Le GIFAS, principal groupe industriel du secteur, articule cette transition en quatre axes majeurs, chacun d’entre eux illustrant une transformation profonde du modèle économique et technologique de l’aviation.
Le premier pilier de cette stratégie repose sur le renouvellement des flottes d’appareils. En remplaçant progressivement les modèles actuels par des avions plus modernes, chaque nouvelle génération promet une réduction de près de 15 % des émissions de CO₂. Ce gain d’efficacité, bien que substantiel, reflète une réalité économique et industrielle : les cycles d’innovation dans l’aéronautique sont longs et coûteux, exigeant une synchronisation des investissements publics et privés.
La transformation de la flotte devient ici autant un impératif écologique qu’un enjeu de survie compétitive, où seuls les acteurs capables d’aligner innovation technologique et financements pérennes pourront s’imposer.
Nouveaux monopoles énergétiques
Le second axe, axé sur les carburants d’aviation durables (SAF), ouvre la voie à une révolution dans l’approvisionnement énergétique du secteur. Produits à partir de biomasse ou synthétisés à partir de l’hydrogène et de CO₂ capté, les SAF promettent de réduire considérablement l’empreinte carbone. Toutefois, l’objectif d’incorporation de 50 % d’ici 2050 fixé par la France, en ligne avec les normes européennes du programme ReFuel EU, représente une gageure économique.
En effet, les coûts de production des SAF demeurent élevés, nécessitant des subventions et un soutien continu pour que le carburant durable devienne économiquement viable face aux carburants fossiles. Cette ambition soulève donc des questions sur la réallocation de fonds publics et l’émergence potentielle de nouveaux monopoles énergétiques, suscitant des tensions entre innovation verte et rentabilité.
En parallèle, l’optimisation des opérations de vol et au sol constitue un troisième levier de réduction des émissions. Ici, les économies de carburant passent par des ajustements logistiques et technologiques, des algorithmes sophistiqués de gestion du trafic aérien à la réduction des temps d’attente au sol. Mais cette optimisation, pour être réellement efficace, nécessite une refonte des infrastructures aéroportuaires et des politiques de gestion aérienne, impliquant des investissements significatifs et une coordination internationale accrue.
Enfin, le développement de l’avion ultrafrugal, porté par le Conseil pour la Recherche Aéronautique Civile (CORAC), marque un jalon essentiel. À travers des projets de recherche et développement ambitieux, la France se positionne à l’avant-garde de l’aviation écologique, cherchant à élaborer un aéronef à consommation énergétique minimale. Néanmoins, ce défi technologique colossal ne peut être relevé sans une collaboration étroite entre industriels, startups innovantes et pouvoirs publics, chacun apportant expertise et ressources financières pour transformer l’aviation.
Un pari sur le long terme
Au cœur de cette transformation se trouvent les innovations de rupture : avions électriques, hybrides, et à hydrogène, porteurs d’une nouvelle ère pour le transport aérien. Loin d’être de simples concepts futuristes, ces technologies sont soutenues par des politiques publiques ambitieuses, comme le plan France 2030, qui encourage le développement de batteries à haute densité énergétique et de piles à combustible.
Mais là encore, la question des coûts et de la viabilité à grande échelle se pose : les batteries restent limitées en autonomie, et la transition vers l’hydrogène requiert une refonte des infrastructures et une chaîne logistique inédite. Ce virage technologique impose donc aux entreprises de se positionner dès maintenant dans un secteur où l’innovation est à la fois une obligation et un risque financier majeur.
Concurrence internationale et défis géopolitiques
Comparée aux stratégies de pays comme l’Allemagne, les États-Unis ou la Chine, la France se trouve face à une concurrence féroce dans la course à la décarbonation. L’Allemagne, par exemple, investit massivement dans les SAF et la propulsion électrique, tandis que la Chine se fixe des objectifs de neutralité carbone d’ici 2060, intégrant la transition aéronautique dans un cadre de développement national intensif.
Cette course internationale implique que les entreprises françaises, si elles souhaitent jouer un rôle de premier plan, doivent non seulement innover mais aussi se conformer aux exigences de certifications internationales, une tâche complexe qui exige rigueur, résilience et collaboration stratégique.
Laura Picard