Du basculement de la Russie

La décomposition de l’Union soviétique, le pouvoir de V. Poutine choisi en 1999 par B. Eltsine, la crise financière mondiale à partir de 2008, les crises du Caucase et de l’Ukraine, sont des grands moments ayant égrené l’histoire russe la plus contemporaine. Au-delà des apparences, quel fut le « basculement » de la Russie au cours de ces années ? Quelles furent les ressorts profonds de cette évolution ? Quelles sont les perspectives aujourd’hui ?

V. Poutine est devenu Premier ministre de Russie le 10 mai 2008 au terme de deux mandats présidentiel; il n’a plus quitté la présidence depuis 2012 et a entamé en cette année 2024 un troisième mandat de 6 ans d’affilée ce que permet désormais la constitution de la Fédération de Russie.

Rétrospectivement, l’année 2008 apparaît comme une date charnière dans l’histoire la plus contemporaine de la Russie coïncidant avec une crise économique et financière internationale qui affecta le pays, fût-elle différée de quelques mois par rapport à la conjoncture mondiale. Faire l’impasse sur ce moment de basculement n’aide pas à la compréhension d’évolutions plus récentes. 2024 pourrait s’avérer également une année de tous les dangers pour le régime russe  et le pays dans son ensemble; le président russe a rétabli son autorité après la révolte de Wagner en juin 2023, mais l’évolution de la guerre en Ukraine et les conditions de la sortie de celle-ci demeurent un défi majeur.

Kremlin © Patrick Pascal

Stabilité et mutations, à partir de 2008

Une transition politique ordonnée

Ne pouvant se représenter pour un troisième mandat présidentiel successif à partir de 2012, V. Poutine organisa une transition en choisissant D. Medvedev; il avait soigneusement préparé en amont son retrait provisoire de la tête du gouvernement dans un parfait légalisme, en fixant les limites de l’héritage et de l’usufruit de celui-ci et en informant même préalablement telle ou telle personnalité étrangère dans laquelle il plaçait de la confiance. La France n’avait pas été mise dans la confidence.

Les maître-mots de la déclaration de politique générale du nouveau Premier ministre furent la modernisation de l’économie, le bien-être social de la population et l’intégration de la Russie dans l’économie mondiale. Seuls les communistes, rangés derrière leur chef G. Zyouganov, exprimèrent leur opposition à la Douma. Par une inversion inhabituelle, ces orientations gouvernementales se sont aussi imposées au nouveau chef de l’Etat.

V. Poutine insista sur la nécessité de renforcer la compétitivité de l’économie et d’y introduire des changements structurels; en effet si le PIB de la Russie excédait alors 2.000 milliards $, ce qui le plaçait au 7ème rang mondial et lui permettait d’envisager de dépasser le Royaume-Uni à brève échéance, il lui fallut aussi faire face à une rude concurrence internationale. Le Premier ministre évoqua les acquis (cf. exportations de céréales au niveau du Canada) et les faiblesses de l’économie russe (cf. retard pour les produits à forte valeur ajoutée); il déclara vouloir se consacrer à la politique sociale, en matière d’éducation, de santé et de logement; V. Poutine fit de la stabilité en termes macro-économiques une exigence conditionnant l’ouverture à l’économie mondiale en s’engageant par exemple à réduire l’inflation à un seul chiffre; il annonça un chantier de la réforme fiscale notamment dans le secteur pétrolier où l’impôt sur l’extraction et diverses taxes représentaient 75 à 80% des bénéfices; cela était dommageable pour le maintien des gisements à faible rendement et l’exploration et le développement de nouveaux sites.

Ce discours économique d’orientation plutôt libérale s’attacha aussi à la défense des grands groupes (NB: « corporations ») et le gouvernement entendit s’appuyer sur les secteurs jugés essentiels des transports, des hautes technologies ainsi que de la construction navale et aérienne. Le Premier ministre assura que les investissements russes à l’étranger – entravés selon lui pendant l’année écoulée à hauteur de 50 milliards $, selon le slogan fallacieux de type « prenez garde, les rouges arrivent » – seraient poursuivis sur la base de la réciprocité (NB: les investissements extérieurs en Russie étaient 10 fois supérieurs).

Autre acteur principal de la chorégraphie parfaitement réglée de la transition, le nouveau Président D. Medvedev, inexpérimenté sur la scène internationale, y fit ses premiers pas. Son caractère de novice en politique étrangère fut toutefois corrigé par une expérience de la « diplomatie énergétique »  acquise en particulier en tant que président du Conseil d’administration de Gazprom. L’une de ses premières interventions notables se déploya ainsi auprès du président de l’Ukraine afin d’encourager ce pays, en pleine crise gazière, à remplir ses obligations contractuelles.

Il affirma rapidement la continuité de la politique étrangère (cf. « le cours suivi pendant huit ans sera poursuivi ») dont le Président était censé fixer les orientations fondamentales en vertu de la Constitution. La CEI s’imposa ainsi rapidement, comme avec son prédécesseur, pour être « un premier cercle »; D. Medvedev se risqua même à aborder le domaine régalien par excellence des questions de défense; il s’est livré à une défense et illustration des « intérêts nationaux de la Russie devant être défendus sur tous les fronts et par tous les moyens, dans le respect du droit international », une place importante fut dévolue à l’Europe sans négliger l’Asie en fonction de nouveaux impératifs stratégiques.

Poursuite de la modernisation de la société

Cette tendance se traduisit d’abord dans la composition du gouvernement. Parmi les ministres du « bloc économique », demeurèrent ainsi: A. Koudrine, « libéral pétersbourgeois », en qualité de ministre des Finances ou encore E. Nabioullina, ministre du Développement économique aujourd’hui à la tête de la Banque centrale. Un plus grand contrôle des représentants des « structures de forces » (Siloviki) fut perceptible avec le relatif effacement d’un axe Stechine-Oustinov-Patrouchev (NB: il est à noter que ces personnalités sont toujours au coeur du pouvoir du Kremlin). Bien que ne disposant pas de réseaux importants, D. Medvedev essaya d’imprimer sa marque en plaçant certains de ses proches, en affirmant sa détermination à lutter contre le « nihilisme juridique » (NB: il était un juriste de formation) ou encore la corruption.

Les vues économiques de D. Medvedev furent parfaitement en phase avec celles de son mentor V. Poutine. Elles se traduisirent par un « capitalisme d’Etat pragmatique » (NB: sociétés par actions, contrôlées par l’Etat mais ouvertes à 49% au capital privé; remplacement des fonctionnaires siégeant dans les Conseils d’administration par des « professionnels »; maintien du secteur de l’énergie et de l’industrie de défense dans le giron de l’Etat; attention aux problèmes sociaux). Le Forum économique de Saint-Pétersbourg atteignit alors sans doute son apogée (cf. discours d’ouverture de D. Medvedev sur « le développement à long terme de la Russie »)  avec 9.000 participants, 65 pays, 200 managers et 13,5 milliards $ de contrats signés.

Défis, fragilités et incertitudes

La démographie demeura un défi majeur (NB: avec les Quatre grands programmes nationaux: éducation, santé, logement, agriculture) dans un pays qui avait perdu les années précédentes 600 à 700.000 personnes par an, malgré une embellie en 2007 et une reprise de la natalité. Dès lors, la politique en faveur de la démographie a été intégrée dans les grands programmes nationaux et ne fut pas dissociée de la politique de développement régional (cf. obsession d’un Extrême-Orient russe vide face à la Chine).

Le capitalisme d’État révéla ses nécessités et ses limites à la fois. D. Medvedev, bien qu’il s’en défendit eut la vision d’un capitalisme s’appuyant sur les corporations d’Etat; mais l’intention fut aussi d’ouvrir le capital (cf. supra) afin d’insuffler de l’argent frais et importer des technologies ainsi que des compétences étrangères; il fut entendu que les secteurs stratégiques demeureraient contrôlés jusqu’à un horizon indéterminé.

Les contradictions macroéconomiques demeurèrent visibles: comment contrôler l’inflation (NB: alors à deux chiffres) en augmentant retraites et salaires, alors que l’offre est insuffisante ? Comment assurer la croissance de l’offre sans lever les barrières à la concurrence ? Comment garantir l’émergence des PME en l’absence de financement bancaire ? Comment permettre des PEME innovante à l’ombre des corporations d’Etat ? Telles étaient quelques-unes des questions qui se posèrent.

L’environnement international commença à apparaître plus incertain pour la Russie, sur toile de fond de crise dans le Caucase (cf. Géorgie notamment). Mais la Russie eut aussi des inquiétudes marquées dans son « soft underbelly) (NB: Iran, Asie centrale, Afghanistan). Elle peina à se positionner entre l’Est et l’Ouest, consciente que l’Europe était nécessaire à sa modernisation mais agitant aussi une « carte chinoise ». La crise du Caucase renforça finalement la popularité de V. Poutine qui fut en réalité à la manoeuvre; elle suscita aussi, dans l’opinion russe, un fort sentiment anti-occidental , la Géorgie étant perçue comme un instrument de l’OTAN, c’est-à-dire des États-Unis. Dans le même temps, la Russie s’inquiéta des conséquences à long terme de cette affaire (cf. la reconnaissance d’entités, telle l’Abkhazie ou l’Ossétie du Sud l’éloignant des partenaires proches attachés à l’intégrité territoriale comme la Chine).

Moyenne Volga, coeur de la Russie © Patrick Pascal

L’épreuve et la sortie de crise

Impact de la crise sur l’économie russe

La crise géorgienne, qui fut la première intervention de l’armée régulière russe hors des frontières du pays depuis l’Afghanistan en 1979, n’a finalement pas conduit à un bouleversement de la relation Russie/Union européenne. La présidence française de l’UE joua alors un rôle d’apaisement apprécié des parties. Le débat sur les sanctions économiques contre la Russie tourna court; la présidence française avait d’ailleurs, à titre national, écarté préalablement une telle perspective.

Mais 2008/2009 fut une année de basculement et de tous les dangers en raison des effets différés de la crise financière mondiale. Dans un premier temps, la crise n’avait pas eu d’effets dommageables aussi visibles que sur d’autres économies. Le système bancaire par exemple n’avait pas été affecté dans les mêmes proportions. Tel ne fut pas le cas cependant pour la bourse qui avait chuté plus que celle d’autres pays émergents au point qu’il fallut même la fermer en octobre 2008.

Le prix du baril de pétrole, essentiel pour l’économie russe, chuta de 147 $ en juillet 2008  à 30 $ en septembre de la même année. Compte tenu de cette brutale détérioration des termes de l’échange, il eût fallu dévaluer le rouble. Mais le gouvernement, encore traumatisé par le syndrome de la crise financière de 1998 sous la présidence Eltsine, s’y refusa. La Banque centrale se borna à tenter de limiter la baisse de la monnaie en intervenant  à hauteur de 200 milliards $ entre novembre 2008 et janvier/février 2009; cela n’empêcha pas une dévaluation de facto d’environ 30%, alors que les moyens considérables mobilisés par la Banque centrale auraient pu être mieux employés par exemple dans des investissements destinés à renforcer l’économie du pays et à lui permettre ainsi de sortir plus fort de la crise. La mauvaise compréhension des mécanismes modernes de l’économie internationale et un attachement maintenu à l’économie dirigée furent sans doute responsables de ces errements.

La gestion de la crise

Des crédits publics considérables atteignant 135 milliards $, soit 10% du PIB furent mobilisés pour contrecarrer la crise; un système particulier de refinancement de la dette extérieure des grandes entreprises fut aussi mis au point, via la Banque centrale et la Banque du Commerce extérieur (VneshEkonomBank) pour un montant de 50 milliards $. Malgré ces disponibilités considérables, un manque de liquidités se fit sentir conduisant à une profonde transformation du paysage bancaire – pronostiquée d’ailleurs dès avant la crise – à partir de la fragmentation du secteur (cf. plus de 1000 banques alors en Russie).

L’engagement accru de l’Etat dans l’économie, à la faveur de la crise, fut l’un des effets les plus marquants de la période; il s’agissait de s’attaquer à des fragilités traditionnelles dans un contexte plus délicat que jamais (cf; dépendance à l’égard des matières premières; vétusté des infrastructures; insuffisance de l’offre et inflation à deux chiffres; déséquilibres régionaux).

Perspectives au bout du tunnel

La crise a incontestablement érodé les perspectives économiques de la Russie pour les années à venir, mettant ainsi fin à un cycle de forte croissance de 10 ans. Après deux chocs successifs (cf. secteur bancaire et  termes de l’échange du pétrole et autres matières premières), il est apparu que la Russie continuerait à dépendre du niveau de la croissance mondiale (NB: 80% des ressources venant des matières premières); elle ne serait donc pas maître des scénarios, un prix du baril au moins égal à 70 $ étant requis pour l’équilibre budgétaire. La Banque centrale continuerait à défendre le rouble par une politique de « petit pas » coûteuse, parfois qualifiée de « wrong steps in the right direction ».

Les autorités politiques ne cessèrent quant à elles d’affirmer comme un leitmotiv que les investissements dans les secteurs stratégiques seraient maintenus; des grands chantiers furent néanmoins affectés (ex. Moscow City ou la métallurgie). En janvier 2009, la Russie et l’Ukraine réglèrent leur différend sur le gaz (NB: discount de 20% pour Kiev par rapport aux prix européens) permettant la remise des livraisons à l’Europe, mais le Premier ministre Poutine souligna la nécessité de nouvelles routes d’approvisionnement au Nord et au Sud. Dans ce contexte et pour se préparer à la reprise, la Russie exprima un attachement à la coopération avec le monde extérieur. D. Medvedev, de son côté, relança le projet d’une « Cité de l’innovation » à Skolkovo près de Moscou qui serait parfois qualifée de Russian Silicon Valley.

La Russie à la recherche d’une nouvelle stabilité

Retour sur 2009/2012

2009/2012 aura été un moment-clé pour la Russie la plus contemporaine. Au-delà du choix des hommes (cf. dirigeants suprêmes, renouvellement des gouverneurs), notamment quant au choix du modèle économique et social. La crise rappela l’Etat à d’ardentes obligations, mais le destin hésita car dans le même temps le thème de la réforme déjà dominant s’était imposé et il fut abondamment développé par D. Medvedev lui-même (cf. diversification de l’économie, recherche et innovation); son corollaire fut de nouvelles privatisations, après celles dites « sauvages » des années 90, et l’ouverture du capital des entreprises publiques (« corporations d’Etat » aux investissements étrangers).

L’afflux des pétrodollars de la décennie précédente n’avait pas suffisamment encouragé les investissements au cours de la décennie précédente. La crise a eu finalement quelques vertus. Elle a rappelé les fragilités structurelles de l’économie, en particulier la forte dépendance à l’égard des matières premières; elle a induisit un volontarisme nouveau:  appel aux investisseurs étrangers pour la modernisation; réexamen du rôle de l’Etat dans l’économie; utilisation de l’arme budgétaire pour la gestion macro-économique, la priorité étant donnée aux infrastructures. Dans cette nouvelle configuration, les capitaux extérieurs eurent besoin que soient définies les règles du jeu et qu’elles soient respectées.

La reprise pour quoi faire ?

Le système en vigueur depuis 2000 fut celui de la stabilité garantie par un mode de gouvernance autoritaire. Une autre voie se dessina alors qui était aussi possible pour favoriser le climat des investissements: celui de la promotion de l’Etat de droit dont D. Medvedev fut l’avocat pendant sa présidence. Ce débat entrez la Russie telle qu’elle est en profondeur et la Russie telle qu’elle devait être a résumé, au risque de de caricaturer, l’enjeu majeur des années à venir.

Le tandem Poutine/Medvedev, qui ne fut pas une cohabitation (« we are of the same blood », avait coutume de dire le premier) mais plutôt une formule politique et institutionnelle, a fonctionné à partir de l’élection présidentielle de 2008; le consensus interne fut recherché hors du pluralisme politique et telle fut toujours la spécificité de la « recette » russe. Le Premier ministre Poutine resta toujours l’homme fort en contrôlant les structures de force et en gérant les grands dossiers économiques. Mais le président Medvedev poursuivit avec ténacité – sans qu’il s’opposât nécessairement alors à son mentor – une politique de changements (NB: dans l’armée, les forces de l’ordre et la bureaucratie), ce dont sembla un temps le créditer la population mais lui coûta aussi à terme la perte de soutiens influents. Il n’y eut pas à proprement parler de tensions réelles au sein de la dyarchie, mais plutôt un partage des rôles ayant aussi l’avantage de donner l’impression d’un débat qui n’existait pas vraiment dans la société.

Sur le plan extérieur, la Russie fut alors quelque peu rassérénée sur son flanc ouest avec l’élection en Ukraine – problème lancinant depuis la fin de l’URSS – du président Yanukovitch (2010-2014); elle contrôla la situation politique et militaire autour de la Géorgie; mais elle conserva – fût-elle soigneusement camouflée sous de bonne relations apparentes – la crainte obsidionale de la Chine que les percés de ce dernier pays en Asie centrale ravivèrent. Sur ce dernier volet, il faut voir dans le long terme et – au risque de surprendre – l’on ne peut totalement exclure que le problème de l’Est finisse par se substituer à celui de l’Ouest, sous réserve que la question de l’architecture européenne de sécurité soit remise sur le chantier et aboutisse à une formule acceptable pour tous.

Sergueï Lavrov, Résidence de France à Londres

Un nouveau temps des troubles ?

La Russie a incontestablement « basculé » depuis la fin de la première décennie des années 2000, pour s’en tenir à la phase la plus récente de sa grande histoire. La crise mondiale de 2008 et ses scories durables y ont contribué ainsi que des crises internationales, telle que l’Ukraine aujourd’hui avec laquelle le conflit a commencé en réalité dès la partition post-soviétique de 91/92. L’annexion de la Crimée en 2014 a rendu certains acteurs méconnaissables. Sergueï Lavrov, légaliste porte-parole de son pays dans les enceintes internationales, a incarné par exemple cette mutation en devenant quasiment inaudible; D. Medvedev est devenu le héraut des pensées les plus extrêmes; les media à l’instar de Russia Today, chaîne créée avec un air de modernisme et dirigée par Margarita Simonian, se sont entièrement rangés derrière la bannière du pouvoir.

Le Temps des Troubles, qui précéda la dynastie des Romanov, fut une période de violence extrême dans l’histoire russe. L’histoire, sans être perçue comme une répétition, est néanmoins une référence. La révolte de Wagner conduite par Progojine en juin 2023 aurait pu conduire à la guerre civile. Effectivement, dans la folle équipée sur le chemin de Moscou à partir de la ville de Rostov, des miliciens tuèrent des soldats de l’armée régulière de la Russie. Le pouvoir, un temps ébranlé, ne pouvait pas ne pas se rétablir, quels qu’en soit les moyens, au risque de sombrer.

La politique suivie ces dernières années par V. Poutine, et en particulier son projet « impérial » en Ukraine, a sans doute correspondu à une quête identitaire face à un Ouest susceptible de contaminer les esprits et perçu dès lors comme menaçant pour le mode gouvernance russe. Le « schéma » de Poutine peut être comparé au triptyque de Nicolas 1er: Autorité-Nationalisme-Orthodoxie. Après avoir rétabli son autorité, contestée de l’intérieur dans la violence, une nouvelle nécessité pourrait s’imposer au dirigeant suprême de la Russie, celle que l’on peut résumer dans un nouveau triptyque dans l’esprit de pierre le Grand: Autorité-Réforme-Ouverture. Il faut en effet pour le tsar un grand projet mobilisateur sans lequel il n’existe pas de despotisme éclairé.

L’une des grandes conclusions tirées, tirée par les dirigeants russes de la crise de 2008-2012 – qui en réalité n’en finit jamais -, fut que l’issue résidait dans le maintien de l’ouverture à l’Ouest, en pleine conformité avec l’histoire, la géographie, la démographie et la culture russes. Effectivement, les investissements continuèrent jusqu’à la guerre de 2022 de venir de l’Ouest à 70% – et non pas de l’Asie – et cela contre vents et marées. Face à la nécessité absolue pour Moscou de rétablir le marché européen de son gaz, manque à gagner intolérable dans la durée, la recette pourrait être comparable en 2024/2025 et les années suivantes. Le remède d’une telle stratégie impliquera à l’évidence qu’il soit mis un terme à la guerre en Ukraine. De son côté, l’Europe, devrait encourager à sa manière la Russie en agitant devant elle une « lumière au bout du tunnel ». L’Occident collectif, comme l’on dit désormais dans le Sud global, devrait en effet méditer de son côté – et surtout faire sienne – cette pensée fameuse de Lord Palmerston qui se montra pourtant un temps partisan d’une politique belliciste à l’égard de la Russie: « England has no eternal allies and no eternal enemies, only eternal interests ».

Patrick PASCAL
Ancien Ambassadeur et Président du Groupe ALSTOM à Moscou pour la Russie, l’Ukraine et la Biélorussie

À paraître (septembre 2024)


Partagez votre avis