés européennes de prendre une avance technologique sur le reste du monde.

Un regard sur l’avenir

Joël Mokyr ne se contente pas d’explorer le passé ; ses travaux portent également un éclairage sur les défis contemporains. Il met en garde contre les dangers d’un ralentissement de l’innovation dans nos sociétés modernes, où les institutions et les incitations à expérimenter peuvent être compromises. Pourtant, il reste optimiste quant au potentiel de l’humanité à surmonter les crises, soulignant que notre capacité à résoudre des problèmes complexes est ce qui a permis les avancées spectaculaires des siècles passés.

Pour Mokyr, l’histoire économique n’est pas qu’une leçon figée dans le temps, mais une source d’enseignements pour concevoir un futur où les idées continuent de jouer un rôle central. Dans un monde de plus en plus interconnecté, il rappelle que la prospérité ne se mesure pas seulement en PIB, mais aussi en richesse intellectuelle et culturelle.

En fin de compte, l’œuvre de Mokyr invite à une réflexion profonde : le progrès technologique et économique n’est jamais garanti. Il repose sur un équilibre délicat entre curiosité, liberté intellectuelle et soutien institutionnel. Pour comprendre d’où nous venons et où nous allons, il faut avant tout savoir comment nous pensons — et comment nous partageons nos idées.


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